« Comment ça, disparu ? » hurla la princesse de la nuit en utilisant la légendaire voix de Canterlot pour démontrer à ses gardes la faiblesse actuelle de leurs compétences. Elle était rentrée en hâte suite à l’ultimatum de sa sœur et comptait régler la situation de Whitepath sitôt arrivée mais l’annonce malencontreuse d’une attaque du musée, où elle venait de le placer il y avait à peine une demi-heure avait fait tourner court son projet. Whitepath disparu et un garde assommé, hospitalisé aussitôt, le palais infiltré par on ne sait qui, le dôme du musée brisé. Si l’on ajoutait à cela la pression exercée par sa sœur et le fait qu’une personne qui lui était très chère avait frôlé la mort, Luna n’avait que trop de raisons pour hurler sur les gardes du palais qu’elle avait fait réunir pour une réunion extraordinaire. À présent ils étaient tous là, ou presque, quelques escouades ayant pour but de sécuriser le palais qui était déjà entouré par une foule de curieux. Qu’importe, il y avait bien une cinquantaine de bat-ponies dans cette vaste pièce bleu sombre éclairée par quelques néons. La plupart en armure, les autres nus – ils étaient en repos –, d’autres, gradés et formels, tenaient solennellement leurs casques sous le sabot. Tous les visages étaient tournés vers elle, et elle ne pouvait que tracer une seule séparation : ceux qui affichaient la honte de l’échec, l’équipe qui surveillait le musée, sans doute, et la vengeance. C’est parmi ces derniers que Luna faisait peser ses espoirs.
Un d’entre eux, de l’équipe du musée, suggéra en bafouillant et en baissant les yeux : « Hé… hé bien… nous savons que notre collègue, celui qui le surveillait et qui est encore en train de récupérer de son coup affirme n’avoir rien vu venir. Quand nous l’avons trouvé sur place, au moins avons-nous pu constater que rien n’avait été volé…
-Très bien, répéta Luna, exaspérée. Je répète ma question de façon plus explicite. Où est la licorne ? Et le prochain qui me répond par des détails qui se trouvent dans des rapports que j’ai déjà lus cinq fois, je jure que je l’envoie en renfort à ma sœur pour faire la circulation. » La phrase avait été dite distinctement, ponctuée par un calme incroyable dont Luna ignorait s’il était tout à fait naturel. Ceux du musée regardaient leurs sabots, plus gênés que jamais tandis que les autres gardaient leurs regards immobiles, vénérant passivement leur reine et commandante. Le silence était complet, et le fait que nul ne voulait servir d’agent pour filtrer la circulation de Canterlot n’y était pas inconnu. Le dernier bat-pony puni de cette façon avait passé une semaine infernale à Canterlot, où la circulation est, nous le savons, minime par rapport à d’autres villes, plus populaires. Il avait par contre été un sujet de curiosité de la part de la noblesse et des touristes, qui ne purent littéralement pas s’arrêter de le prendre en photo. Parfois, on lui avait même demandé de poser avec des gosses, des couples. Il resta stoïque jusqu’à ce que les flashs des appareils l’aient empêché de voir quoi que ce soit pendant une semaine. Luna avait trouvé là son moyen de pression suprême. Bon, personne ne parlait, mais personne n’avait cette fois la mauvaise idée d’ouvrir sa bouche pour des généralités.
La pièce voisine, qui contenait la radio, les téléphones, ainsi que les ordinateurs qui reliaient le palais en contact vers tout service extérieur utile au palais s’emplit d’un bruit sourd mais perceptible par tous. Quand la porte qui séparait la salle de briefing à celle des communications s’ouvrit, un bat-pony en armure cria « Le récupérateur Strongeye a repéré une activité particulière autour de son nœud ! Il affirme avoir vu des bat-ponies en vol transporter une licorne ! » Luna avait lâché un sourire imperceptible de malice. Elle avait de nouveau un petit peu de contrôle sur la situation.
-Bien, je vais me charger de voir cela. En personne. Ces derniers mots firent frémir la moitié de l’assemblée – dont ceux du musée, toujours – les autres étaient aux aguets. Luna reprit : « Je demande quatre volontaire pour m’assister. » Une quinzaine de sabots se levèrent. Luna prit juste ceux dont elle avait besoin parmi les volontaires les mieux gradés et les invita à se préparer pour une intervention d’urgence, une intervention armée.
Luna rejoint l’agent de communication dans sa salle. Elle avait fait demander sa propre armure. En attendant ses soldats, elle se rendait compte à quel point les moyens qu’elle déployait pour ne sauver qu’un seul blanc-flanc. Un blanc-flanc ! Un misérable, un rebut de la société ! Au mieux un poney qui n’a été destiné à rien, sinon un fainéant et un dissident de la pire espèce, un parasite. La princesse Twilight avait beau dire avec ses discours progressistes, encouragés par Celestia et Cadence, qu’il fallait les aider, ou, au pire, faciliter leur intégration dans la société. La question avait été évoquée cinq ou six fois lors de conseils restreints. Twilight avait fait de ce sujet son fer de lance et son premier projet à long terme en tant que princesse ; en hommage à trois de ses amis, qu’elle disait. Mais, elle, Luna, avait fait savoir clairement lors de ces conseils (antérieurs à l’incident, il faut le préciser) qu’elle placerait immédiatement son veto si une telle mesure venait à être décidée et si une proposition de loi devait leur être soumise. Et à présent, elle ne regrettait pas ses paroles.
Les gardes entrèrent, revêtant des armures plus imposantes que celles des gardes standards, et armés de lames courtes, destinées à placer des coups rapides, et à être placées sous la gorge des ennemis, permettant d’obtenir leur reddition plutôt que leur décès. Que de moyens ! n’avait-elle de cesse de se répéter. Mais c’était nécessaire. Ça faisait à peine un peu plus d’un an qu’elle était libre et il fallait bien que sa nouvelle réputation en Equestria ne soit pas détruite par cette affaire. Oui, c’était important à ce point. L’agent des communications la regardait, craintif. Luna lui fit savoir d’un hochement de tête que le briefing restreint et improvisé pouvait commencer. « Nous avons reçu le message de Strongeye il y a vingt minutes. Il nous a affirmé avoir vu un groupe de neuf bat-ponies en tenue noire. Quatre d’entre eux formaient une formation en carré en surveillant le devant, l’arrière et les cotés. Au centre de cette formation, il a vu les cinq autres porter un corps dans un grand morceau de tissu. Il affirme y reconnaître le dénommé Whitepath mais celui-ci n’aurait pas donné un seul signe de vie. » Luna se mordit la lèvre. « Selon ses estimations, les fugitifs auraient atterri dans cette zone, affirma le bat-pony en encerclant avec son sabot un périmètre sur une carte papier spécialement conçue pour indiquer les reliefs. Luna fronça les sourcils. La zone était adjacente aux montagnes proches de Manemoorne. Si leur mystérieux ennemi avait l’idée de lever le camp tout de suite, ils seraient plus durs à repérer. « Strongeye n’a pas d’autre mouvement à nous signaler ? demanda la princesse.
-Non, il aurait envoyé un appel sur le champ. Il a préféré ne pas quitter son nœud.
-Eh il a bien fait. Il nous servira à vous contacter quand nous serons à proximité et si nous rencontrons une trop grande résistance. Toujours aucune idée de qui sont ses poneys ? » L’agent haussa les épaules, le regard exorbité.
-Bien… espérons qu’au moins Strongeye ne se soit pas fait repérer. »
Whitepath ouvrit les yeux et eut un sursaut de panique et d’incompréhension en voyant l’environnement qui l’entourait. Ni le musée, ni la cellule dans le palais… Mais alors où ? Il était couché sur un tas de paille dans une tente outrageusement blanche, carrée et dont le bout de toile qui servait de porte avait été descendu. Il était seul à l’intérieur. Au sol, une foule d’objets hétéroclites peuplaient la tente de sa présence passive. Des tapis richement décorés, des malles ouvertes autour de lui laissaient gésir à terre des brassées de vêtements aussi blancs que la toile de la tente. Il y avait de tout, pantalons, chemises, caleçons, robes de chambre, peignoirs.
Le jour ne devait pas être encore levé, car la lumière n’était guère de ce décor, aussi Whitepath se retrouvait à se poser des questions dans une pénombre bleutée qui résultait du mélange du blanc de la tente et de cette ombre qui précède les feux célestes de l’aurore. Il vit sur lui l’uniforme des agents d’entretien du musée de Manemoorne, bleu vif, moche et atrocement inconfortable. Ne comprenant rien à la situation, il ne crut pas risqué de l’enlever. Dehors, on discutait. Des bribes de paroles incompréhensibles parvenaient à lui. Ne reconnaissant aucune d’entre elles, il devint vite nerveux et décida de ne pas sortir, évitant ainsi de se retrouver en mauvaise compagnie, d’autant plus que sa position ne désignait en rien ces gens comme des alliés. Il se mit tout de même à chercher à l’arrière de la tente. Le pan de toile était fin. Il était clouté au sol de façon trop régulière pour que l’on puisse passer en-dessous, mais l’on pouvait le relever assez pour entrevoir le paysage. Whitepath entrevit le même désert de poussière blanche qui accueillit son arrivée sur la Lune, il y avait de cela trois jours maintenant. Mais cette étendue, contrairement à son premier souvenir était au loin coupée par ce que l’on devinait être une colline, une sorte de butte rocheuse dont il ne pouvait apercevoir le sommet à cause de la faible visibilité que lui laissait l’espace de toile relevable. Il se releva et constata rapidement qu’il tenait là une voie de fuite idéale.
Fouillant la tente, il ne trouva pas de quoi couper la toile. Il réalisa aussitôt la bêtise de son idée lorsqu’il se rendit compte qu’il pouvait simplement détacher les sardines autour de la tente avec la télékinésie. En se rabaissant, il estima qu’en enlever trois serait amplement suffisant pour se faufiler sous le mur de toile. Il commença son affaire. Il se concentra de façon intense, souleva le petit morceau de fer, sans le frotter contre l’anneau au travers duquel on l’avait passé. Il prit autant de précautions pour reposer la sardine à terre. Il recommença avec une autre qui se trouvait juste à droite de la précédente. Il y était presque, et la troisième… Il s’arrêta. Au dehors, la conversation avait cessé et des bruits de sabots se dirigeaient vers la tente. Whitepath arrêta son action et s’éloigna du mur pour se placer au centre de la tente, espérant n’attirer aucun soupçon de fuite sur son nouvel et mystérieux hôte.
Le pan de la tente se releva finalement et laissa entrer trois bat-ponies. Deux d’entre eux, qui étaient placés des deux côtés du troisième, revêtaient des habits qui marquaient leur compétence martiale par leur seul aspect militaire, le tout en cohérence complète avec l’air de dureté imprimé sur leurs visages. Il déglutit d’angoisse devant leurs regards durs, mais un coup d’œil sur celui du milieu manqua de lui procurer un fou rire sans gêne. C’était un bat-pony à la bedaine débordante, au visage jovial et vêtu de manière parfaitement improbable. Diverses couches de nobles chemises et manteaux de couleurs riches se succédaient pour former un arrangement ridicule, qui, soutenu par l’air hautain du personnage, lui donnait l’air d’un pitre dirigeant une troupe mortelle. Et c’était à peu près ce qu’il était.
« Sortez, messieurs, dit-il aux deux gardes d’un air pompeux qui le rendait encore plus ridicule, je me charge de ce drôle. » Les deux bat-ponies obéirent. Tandis que Whitepath se demandait ce que tout cela signifiait, il se disait qu’il préférait la présence des gardes, qui l’empêcherait de mourir de rire devant la caricature vivante qui lui parlait. « Alors, garde celestien, tu as retiré ton uniforme ? lui demanda le bat-pony en désignant de son sabot l’habit d’agent d’entretien.
-Agent celestien ? dit Whitepath d’un air étonné. Je… Je crois que vous faites erreur…
-Moi, faire erreur ! Jamais ! s’outra le costumé d’un air pédant. Nous connaissons vos méthodes, vous les agents d’élite, vous vous habillez en balayeur pour que les gardes normaux servent de diversion. Et là, vous attaquez par surprise, mais là, non, nous vous avons capturé avant.
-Et, si je vous dis que je ne suis vraiment rien d’autre qu’un balayeur ?
-Vous seriez un fieffé menteur. Maintenant vous allez répondre à mes questions. Où sont situés les parchemins de Nigthmare Moon ?
-Je n’en sais rien, c’était ma première nuit au musée, j’ai vu que des vases.
-Menteur, trois fois menteur ! répéta d’un ton aigu et nerveux le bat-pony. Whitepath retint son rire. Il avait l’impression d’assister à une parodie de pièce de théâtre tragique. Il se mordait la lèvre pour se retenir. « Ah, je vois bien aux convulsions de ton visage que tu es proche de tout me révéler ! Dis-moi où sont ces parchemins et je te laisse partir. Sinon, tu devras prendre garde à l’ire de mes valets. »
Il éclata de rire, au grand dam de l’interrogateur.
« Mais, que te prend-il de t’esclaffer ainsi devant moi ?
-Assez ! Assez ! Hahaha ! Puisque je vous dis que je ne sais pas où ils sont, vos parchemins, dit la licorne en versant des larmes de rire.
-Quoi, comment tu ne sais rien ? cria l’autre dans une rage ridicule. Quoi, moi, le grand Batpride, j’aurais accumulé patience, moyens, politique et ruse pour ne finir que blessé par les faibles rires d’un gueux ? N’ai-je pas entraîné les quelques fidèles à la cause de l’ancien monde pour chasser l’usurpatrice qui revient doucement sur le trône après avoir passé mille années à nous ignorer ? Et à présent que notre plan infaillible, utiliser la seule source de magie utilisable par tous, les rituels et les noires connaissances contenues dans ces quelques rouleaux, il faut que le seul obstacle soient les sarcasmes de ce terrien ! » Whitepath, en voyant l’exagération sérieuse du bat-pony, calma légèrement son rire. Tout d’abord pour admirer le spectacle que constituait la lamentation de ce type, et ensuite car les autres bat-ponies n’avaient pas réellement l’air aussi comiques que celui-là.
Celui qui s’était nommé comme Batpride baissa les bras de façon pathétique en signe de désespoir. Whitepath aurait eu volontiers pitié de ce type s’il ne l’avait pas fait enlever. Celui-ci en vint presque à ramper vers lui : « Aie pitié d’un vieux poney qui a passé sa vie à penser au bien des siens… » Il essaya de donner à son visage une expression de tristesse mais n’y arrivait pas. Les grimaces successives du bat-pony redonnèrent à Whitepath un autre élan de rire. Cette fois, Batpride se révéla, et, d’un air insulté qui n’était pas joué, appela un de ses poneys. Celui-ci arriva, dans une tenue noire et avec un regard menaçant « Brave compagnon, tu sais ce que tu dois faire, fais en sorte qu’il t’apprenne ce que nous voulons tous savoir », dit Batpride d’un air grave en sortant. Le bat-pony restant s’approcha lentement de Whitepath. Celui-ci prit tout à coup conscience que le magnifique cours d’expression dramatique auquel il venait tout juste d’assister était fini. Le bat-pony était maintenant à un mètre de Whitepath. « Bien, maintenant terrien, je veux que tu me dises tout de suite où…
-Alerte ! » Une voix venue de l’extérieur avait lancé ce signal, interrompant la question du nouveau bourreau. Celui-ci, furieux, regarda Whitepath avec intensité alors qu’il sortait de la tente pour y répondre. À cet instant, un bruit tomba du ciel. Ils levèrent les yeux. La tente s’effondra avec fracas alors que le son du conflit se faisait entendre au dehors.
Luna vola avec l’escouade qu’elle avait formée. Cela allait faire quatre heures que l’enlèvement avait été commis et elle espérait qu’il ne soit rien arrivé entre-temps à celui qui est devenu son protégé de force. L’aube commençait à rougir l’horizon quand elle repéra Strongeye, qui surveillait toujours le nœud auquel on l’avait affecté. On ne l’avait donc pas repéré. Bonne chose qu’elle n’ait pas à secourir deux otages en plus de perdre son seul moyen de communication avec la capitale. Elle lui fit signe et il lui répondit. Il savait ce qu’il aurait à faire. L’escouade commença à voler moins haut, puis Stongeye indiqua une direction de son sabot, et toute l’équipe la suivit. Lorsqu’elle y repenserait plus tard, il lui semblait avoir vu la marque de l’inquiétude sur le visage du récupérateur.
Ils continuèrent leur vol, reprenant de l’altitude, et ce pendant dix minutes. Jusqu’à apercevoir le début de la grande chaîne des montagnes lunaires. Luna aperçut l’objectif. « Pas de sommations ! » cria-t-elle. Dix secondes plus tard, le chaos était déchaîné. Les bat-ponies de Luna s’abattirent sur les tentes du camp avec une vélocité hors du commun. Cela leur permit de blesser trois des occupants du camp, tandis que celui qui semblait être leur chef ordonnait aux trois autres qui restaient autour de lui de garder leur courage. Devant la force de frappe qui trônait en face d’eux, ils préférèrent se rendre. Une fois les rebelles démobilisés, Luna envoya Strongeye chercher du renfort afin de les mettre aux fers. Elle alla enfin régler l’objet de sa venue. Elle appela Whitepath une fois, deux fois, une autre fois avec la voix de Canterlot, rien n’y fit. Aucune réponse. Il devait être inconscient sous les ruines des tentes. Cette piste n’offrit pas plus de résultats. Luna n’avait plus de doutes. L’équestrien s’était enfui. Elle demanda à ses forces d’attendre les renforts pour rapatrier les prisonniers. Elle traquerait Whitepath seule.
Le choc passé, Whitepath ne vit que le blanc de la tente et une clameur de bataille provenant de l’extérieur. Pris de panique, il se décida à fuir en se cachant. Seulement, voilà, il n’y avait rien pour se mettre à couvert. Il prit un des vêtements qui lui tomba sous le sabot, se cacha en-dessous, et rampa hors de la tente, sans même savoir où il allait. Il faut dire qu’il fut particulièrement chanceux, il sortit par le coté arrière, non exposé à la zone de conflit. Il réussit à faire cinq mètres avant de s’arrêter. Les bruits du combat avaient cessé. Whitepath essayait nerveusement de se calmer, mais le choc l’avait quelque peu sonné, et il ne s’était jamais retrouvé confronté à quelque chose d’aussi violent. Il ne savait pas qui l’avait enlevé, et savait encore moins qui était venu attaquer ses ravisseurs. Il se serait volontiers montré à eux, mais la crainte le dominait. Soudain, il entendit la voix redoutée de celle qui était responsable de tous ses maux. Luna l’appela plusieurs fois, y compris de cette voix puissante qui semble être un des nombreux privilèges des alicornes.
L’attaquant identifié, Whitepath décida tout de même de ne pas se livrer. Si Luna avait pris sa précédente entrevue avec Pinkie pour une tentative d’évasion, il ne croyait pas que la situation deviendrait meilleure cette fois-ci. Non. Il avait une idée bien plus intéressante. Il allait faire un pari avec le destin. Une fois qu’il serait en mouvement, il se donnerait une direction et n’en changerait pas. Au mieux il retomberait sur Manemoorne, et, au pire, il n’y pensait pas. S’il avait de la chance, Pinkie avait prévenu sa princesse et les efforts pour l’extraire de cette galère étaient déjà amorcés. De plus, sa peau ne devait plus valoir cher pour Luna. Il se remit en route, lentement, toujours coincé sous le bout de tissu blanc épais qu’il identifiait comme un peignoir, de qualité très relative. Il décida d’augmenter un tout petit peu son rythme, le bruit confus qui provenait du camp – celui de soldats en pleine discussion – l’aiderait à ne pas se faire repérer. La seule difficulté pour l’instant était le ciel. En identifiant le blanc-gris qui constituait l’essentiel du paysage lunien, ce peignoir passerait inaperçu et de toute façon il s’arrêterait s’il y avait du bruit. Mais du ciel, on n’entendait pas les pégases voler, et le premier voyant une forme blanche se mouvoir sur le sol aurait tôt fait de faire tourner court son projet. Il se mut du mieux qu’il le put en tenant son cap.
Luna survolait la zone à toute vitesse, affolée. Elle regardait à terre, essayant de s’alarmer du moindre bruit. Mais rien, rien. Elle avait tracé un large périmètre qu’elle passait au peigne fin. Elle dut vite cesser ses recherches car l’aube arrivait à présent et le soleil levant empêchait tout vol confortable. Et elle était fatiguée. Non, ce n’était plus tenable. Elle allait rentrer au palais, former des équipes de recherche. Les circonstances s’acharnaient contre elle, c’était normal si elle avait l’esprit brouillé. Elle redescendit au camp détruit, somnolente. Elle fit un atterrissage maladroit.
Whitepath avançait toujours, jusqu’à ce qu’il se prenne les sabots dans une des manches du peignoir, ce qui fit tomber et lui arracha un grognement qu’il retint aussitôt. Il regarda de tous les côtés pour voir s’il n’avait pas été repéré. Personne. Il put par contre s’apercevoir que la lumière du levant baignait de sa lumière le relief qu’il avait aperçu depuis la tente. Il avait cru à une butte. Mais c’étaient bien des montagnes de pierres grises qui se dressaient devant lui. Leur aspect fascina longtemps la licorne qui trouva par ces sommets qu’il apercevait au loin toute la poésie qui manquait à cette planète. Mais ce n’étaient pas des montagnes, c’était, à plus proprement parler, une succession de pics pas assez nombreux pour former un massif, mais ils formaient un ensemble assez tortueux et chaotique pour perdre les imprudents. Whitepath se repencha sur le premier de ses problèmes : ne pas se faire repérer. Le peignoir n’était pas ce qu’il y avait de plus gracieux comme équipement, mais au moins avait-il la bonne couleur. Afin d’en finir avec la problématique de la visibilité, il fit deux trous pour les yeux avec sa corne, et un de plus pour la corne elle-même. L’ensemble devait être parfaitement ridicule à voir, mais il avait un certain couvert. Se sentant appelé par les pics baignés de lumière qui lui offraient une cachette potentielle, il changea son plan. Après tout, pourquoi tenter d’agir de façon régulière sur une planète si folle ?
Luna s’était calmée. Installée derrière son bureau, une couverture sur les genoux. Les équipes de recherche, elle les avait faites. Il ne restait rien à faire dans l’absolu et son corps lui répondait à peine, ses paupières tombaient, malgré tout, elle n’arrivait pas à s’endormir. C’est sans doute la tension… pensait-elle de façon continue. Après tout, elle était bien trop stressée pour connaître le repos. Son chancelier entra. « Excusez-moi, princesse, on demande une audience auprès de vous, mais…
-Mais quoi ?
-Je me demande si vous êtes en état…
-Allons, une princesse est toujours en état, dit-elle en bâillant. Qui est ce "on" qui demande à me voir ?
-Hum… La… La princesse Twilight Sparkle. » Le nom de la princesse ne manqua pas de réveiller la souveraine de la nuit, de la même façon que si elle s’était pris un seau d’eau glacé à la figure. « Envoyez-la-moi. Et amenez du café pour deux, je vous prie. » Le chancelier se retira en s’inclinant, laissant la porte du bureau entrouverte. Quelques minutes plus tard, la princesse néophyte fut introduite devant la reine de la nuit. Ainsi Twilight avait ressenti le besoin de s’expliquer, pensa Luna. Elle appréciait la princesse mais elle la trouvait politiquement trop douce. La fausse compétence du souverain élevé chez les gueux… Il n’en restait pas moins qu’elle était au courant de l’affaire et qu’elle avait allumé la mèche qu’était l’ultimatum que lui laissait sa sœur. Quoiqu’il en soit, cette visite y était liée, et même diplomatiquement, il n’était pas sage de refuser une telle audience.
Twilight entra de façon simple. Pas même de vêtements ou de tiare. Elle regardait Luna avec un air de pitié et de sympathie mêlée, un sourire timide mais généreux aux lèvres. Elle s’assit en face de Luna, qui ne lui dit rien. Le café arriva. Luna congédia vite le serviteur d’un signe de tête. « Hum, Luna, je sais que c’est dur d’en parler, d’autant que tu as l’air épuisée, mais…
-On ne sait plus saluer un membre de la noblesse, maintenant ?
-Luna… S’il te plaît, écoute-moi.
-Du café ?
-Oui. Luna, écoute-moi, je sais que tu dois m’en vouloir mais si ce que m’a dit Pinkie est vrai, tu as commis une grosse erreur. J’ai demandé l’autorisation à la princesse Celestia de venir t’aider et elle a accepté. Luna écoutait distraitement en versant elle-même le café.
-Nous n’avons pas besoin de votre aide, princesse Twilight Sparkle, néanmoins nous vous savons gré de votre généreuse attention que nous n’oublierons pas. Luna avait prononcé cette phrase comme un enfant aurait déclamé un poème.
-Luna, je t’en prie ! Fi des politesses ! Je veux savoir…
-J’ai fait déployer vingt bat-ponies pour les recherches et j’ai appelé tous les agents de l’ordre du secteur à la plus grande vigilance.
-Et s’ils le retrouvent, ils vous le ramèneront en bon état au moins ?
-Ils ont intérêt. Sous peine de disgrâce. Elle prit une gorgée délicatement et plongea doucement son regard dans celui de Twilight. Assez, Twilight Sparkle, tu as fait le déplacement jusque ici alors qu’hier tu as reçu des nouvelles de ton amie rose, qui était sur la Lune pour je ne sais quelle raison, et que je ne veux pas savoir. Que veux-tu ?
-Celestia a affirmé vouloir faire pression sur toi. Mes amies et moi nous nous fumes jadis battue pour que vous viviez en harmonie, au profit d’Equestria. Hier, Celestia m’a appris par une lettre le jeu auquel tu t’adonnais. Je ne peux pas admettre que quelque chose d’aussi trivial te mette hors-jeu politiquement sur Terre. Mais tu es allée trop loin. Ce cas doit te servir de repentir. Je trouve la princesse Celestia bien sévère, c’est pourquoi je lui ai demandé de pouvoir t’assister.
-Et tu crois pouvoir m’être utile ? demanda Luna sur un ton ironique. Tu n’es pas princesse depuis quatre mois. Twilight parut s’irriter, puis se calma. Un sourire malicieux sur la lèvre, elle reprit :
-Mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour expérimenter et maîtriser la condition d’alicorne, oh ! Princesse de la nuit ! De bien belles capacités en perspective, comme par exemple, ressentir la présence d’une personne par sa conscience. »
Luna recracha son café sur son bureau. Twilight prit un air de triomphe. Ressentir l’essence de l’esprit des gens était effectivement une capacité magique basique pour les alicornes, mais Luna avait aliéné ce pouvoir. Il était utile pour repérer les traîtres et les criminels de grande importance, car il suffisait juste de vouloir savoir qui était présent dans un certain rayon pour le savoir. Mais en se liant spirituellement avec son élève, elle avait renoncé à ce don pour une variante plus restreinte mais beaucoup plus intense. Sinon, oui, il est sûr que ce morveux de Whitepath serait sur Terre à l’heure qu’il est.
« J’ai… J’ai perdu le contrôle de la plupart de mes capacités. Mille années sans pratique, ça ne se rattrape pas, mentit Luna à Twilight.
-Eh voilà. Tu as besoin de moi ! reprit joyeusement Twilight. Je ne veux rien savoir sur la limite de tes capacités, mais cette situation n’est pas juste. Dis-moi juste où tu soupçonnes qu’il soit, et je te jure que je ne reviendrai pas ici sans l’avoir trouvé. » Luna réfléchit. Si ce fichu poney était parti du camp, il ne l’avait fait que de l’arrière d’une tente touchée lors de l’assaut, car on ne l’avait pas vu. De là, il y avait trois directions. Deux d’entre elles menaient dans un village, on l’aurait donc intercepté. Quant à la troisième direction, elle menait vers…
« Par ma sœur ! s’écria Luna. Twilight, qui était restée pensive durant les dix secondes de réflexion de Luna s’inquiéta devant son visage épouvanté.
-Qui y’a-t il ?
-Les montagnes. Le maudit a dû partir vers les montagnes.
-Et tes gardes pourraient le retrouver là-bas ?
-Tous les bat-ponies évitent ces montagnes depuis trente ans. Et j’ai donné l’ordre ferme de ne pas s’en approcher depuis mon couronnement.
-Enfin, quels dangers il y a là-haut ? Luna prit une grande inspiration et prit l’air le plus solennel qu’elle put.
-Des souvenirs, répondit-elle d’une voix étranglée. Twilight sentait la question taboue que constituait ce lieu et préféra ne pas s’en mêler. Ce n’était pas son affaire.
Lorsqu’elle sortit de la salle avec pour attention de demander sa direction au poste de communication, Luna se leva et tenta de la suivre, mais elle tenait à peine sur ses pattes et tombait à chaque pas. « Attends-moi ! criait-elle. Si tu dois aller dans les montagnes, je dois venir.
-Tu meurs de fatigue. Repose-toi simplement et attends mon retour. Et si tu insistes vraiment pour être active dans ton état, penses aux excuses que tu prononceras à cette licorne », dit la princesse de l’amitié avant de repartir au galop. Quinze minutes plus tard, elle volait à la recherche du blanc-flanc de Manehattan.
Whitepath s’était habitué autant à son mode de camouflage qu’au paysage magnifique et sibyllin que lui offraient ces pics majestueux. Une petite montée s’était vite fait remplacer par une plus ardue, qui lui coûta de nombreux efforts qu’il entreprit néanmoins. Ceci le conduisit à une petite vallée située entre deux pics, plate, silencieuse et déserte. Dans tout ce qui lui arrivait, il ressentait maintenant une sorte de joie, de paix qui recouvrait la crainte toujours présente d’être découvert. Il ne s’en était pas rendu compte tout de suite, mais, depuis qu’il avait préféré fuir le camp plutôt que de se rendre, il était devenu libre. Depuis son arrivée, il devait suivre instruction sur instruction se faire enguirlander garde après garde. Seule Pinkie l’avait réellement traité comme un être équin lors de ces malheurs, et maintenant, son aide ne servait plus à rien. Il était libre, libre dans le vide mais c’était déjà cela. Et puis c’était encore mieux, quand, lui, Whitepath, le suprême feignant, général absolu de l'incompétence, aurait entrepris de faire un quelconque effort ? Là il en faisait, et sa liberté lui avait donné la volonté de tenir sur ses pattes jusqu’au bout, l’audace de flouer la reine de la nuit et ses gardes, et enfin l’inventivité pour un camouflage si risible.
Oui, quand il pensait à ce à quoi il devait ressembler, avec ce large peignoir au-dessus du visage, il avait envie de rire. Il se retint par peur de l’écho qui pourrait indiquer sa position. Il continua joyeusement de l’avant. Il se sentait comme si ces montagnes avaient été faites pour lui. Tout y était blanc, désert, mais quelle paix ! Quelle harmonie ! Dire que l’on disait de lui qu’il n’était pas soigneux, lui qui gardait tout le temps ses flancs si immaculés. Non, la solitude absolue de ces montagnes, ni la flore absente, ni la faune inexistante, ni le silence absolu qui était oppressant à toute autre âme ne venait perturber la sienne. On était au calme.
Il marcha jusqu’à ce que la plaine se divise en deux chemins. L’un descendait mais finissait visiblement en cul-de-sac sur une falaise qui constituait le flanc d’un pic, l’autre était un chemin plat qui partait vers deux pics plus rapprochés. Le second étant le seul choix logique, il se mit en route. Quelques minutes de marche lui firent constater que la largeur de la vallée avait considérablement rétréci, et encore quelques autres et il marchait sur un chemin large au mieux de trois mètres. Il s’en était rendu compte, mais chose étrange, cela ne l’intimida pas. Il se retrouvait comme en un de ces lieux de conte, comme ces forêts où le chemin devient de plus en plus sombre, jusqu’à ce que la bête vous tombe dessus pour vous dévorer. Là, cette idée lui donnait de l’énergie, un véritable cran. Il se laissa aller à son envie. Il galopa comme jamais il ne l’avait fait et comme toujours cette envie était restée en lui.
Et, une envie en entraînant une autre, il se mit à fredonner, un vieil air traditionnel du pays des cerfs, qui l’avait toujours passionné. Puis il chantonna à voix haute et se rendit joyeusement compte que, par un procédé inexplicable, l’écho ne résonnait pas dans cette vallée. Il leva la tête et vit que les deux pics entre lesquels il marchait étaient forts rapprochés l’un de l’autre, formant de chaque côté des falaises abruptes où un pégase courait de forts risques s’il tentait de voler entre elles. Il était donc à l’abri ! Il retira le peignoir ridicule et le plaça sur son dos, au cas où. Amené au comble de la joie par son nouveau courage, sa nouvelle volonté et par la grâce de la nature qui le protégeait, il chanta carrément, hautement, à s’en arracher les cordes vocales, en sautillant vers il ne savait où. Sa joie s’arrêta avec la vision du premier chariot pourri.
Il était arrivé, s’en bien en prendre conscience, et au bout d’une demi-journée de marche, au pied d’une falaise, elle-même au pied d’un des deux pics qu’il longeait depuis longtemps. Sur le chemin, il croisa divers objets étranges, anciens, abandonnés. Des chariots moyenâgeux pourris et à semi-enterrés, des vases qui ressemblaient étrangement aux rares objets qu’il avait eu le temps de voir quand il balayait le musée, des outils, des meubles. Tout dans un chaos et éparpillé de telle manière que si l'on eût placé un poney par objet, l’on s’imaginait sans problème un convoi en voyage. Whitepath toucha le bois d’un chariot. Il tomba en poussière sans même laisser d’odeur de moisi.
Tout cela était sinistre, mais il s’était fait un pari en sortant de dessous la tente. C’est le destin qui l’avait mené dans cette montagne, dans cette vallée, devant cette falaise. Il préféra abandonner le chemin et continuer de l’avant, le chemin devait bien se continuer puisque des chariots l’avaient emprunté. Il continua de chanter, mais plus bas et beaucoup plus faux. La peur. La peur que quelque chose de mortel ne se trouve autour de lui. Il improvisa légèrement sur le thème traditionnel pour se donner du courage : « Dans la montagne de la forêt des étoiles y’a une vallée. Dans la vallée de la forêt des étoiles y’a un chemin. Sur le chemin de la forêt des étoiles y’a un quidam. D’vant le quidam de la forêt des étoiles y’a… » Whitepath retint son souffle devant le mur naturel géant de pierre lunaire. Taillée dans la falaise, une large porte de plusieurs mètres de haut s’ouvrait béante, sur un passé noyé par l’ombre mais qui n’attendait qu’à être redécouvert.
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