Forever Young

"So many adventuyres couldn't happen today
       So many songs we forgot to play
       So many dreams swinging out of the blue
      We'll let them come true

Forever Young, I want to be forever Young
     Do you really want to live forever
     Forever - and ever"

Alphaville - Forever Young (1984)

« Je n’ai jamais vu Rarity agir aussi bizarrement », dit Fluttershy. Elle était allongée sur le dos, contemplant le ciel, son transat était constitué d’une queue de serpent plus épaisse et plus forte que les grosses branches qui l’entouraient. La queue appartenait à Discord, qui était étendu durant cette somnolente après-midi d’été, comptant les nuages depuis son perchoir dans la cime des arbres. Étirant à peine sa serre, il tamponna ‘73’ sur le côté d’un cumulus passant.

« Et nous étions là », dit Fluttershy, « en train de quitter le spa, quand Rarity m’a prise par les épaules. Elle a dit, ‘je te jure que je ne te l’ai jamais demandé, mais ça me rend folle.’ Puis, d’un coup, elle m’a accusé d’avoir un secret et m’a suppliée de lui dire ce que c’était. »

« Un secret ? » demanda Discord. ‘74’ apparut sur la touffe blanche d’un nuage.

« Elle a dit, ‘Tu as toujours l’air si jeune. Comment est-ce que tu fais ? »

La queue de Discord se raidit. Sa tension était palpable contre le dos de Fluttershy tandis qu’elle continuait son récit. « ‘Je suis une licorne. Je connais tous les trucs, et je sais comment les deviner. Mais toi !’ Elle a mis son visage contre le mien, comme si elle cherchait un indice dans mon œil. ‘Je ne peux pas le deviner’, m’a-t-elle dit. ‘Tu dois me le dire !’ »

Discord garda ses yeux rivés sur les cieux. « Et qu’est-ce que tu lui as dit ? » demanda-t-il, un peu trop nonchalamment.

Fluttershy se mit sur le ventre. « Qu’est-ce que je pouvais dire ? J’ai dit à Rarity que je n’avais aucune idée de quoi elle parlait, mais je ne pense pas qu’elle me croie. Elle doit penser que je lui cache quelque chose. »

Un frisson passa dans la queue de Discord. « Quelle surprise ! Où est-ce que Rarity a eu une telle idée ? »

« C’est ça que je ne comprends pas, alors je suis allée parler à Twilight. »

« Oh ? » Le regard de Discord ne bougea pas, mais il n’était plus en train de marquer des nuages. « Et est-ce que la Princesse- », Discord ne fit aucun effort pour marquer le grincement dans sa voix, « a une explication ? »

« Elle a dit qu’elle avait remarqué que je n’avais pas l’air plus vieille mais n’y avait jamais vraiment fait attention. C’était une grosse surprise pour moi, parce que je ne l’ai jamais remarqué. »

La queue de Discord se détendit peu à peu. « Et Twilight pense que Rarity réagit de façon excessive. »

« Sans doute. Ce n’est pas comme si je faisais quelque chose de différent. »

« Bien sûr que non », dit Discord, de sa voix soyeuse.

« Bon », dit Fluttershy. Elle allongea sa tête sur ses sabots croisés. Les ombres bougèrent avant qu’elle ne reparle. « Peut-être que j’ai juste l’air jeune pour mon âge. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? » Une autre pause. « Je veux dire, les princesses n’ont jamais l’air plus vieilles, mais c’est parce qu’elles sont des princesses. » Plus de temps passa. « Il faudrait quelque chose comme un sort anti-âge… mais c’est idiot. Qui pourrait- »

Il y eut un long silence, rempli uniquement par le bruissement des feuilles et du puzzle qui s’assemblait. Fluttershy se leva et chercha les yeux de son ami. « Discord ? Qu’est-ce que tu sais sur tout ça ? »

Discord siffla innocemment et continua à détourner les yeux. Un Discord miniature, enrobé de blanc, apparut sur son épaule – ou ce qui pouvait servir d’épaule à un draconequus. Mini-Discord prit un halo doré au-dessus de sa tête et l’amena vers sa poitrine. « Qui ? Moi ? » répondit la créature d’une voix blessée.

« S’il te plaît, Discord, j’ai besoin que tu sois sérieux avec moi. »

Le petit jumeau de Discord disparut. Lentement, il se tourna pour rencontrer le regard de Fluttershy. « Est-ce que ça serait vraiment aussi affreux de ne jamais vieillir ? »

Les mots de Fluttershy commencèrent à venir lentement alors que le sang lui montait à la tête. « Qu’est-ce que tu as fait ? » demanda-t-elle, la panique gagnant sa voix.

« C’était pour toi – je te le jure. Vous les poneys, vous avez des vies ridiculement courtes. Vous êtes des enfants aux yeux grands ouverts une minute, puis des handicapés la suivante. Vous ne pouvez pas profiter de la vie, pas plus qu’un éphémère. »

« C’était toi », dit Fluttershy, incrédule. « Tu y es juste allé et tu l’as fait. Comment as-tu pu ? »

« Tu fais comme si j’avais transformé ton petit lapin en cache-oreilles – ce n’est pas la pire idée que j’aie eue, par la même occasion. » Voyant l’expression abasourdie de Fluttershy, il alla droit au but. « La plupart des poneys me supplieraient pour que je leur offre l’immortalité. »

Fluttershy était sur ses sabots. « Tu aurais pu me le demander ! Tu aurais au moins pu me le dire ! »

Discord ouvrit grand ses bras. « Pourquoi les poneys insistent tout le temps pour rendre les choses si compliquées ? Il y a toujours une centaine de raisons pour lesquelles on ne peut pas faire ci ou ça. Accroche-les moi ! » Des cordes tombèrent des branches. « Encore mieux, donne-moi une raison pour laquelle tu ne devrais pas vivre éternellement. »

Fluttershy tint bon. « Je vais t’en donner quatre : leurs noms sont Rarity, Rainbow Dash, Applejack, et Pinkie Pie. »

Discord grogna. « Vraiment ? C’est tout ? Je ferais pour elles ce que j’ai fait pour toi. Penses-y : vous six, les éléments d’équilibre, amies pour l’éternité. Un claquement de doigts, et c’est fait. » Discord arma sa serre.

« Attends ! » cria Fluttershy. En un coup, elle bondit et saisit la griffe levée de Discord.

« Oh, bon sang. Et tu te demandes pourquoi je ne te dis jamais rien. »

« Je n’ai pas dit ‘non’ », dit Fluttershy, « juste ‘pas encore’. Ça doit être leur choix. »

Le regard calculateur de Discord envoya un frisson à travers Fluttershy. « Comme tu le souhaites, ma chère (en français dans le texte) », dit-il en fin de compte, accompagnant par un salut de la tête. « Demande à tes amies. Je parie que Rarity sera la première à faire la queue. »

Il a peut-être raison, pensa Fluttershy. Qu’y aurait-il de mal à ce que nous vivions toutes les six pour l’éternité ?

« Je ne parviens pas à imaginer une raison pour laquelle tes amies refuseraient », dit Discord, « mais vous les poneys, vous avez un talent pour trouver le nuage dans un ciel dégagé. Mais je te promets ça ; j’enlèverai chaque obstacle entre toi et l’immortalité. »

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Rarity portait son regard le plus penaud en faisant face à Fluttershy de l’autre côté de la table du café. « Je suis heureuse que tu m’aies invitée à déjeuner. Je voulais m’excuser pour ce que je t’ai dit l’autre jour. Je suis vraiment une vieille chose vaine. »

« Tout va bien, Rarity. Je comprends, mais ça m’a fait réfléchir », Fluttershy se mordit la lèvre, puis se lança. « Si tu pouvais vivre jeune pour toujours, est-ce que tu le ferais ? »

Rarity leva les yeux de son menu, les sourcils levés en signe de surprise. « Quelle question. » Elle réfléchit un moment. « Mais je vais jouer le jeu. » Rarity ferma ses yeux et se laissa transporter dans un paradis de jeunesse éternelle. Un ronronnement s’échappa d’elle alors que son sourire se dessinait sur son visage. « J’économiserais une fortune au spa. » Ses yeux brillèrent avec malice quand ils se rouvrirent. « Oh, mais de qui je me moque ? Des étalons sauvages ne pourraient pas me détourner du spa. »

« Je ne blague pas, Rarity. Qu’est-ce que tu ferais si tu étais vraiment jeune pour toujours ? »

Rarity regarda avec curiosité son amie. « Tu es sérieuse, n’est-ce pas ? »

L’expression pleine d’anxiété de Fluttershy était sa seule réponse.

« Eh bien », commença une Rarity incertaine, « je ne peux pas dire que je n’y ai jamais pensé, surtout avec tout ce qui est arrivé à Twilight. » Rarity regarda au loin et rassembla ses pensées. « Quand j’étais pouliche, j’ai toujours rêvé de devenir une princesse. C’est uniquement en participant au Grand Gala Équestre que j’ai compris à quel point ce serait horrible de se marier à un membre de la famille royale. Et devenir une princesse au mérite est franchement de trop pour une jument qui a les sabots jonglant entre une carrière dans la mode tout en étant l’élément de la générosité. »

Fluttershy la pressa. « Et si rien ne devait changer ? Et si tu te réveillais un matin sans avoir un jour de plus ? »

Le serveur des juments arriva avant que Rarity puisse répondre. Elle attendit qu’il parte avec leurs commandes avant de répondre. « Je ne vois pas l’immortalité comme un fardeau, plus comme une barrière entre les poneys. Regarde Twilight ; aussi fort qu’elle essaie, c’est toujours entre elle et nous. On a passé le cap du diadème et d’elle devenant une princesse et une alicorne et tout, mais il y a un gouffre qui ne cessera de grandir, jusqu’à ce que nos morts le rendent infranchissable. » Rarity frissonna. « Désolée, Fluttershy. Pas moyen que j’en parle sans être morbide. Peut-être que nous devrions- »

« C’est bon, Rarity. J’ai posé la question. Je voulais que tu me dises comment tu te sentais. »

« Très bien, si tu en es sûre. » Si Rarity espérait que Fluttershy change de sujet, elle ne put qu’être déçue. « Je ne sais pas comment Twilight fait. Si c’était moi, chaque visite de mes amies me rappellerait que je serais toujours vivante après qu’elles se soient transformées en poussière. »

Ce n’était pas la conversation que Fluttershy attendait. Elle était aussi convaincue que Discord que Rarity bondiraient sur l’idée d’une vie éternelle. Toutefois, Fluttershy avait à peine ouvert la porte. Elle s’apprêtait à l’ouvrir aussi grand que demandé. « Imagine, imagine juste, nous six vivant pour l’éternité ensemble. »

« Cela serait réconfortant de ne pas passer l’éternité seule, et Twilight n’aurait plus à regarder ses amies mourir l’une après l’autre. Mais… c’est une chose de voir ses parents vieillir, mais Sweetie Belle ? L’idée d’assister aux funérailles de ma petite sœur est obscène. » Le verre de Rarity tremblait alors qu’elle le levait vers ses lèvres. « Et si j’avais des enfants ? Est-ce qu’ils seraient immortels, ou resterais-je intacte face au temps pendant qu’ils vivraient leurs vies et mourraient ? C’est un sacrifice trop grand pour courir le risque. »

Il y avait maintenant de la douleur dans les yeux de Rarity, mais ce n’était pas bon d’aller aussi loin et de s’arrêter net. Fluttershy posa sa dernière question. « Et si tu pouvais donner l’immortalité à n’importe qui ? »

Rarity prit à nouveau le temps de réfléchir. « Je ne vois pas ce qu’il y a de bon à donner l’immortalité à des poneys et pas à d’autres. Il y aurait un fossé entre les deux. Si je deviens immortelle, alors je devrais rendre tout le monde immortel. »

Eh voilà, pensa Fluttershy. Voilà ce qu’il m’en coûterait d’accepter l’immortalité : rien d’autre que de laisser Discord accorder la vie éternelle à tous les poneys. La portée, l’audace d’une telle chose coupa le souffle à Fluttershy. Cela changerait le monde. C’est impossible… n’est-ce pas ? Mais si ça ne le faisait pas ?

Est-ce que Discord avait raison ? Est-ce que les poneys manquaient d’imagination ? Cela lui semblait impossible, mais Fluttershy n’en avait pas le moindre doute, si elle le lui demandait, Discord le ferait arriver en un clin d’œil. L’idée fit passer un frisson dans son corps.

Leur serveur revint avec le déjeuner. Fluttershy prit sa salade en débattant avec elle-même. Pourquoi pas ? Pourquoi pas ?

La fourchette de Rarity s’arrêta à mi-hauteur tandis qu’elle répondait à la question silencieuse de Fluttershy. « Je me demande. Un monde où tout le monde vivrait éternellement. Est-ce que ça pourrait vraiment marcher ? »

Fluttershy ne dit rien.

Rarity prit une bouchée de son plateau de fruits et mangea, pensive, avant de se répondre. « Les poneys voudraient toujours avoir leurs familles. Les vieux auront besoin de faire de la place pour les jeunes. Qu’est-ce qui se passera quand le monde entier sera rempli de vieux esprits dans des corps jeunes ? Par Celestia, suis-je si égoïste pour ne pas vouloir laisser ma place aux générations qui attendent de naître ? »

Il n’y avait plus rien à faire pour Fluttershy. Sans le savoir, Rarity venait de condamner à mort son immortalité.

Un drap mortuaire pendit sur le reste de leur repas. Rarity ne reprit la parole après avoir pris sa serviette et s’être essuyé les lèvres une dernière fois. « Twilight me ferait sans doute la leçon en sachant à quel point j’ai été stupide. Tu me l’as laissé découvrir par moi-même. Merci Fluttershy. Je ne donne pas la reconnaissance que tu mérites. J’essaierai de vieillir plus gracieusement à partir d’aujourd’hui. » L’expression solennelle de Rarity s’illumina. « Assez de cette discussion déprimante. Laisse-moi te raconter qui est venu à la boutique l’autre jour. »

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La conversation qui s‘ensuivit fut aussi agréable que peu mémorable. Fluttershy s’occupa, durant la marche vers son cottage, en réfléchissant à la façon dont elle délivrerait un message qui serait sans doute inattendu et mal accueilli. Elle arriva à peine à la maison, quand Discord fit sa grande entrée dans un jet de feux d’artifices. Il fit une révérence devant Fluttershy et essuya le sol avec un chapeau de cavalier en plumes d’autruche. « Comment s’est passé ton déjeuner avec Lady Rarity ? »

« C’était… bien. »

« Et est-ce que le sujet de l’immortalité a été soulevé ? »

« Euh… oui… » dit Fluttershy, incapable de cacher sa nervosité. « Est-ce qu’on peut s’asseoir ? »

Les yeux de Discord se froncèrent. Fluttershy s’assit sur le canapé et tapota un coussin. Discord se matérialisa à côté d’elle en un instant. « Je sens que tout ne s’est peut-être pas passé comme je le planifiais. »

« Je suis désolée, Discord. Tu as fait l’offre la plus généreuse qu’un poney puisse recevoir, mais je ne peux pas l’accepter. Je te demande de retirer le sort que tu m’as jeté. S’il te plaît. »

« Mais pourquoi ? Rarity ne réalise-t-elle pas que je suis prêt à lui accorder une jeunesse sans fin ? La beauté éternelle ? Quel que soit le problème, je peux le résoudre. »

Fluttershy rencontra le regard éberlué et blessé de Discord avec des yeux implorants. « Certaines choses ne peuvent être réparées sans en casser d’autres. C’est comme tirer le fil d’une toile d’araignée. Une fois que tu l’as fait, cela dérange l’autre fil à coté, et réparer ça en dérange deux autres. Très vite, la toile entière est déchirée. Les poneys ne sont pas faits pour être immortels. »

La bouche de Discord se tordit. « Alors ne t’inquiète pas pour Rarity. Ne t’inquiète pas pour personne. » Des pyramides de charbons ardents remplirent ses orbites. « Contrairement à tes soi-disant amies- » Des guillemets en néons apparurent en l’air. « -je ne suis pas anxieux de te voir mourir. Elles ont eu leur chance. Il n’y aucune raison pour laquelle elles devraient te manquer. Ne le vois-tu pas ? Je fais tout ça pour toi. »

Une charge électrique de peur passa en Fluttershy, mais elle refusa de détourner le regard. « Non, tu fais tout ça pour toi. Tant que tu m’as moi pour toi seul, personne d’autre ne compte. »

Discord recula comme si elle venait de le frapper, mais il n’abandonnait pas. Il pressa le bout de sa serre contre sa langue. Fluttershy se rappela avoir reçu une démonstration de comment Discord pouvait changer l’esprit d’un poney d’un simple toucher. Elle dit son nom.

Ce simple mot prononcé en silence ramena Discord à la réalité. Le feu quitta ses yeux. Sa griffe retourna à ce qui passait pour ses genoux en penchant la tête. « Non. Tu ne serais plus Fluttershy. Ce serait une autre façon de te perdre. » Discord prit une grande inspiration et expira. « Je t’accorde ton vœu. Je retire mon sort. » Avant que Fluttershy puisse réagir, Discord leva sa patte et claqua des doigts.

Il n’y eut aucun flash de lumière. Fluttershy ne sentit aucun changement à l’intérieur. Elle leva un œil suspicieux vers Discord. « Tu es sûr ? »

« Je sais que vous les poneys, vous devez y aller de façon clinquante avec votre magie, mais oui, j’en suis sûr. Souviens-toi que mon offre tient toujours. Le jour où tu le demanderas sera le jour où ta jeunesse reviendra pour toujours. »

Discord regarda le feu d’un air sombre. Sa forme sinueuse s’affala. Fluttershy essaya de lui remonter le moral, pour son bien. « Est-ce que tu m’aimeras toujours quand je serai une vieille jument grise ? » le taquina-t-elle.

Discord fit de son mieux pour retourner le sourire de Fluttershy. « Il faudra plus que quelques cheveux gris pour te débarrasser de moi. »

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Les décennies suivantes firent tourner en couleur argentée les crinière et queue de Fluttershy. Ses pas se ralentirent, et ses ailes ne supportèrent plus son poids. Ses après-midi perdus en conversant au-dessus de la cime des arbres étaient des souvenirs lointains. Mais elle était toujours en compagnie de Discord.

Le premier jour de l’automne avait le genre de froid humide qui prenait aux os, mais un feu rugissant bannissait le vent glacé du cottage de Fluttershy, tandis qu’elle bavardait avec Discord avec du thé et des cookies. « Pinkie a dit, aussi amusant que ça soit d’être grand-mère, être une arrière-grand-mère est encore plus amusateur- euh, encore plus amusant. »

Sur la table entre Fluttershy et Discord se trouvait un lointain descendant d’Angel Bunny, frappant du pied et fixant le draconequus avec une aversion visible à l’œil nu. Discord s’amusa en provoquant le lapin en faisant des grimaces qu’il était le seul à pouvoir faire. « Ce n’est pas comme si tu ne partais pas sans des petites pattes trottant ici. »

« C’est vrai », dit Fluttershy. « Je pense que j’ai la plus grande famille de Poneyville. » Elle prit le lapin, le câlina, et le redéposa sur le sol avant qu’il puisse inspirer plus de créativité chaotique.

« D’autres révélations stupéfiantes sorties de votre petite rencontre ? » dit Discord, se référant aux jours de réunions précédents entre la princesse Celestia et les porteuses des éléments d’équilibre.

« Tu sais, à chaque fois que je vois la Princesse, elle me dit à quel point tu l’as beaucoup aidée. Elle a dit que tu n’étais plus le tyran que tu étais il y a un millénaire. »

« Ah, cette Celestia. Toujours charmante », observa sèchement Discord. « Personne ne fait des compliments comme elle. Peut-être qu’un jour, elle le dira à tes amies. »

« Elles reviennent de loin. Je sais qu’elles seraient tes amies aussi si tu leur donnais ne serait-ce que la moitié d’une chance. »

« Pinkie Pie ? Possible. Les autres ? Peut-être. Mais honnêtement, où vois-tu cela dans Twilight Sparkle ? » Discord fit un bruit dédaigneux. « Quel lèche-bottes. Être élevée en tant que princesse aurait dû la soigner, mais ça a rendu les choses encore pires. Si elle avait le nez encore plus haut que la croupe de Celestia, elle pourrait goûter sa nourriture. »

Fluttershy perça Discord avec un regard qui ferait sortir de sa cachette un Ursa Major. Le froid recouvrait ses mots. « Ce ne sont pas seulement des Princesses dont tu parles, mais aussi de mes amies. Retire-ça et excuse-toi de suite. »

« Très bien. Je retire mes irrespectueuses, et pourtant exactes, remarques concernant la princesse Celestia et Twilight Sparkle et m’excuse humblement. » Un fouet apparut. Discord se pencha et se frappa vigoureusement le dos. « Mea culpa ! Mea maximum culpa ! » cria Discord entre deux coups de fouet. Cette vue aurait été horrifiante s’il ne se flagellait pas avec un boa en plumes roses.

Les sourcils de Fluttershy se froncèrent comme des nuages d’orage. « Si tu fais seulement semblant d’être désolé, alors je vais seulement faire semblant de te pardonner. Nous avons besoin de discuter d’autre chose. »

Discord sourit et se récompensa avec une tasse de thé. Voyant la tasse vide de Fluttershy, il se pencha pour atteindre la théière, les plis au coin de ses yeux s’approfondirent une fraction de seconde en la levant. Discord glissa sa griffe entre la théière et la déplaça pour remplir la tasse de Fluttershy. Tout autre poney n’aurait rien remarqué, mais la sensibilité de Fluttershy aux maux et douleurs de ses animaux n’avait fait que s’aiguiser avec les années. « Assieds-toi, et laisse-moi voir ta patte », demanda-t-elle.

« Qu’est-ce que tu- »

« Maintenant, monsieur. »

Fluttershy se retrouva en train de regarder sept pattes. Discord reposa son menton sur une huitième patte et bouda.

« Plus de jeux, s’il te plaît. » Le dernier mot portait toute la fatigue que ressentait Fluttershy devant les dérobades de Discord.

Six pattes se rétractèrent autour de la table. Fluttershy examina la patte restante d’avant en arrière, puis leva ses deux sabots et sonda avec précaution ses articulations. Elles étaient gonflées, et Discord grimaça quand elle ne toucha qu’une seule grosse jointure de ses doigts. Quelque chose ici était trop familier, et pourtant pas à sa place. « Tu as de l’arthrite », dit Fluttershy à voix basse. Son attention se déplaça de la patte de Discord à son visage. « Comment peux-tu avoir de l’arthrite ? »

Discord baissa précipitamment les yeux. « Ce n’est rien, vraiment », marmonna-t-il.

« Discord », insista Fluttershy.

« S’il te plaît, Fluttershy, tu te fais des idées avec- »

La voix de Fluttershy chancela. « Ne me dis pas que c’est ce que je pense être. »

Discord ferma les yeux. Ses mots suivants arrivèrent lentement. « Félicitations, inspecteur, vous m’avez attrapé, comme je le savais inévitable. » Il s’arrêta avant de confirmer les pires suspicions de Fluttershy. « Je vieillis. » Les yeux de Discord rencontrèrent à nouveau les siens. En eux, Fluttershy lut un appel à le comprendre. « Tu ne serais pas restée jeune avec moi, alors j’ai choisi de vieillir avec toi. »

Le champ de vision de Fluttershy se voila sur les bords. Le son de sa propre voix semblait venir à des kilomètres de distance. « Ça veut dire- »

« Un jour. Il y a longtemps. Je te promets que tu n’auras pas à pleurer à mon enterrement. »

Les deux sabots se mirent sur la bouche de Fluttershy alors que les larmes jaillirent. « Je t’ai fait ça. »

Discord leva les yeux au ciel. « Vous les poneys, vous pensez que tout vous concerne. Vous devriez vraiment penser aux autres. Personne ne m’a mis une arbalète sur la tête. Après onze mille ans, je pense que je suis capable de prendre mes propres décisions. »

« Tu n’avais pas besoin de faire ça. »

« Est-ce que je ne viens pas de le dire ? Bien sûr, je n’avais pas à faire ce que j’ai fait. J’ai choisi de le faire.

« Mais- »

Discord leva une patte et secoua sa tête baissée. Après un moment pour se reprendre, il parla, cette fois avec un ton plus doux. « Tu m’as une fois accusé d’être égoïste, de ne pas vouloir te partager avec d’autres. Tu avais raison. J’étais égoïste, et je suis encore égoïste maintenant.

« Je suis resté sur le quai et j’ai regardé, fier et auto-satisfait, pendant que des milliers de générations de poneys me passaient sur la rivière du temps. Maintenant, il y a un poney que je veux rejoindre sur le courant. Elle ira à des endroits que je n’ai jamais vus, et je veux les voir avec elle. Si elle refuse, si elle insiste pour me laisser sur le quai, je retirerai tout et resterai derrière. Mais Fluttershy, je te demande un seul acte de bonté : où que tu ailles, prends-moi avec toi. »

Fluttershy s’assit, ne disant rien, puis se leva et fit le tour de la table pour s’asseoir à côté de Discord. Elle prit sa patte et la massa tendrement.

« Tu n’avais pas à faire ça. »

« Chut. Les vieux amis prennent soin les uns des autres. »

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Des années plus tard, c’était au tour de Discord de prendre soin de Fluttershy. Sa santé déclinante la confina au lit, duquel Discord ne restait jamais loin. Il fit tout ce que Fluttershy ne pouvait plus faire. Il s’occupait de ses animaux, préparait ses repas, et la soignait avec dévouement. Il était à son chevet quand Fluttershy poussa son dernier soupir dans la profondeur d’une nuit d’automne.

Discord avait promis à Fluttershy qu’elle n’aurait pas à pleurer sur sa tombe. Au lieu de ça, lui, tout Poneyville et les bêtes et oiseaux des champs, pleurèrent sur la sienne. Fluttershy laissa le cottage à Discord et des devoirs à accomplir. Il travailla pour s’assurer que les animaux qui comptaient sur Fluttershy seraient soignés jusqu’à la fin. Il répara l’intérieur du cottage durant les mois d’hiver glacés et le sol et les extérieurs à l’arrivée du printemps. Discord trouva du réconfort à s’occuper du jardin qui avait fait la fierté de Fluttershy pendant tant d’années. Et il vit que, quand le temps viendrait, le cottage passerait dans des sabots dignes.

L’emprise de la vie sur Discord diminua avec chaque responsabilité dont il s’acquitta. Le cottage de Fluttershy fut la première et la dernière demeure que Discord connut, et son canapé, son seul lit. C’était là qu’il se trouvait, un dernier sourire apaisé sur ses lèvres, un an jour pour jour après la mort de Fluttershy.

Durant tout l’hiver, les poneys se demandaient ce que cachait ce dernier sourire. Beaucoup n’avaient jamais accepté l’idée que Discord soit autre chose qu’un monstre. Pour eux, la mort de Discord ne pouvait être qu’un tour, et ils attendirent avec crainte que le dernier fer-à-cheval ne tombe.

S’ils étaient sceptiques, ils étaient aussi romantiques, et deux opinions se séparèrent dans ce second groupe. Une partie croyait qu’au dernier moment, Discord avait regardé en arrière sur ses années de mortel et était heureux. L’autre partie pensait que, en tant que draconequus, il avait regardé en avant, vu quelque chose – ou quelqu’un – qui l’attendait au fond de la rivière du temps, et l’avait rejoint. Bien sûr, c’était une dispute idiote pour qui pensait que les deux parties avaient raison.