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Traqué

Une fiction écrite par Brocco.

Traqué

En dépit de ma vitesse, mon corps se glisse avec silence au milieu des arbrisseaux et autres buissons qui constituent le dense sous-étage de la forêt. Aucun d’entre eux ne m’entrave dans ma course, je les connais, j’ai grandi avec eux. Ils sont ma maison autant que ma famille, rejetons de la même mère au sein de laquelle je m’enfonce toujours plus profondément, espérant trouver refuge dans ses entrailles.

C’est ici que je suis né, formé à partir des débris de mastodontes ligneux dont l’existence avait finalement touché à leur terme ; ici que j’ai toujours vécu. Dans mon monde, la notion de fin n’a pas réellement de sens ; de la mort d’un arbre naîtront mes frères tandis qu’un autre de ses semblables profitera de cet espace nouvellement formé pour se faire enfin sa place vers les cieux.

Pourtant, pour la première fois de mon existence, je peux sentir que ce cycle a été rompu. Je sais que quelque chose a disparu définitivement et que jamais je ne le retrouverai. Je ne peux l’expliquer concrètement mais j’en ai pourtant la certitude, gravée au plus profond de mon être et faisant se déchainer en mon for intérieur une émotion inconnue.

Peine…

J’entends ma mère me parler, de sa voix douce et rassurante mais dans laquelle je peux pourtant ressentir un sentiment similaire à celui qui m’agite. De la peine ? Est-ce donc ainsi que l’on appelle cela ? Voici donc ce que l’on ressent lorsque survient la perte irrémédiable de l’un des siens ? Et est-ce qu’eux aussi éprouvent ce terrible chagrin quand nous leur retirons l’un des leurs ?

Je secoue machinalement la tête alors que je continue ma course effrénée, essayant par ce geste de faire disparaître ces réflexions de mon esprit. Pour le moment, tout ce qui m’importe est de trouver un endroit sûr d’où je pourrai échapper à la colère des animaux lancés à mes trousses.

Pourtant, je ne peux empêcher mes pensées de revenir inlassablement sur les derniers instants de ma fraternité, distillant en moi une douleur plus vive que les étranges blessures que je viens de recevoir et qui me lancent pourtant terriblement. Il y a une image notamment qui réapparaît sans cesse et trouble ma vision, toujours plus déchirante à chacune de ses apparitions. Celle de mes frères et sœurs, ou plutôt les morceaux de branches et de troncs qui constituaient auparavant leurs corps et qui reposaient dorénavant autour de moi, éclatés, divisés et désespérément inertes ; atrocement vides de ce fumerole verdâtre, de cette essence vitale insufflée par notre créatrice.

Je suis le dernier, la meute n’est plus. Je le sais et quelque chose en moi ne peut s’empêcher de hurler cette atroce vérité pour essayer de chasser cette terrible douleur. J’aimerais tant pouvoir faire de même bien que je sois certain que ce serait vain ; vociférer de tout mon soûl pour faire disparaitre cette… peine mais je ne le peux, pas maintenant. Ils sont à mes trousses et il me faut avant tout les semer si je ne veux pas suivre le même destin que le reste de ma fratrie.

Je peux sentir Mère qui tente de m’apaiser et de me guider de son apaisante voix maternelle malgré les tourments qui l’agitent elle aussi et qu’elle tente de contenir de toute sa volonté. Pourtant, je peux voir les légères crispations qui agitent les plantes et les buissons sur mon chemin, trahissant Ses sentiments. Tous se contractent doucement dans un discret concerto de craquements, transformant peu à peu leurs rameaux en d’étranges serres ayant l’air de s’apprêter à déchirer tout imprudent étranger qui oserait venir La défier.

Je continue ma route du plus vite que je le peux, hors d’haleine, m’enfonçant toujours plus profondément dans les tréfonds de celle qui m’a mis au monde et qui m’a bercé de son amour durant de nombreuses années. Mais je peux toujours entendre les cris du gibier devenu maintenant chasseur derrière moi. Eux aussi continuent d’avancer, apparemment libérés de la peur que nous leur inspirons ordinairement ma mère et moi. Cela se ressent particulièrement dans leurs voix ; si leurs cris restent similaires aux hurlements qu’ils poussent habituellement lorsque nous fondons sur eux pour nous repaître de leur essence, il y manque cependant cette terreur qui semble les gagner invariablement en de tels moments. A la place se trouve autre chose, un étrange mélange de détermination, de tristesse et de rage.

Haine…

Ainsi, cela se nomme comme cela? La haine ? Il est vrai qu’avant même que cela ne commence, nous savions qu’il y avait quelque chose d’étrange. Nous avons senti le gibier arriver vers nous, sans aucun détour, comme s’il savait où nous étions. Comme s’il nous cherchait. Alors nous aurions dû nous douter que les rôles avaient été inversés, que de chasseurs nous étions devenues proies. Pourtant, abrutis par notre orgueil et notre suffisance, nous n’avons ressenti que délectation à l’idée de ce repas facile qui venait naïvement, comme nous le crûrent à tort, se jeter entre nos crocs.

Même lorsqu’elles apparurent devant nous, émergeant avec fureur des fourrés, nous n’y avons vu qu’un simple groupe de six femelles ne se différenciant en rien de celles que nous rencontrions et que nous dévorions habituellement. Il y avait pourtant quelque chose de nouveau et d’inconnu dans leurs regards et dans leurs postures, une attitude aussi déterminée qu’enragée qui confirmait qu’elles étaient bien à notre recherche, pétries d’intentions hargneuses.

Je ne peux expliquer ce qui se passât l’instant d’après. Simplement une lueur qui émergea de la corne de l’une d’entre elles, une femelle au pelage pourpre et au crin violet, la douleur, puis la vue de mes frères et sœurs éparpillés autour de moi. Morts. Comment ai-je pu en réchapper ? Je ne le sais et sans doute notre agresseur lui-même en fut surpris car je pus percevoir dans son regard un fugace moment où la haine s’envola, remplacée par ce qui était visiblement un mélange de surprise et d’hésitation. Je ne pris cependant pas le risque de rester un instant de plus en si mauvaise posture pour essayer de comprendre la situation et m’engouffrai à toute vitesse dans les fourrés voisins.

Mais cet instant de répit ne dura qu’un court moment et je pus vite entendre leurs hurlements terrifiants s’élever alors que trois d’entre elles se jetaient sur mes talons, s’enfonçant sans aucune hésitation dans le sous-bois dans lequel j’avais disparu. Mais cela est vain, elles n’arriveront jamais à me rattraper. Elles sont ici chez moi, chez ma mère, dans ma mère. Elles peuvent essayer tant qu’elles veulent, se battre contre les lianes, buissons et autres plantes rampantes ou grimpantes mais tout ce qu’elles y trouveront, ce sera leur perte.

Ce sont les trois qui restent qui m’inquiètent le plus. Il semble qu’elles fassent toutes partie de cette fraction du gibier dotée d’ailes, la pire, celle capable de s’enfuir et de se mettre hors de portée en un instant si nous ratons notre attaque. Elles se sont par conséquent envolées, guettant maintenant au-dessus des arbres comme d’absurdes mais menaçants oiseaux de proie. L’une d’entre-elles est particulièrement bruyante, une femelle au pelage bleuté et à l’étrange crin multicolore dont les teintes me rappellent ces instants où pluie et soleil viennent se rejoindre en un arc d’une troublante beauté.

Elle se déplace rapidement et nerveusement d’un point à l’autre, les yeux dirigés vers le sol et vocifère régulièrement, bien plus souvent que les autres, d’une voix atroce et déchirée qui me fait à chaque fois tressaillir. Il y a quelque chose d’atroce dans ses beuglements ; ses propos m’ont beau être inintelligible, j’ai pourtant l’impression de la comprendre. Ce que j’entends en elle, ce n’est pas seulement cette… haine, il y a aussi autre chose, une douleur similaire à celle qui me ronge depuis que la meute n’est plus. Une peine profonde, atroce et déchirante, beaucoup trop semblable à la mienne.

Mais ce n’est pourtant pas elle qui me terrifie le plus. La femelle pourpre, celle qui a tué mes frères et sœurs, est elle aussi au-dessus de moi, battant plus maladroitement des ailes que ses congénères mais pourtant suffisamment rapide pour rester à mon niveau. Et je sais que si elle me retrouve, je n’aurai aucune chance.

Alors je continue de courir, toujours plus vite, vers des lieux toujours plus obscurs, espérant trouver mon salut dans les ténèbres. Au moins ai-je semé celles sans ailes. Ainsi il est bien plus difficile pour celles qui volètent au-dessus de moi de me retrouver mais je dois rester prudent et continuer à tout prix ma route. Je serai vraiment en sécurité quand je n’entendrai plus leurs inquiétants hurlements.

Soudain, quelque chose de rose apparaît devant moi, sans logique ni raison. J’étais pourtant certain que la route était libre et mon flair me confirmait cette impression : un instant plus tôt, il n’y avait rien ici. Pourtant mes narines sont maintenant emplies d’une odeur étrange, un musc qui pourrait me paraître doux et agréable s’il n’y avait pas la surprise due à cet être apparu incongrument juste devant ma truffe.

Mais pire, je la reconnais ; elle était avec le reste de la troupe qui mis à mort ma fratrie. Une femelle rose, de son crin parfaitement lisse au reste de son pelage, et aux yeux d’un bleu où fulmine une expression menaçante mais surtout étrange, presque irrationnelle. Comment a-t-elle donc pu se retrouver ainsi devant moi alors qu’elle était il y a quelques instants encore avec celles qui peinent loin derrière au milieu des lianes et des ronciers ?

Je n’ai cependant pas le temps pour essayer de comprendre. Qu’importe comment elle a réussi à se retrouver ici, elle ne pourra continuer à me suivre dans l’inextricable chaos qu’est désormais devenu le sous-bois de la forêt. Elle peut cependant appeler ses congénères, indiquant ainsi ma position, et pour cette raison il faut que je mette le plus de distance possible entre elle et moi.

Mais à peine ai-je eu le temps de faire quelques mètres qu’elle réapparaît à nouveau face à moi, sans qu’elle n’ait pourtant eu l’air de se déplacer. Alors encore une fois je me détourne, m’enfonçant au milieu d’un taillis épineux qui dissuaderait n’importe quel être fait de chair de me suivre mais pourtant elle réapparait à nouveau. Et encore, et encore ; peu importe la direction que je prends, elle finit sans cesse par se retrouver devant mes yeux. Il s’agit pourtant toujours de la même femelle, son odeur ne trompe pas, mais il y a toutefois quelque chose qui a changé en elle au fur et à mesure de ses apparitions inexpliquées. Je ne saurais dire quoi mais je suis cependant certain, sans savoir pourquoi, que cela est en relation avec l’étrange et inquiétant rictus qui traverse maintenant son visage ; un décalage sinistre entre la forme que prend maintenant sa gueule et l’expression de ses yeux.

Je n’ai donc plus le choix. Qu’importe la façon dont elle se débrouille pour toujours finir devant moi, il me faut m’en débarrasser. Et alors qu’elle apparaît à nouveau face à ma truffe, je me jette sur elle, tous crocs dehors. Il faut que cela soit rapide, je n’ai pas de temps à perdre. Mais ma mâchoire ne se referme que sur du vide, elle n’est plus là. Je ne sais comment mais elle est désormais derrière mon dos et se met soudainement à hurler d’une voix stridente aussi atroce que terrifiante.

Elles savent tous où je suis maintenant, c’est certain. Alors à nouveau je m’enfuis du plus vite que je le peux, même si je commence à perdre espoir. Cet étrange sentiment, la peur, me ronge toujours plus à chaque instant et je me sens désormais sur le point de flancher, moi, un prédateur qui n’inspirait auparavant que crainte et respect.

Mes pensées sont désormais complètement embrouillées et je ne sais même plus où je vais. Tout ce que je veux, c’est simplement disparaître et mettre fin à ce cauchemar. Je peux entendre ma mère qui continue de me parler, tentant sans doute de me rassurer, mais je n’arrive pas à l’écouter, mon esprit désormais trop embrumé par le deuil et la peur pour pouvoir me concentrer sur autre chose que l’instant immédiat. Sa voix devient alors progressivement de plus en plus forte, de plus en plus pressante, brisant finalement la bulle dans laquelle j’étais plongé.

Mais c’est trop tard. Je peux maintenant entendre de violents craquements s’approcher de moi à toute vitesse, comme si un animal massif et implacable était en train de se tailler un chemin parmi les branches et les ronces à la seule force de ses muscles. Ma génitrice a pourtant essayé de me prévenir mais c’est maintenant trop tard, je suis tombé dans leur piège. Elles m’ont poussé sur son chemin. Non, elle m’a poussé sur son chemin, me rabattant exactement de la même façon que nous le faisions avec la meute quand nous les prenions en chasse.

Alors il émerge brutalement dans un répugnant bruit de branches brisées, un mâle de cette même race équine à la forte carrure, portant un étrange collier de bois autour du cou et au pelage rouge meurtri par son passage en force dans les entrailles de ma mère. Sans aucun doute possible, il fait partie de la troupe lancée à mes trousses, je peux le voir dans son regard. J’y retrouve cette même expression farouche et haineuse à mon encontre.

Sans perdre un instant je me détourne, essayant de le semer en me faufilant avec souplesse milieu des ronces, des lianes et des buissons mais il n’est pas de la même trempe que les deux femelles qui peinent derrière moi ni de ce surnaturel être rosâtre. Ce massif animal n’essaye pas d’éviter les obstacles, il passe simplement au travers, arrachant tout sur son passage, mu par une vigueur surnaturelle et terrifiante qui trouve sans aucun doute sa source dans l’inextinguible rage qui semble l’habiter.

Et il hurle sans cesse, d’une voix abominable de laquelle ressort une douleur similaire à celle de la femelle à la crinière multicolore sauf que son timbre possède quelque chose de différent et d’encore plus effrayant. Les sons qui sortent de sa gorge ne sont que raclements bestiaux et chuintements déments, comme si cette bête n’avait pas pour habitude d’utiliser cet organe, dont le caractère primitif pourrait prêter au ridicule dans une autre situation mais en ce moment, il n’en est rien. Bien au contraire, cela ne fait que renforcer la rage et la haine qui exsude de cet animal.

Ses vociférations sont presque continues, la bête ne s’offrant que de très rares pauses pour reprendre son souffle alors qu’il continue de se frayer violemment un chemin au sein de l’être qui m’a mis au monde. Il la blesse, il la martyrise et je sens la rage autant que le désespoir se battre dans mon cœur. Je ne peux tolérer un tel outrage mais je ne peux pas non plus m’arrêter pour l’affronter. Si je commettais une telle folie, je serai sans aucun doute immédiatement broyé et laissé à la merci de la femelle violette.

J’entends toujours la voix de ma mère mais elle ne me parle plus directement, ce ne sont que maintenant que lamentations emplies d’une souffrance et d’une colère non dissimulée, sans cesse alimentées par les meurtrissures que lui inflige mon poursuivant. Je peux alors sentir cette menaçante vigueur envahir toujours plus profondément la végétation tout autour de moi, les crispations se faire de plus en plus fortes et la moindre plante commencer à être prise de spasmes dont la violence a l’air de monter en crescendo. Ma créatrice est en train de se réveiller pour venir à mon secours et faire payer à ces impudents le prix de leur arrogance, mais elle a besoin pour cela d’encore un peu de temps et j’espère pouvoir tenir jusque-là.

Sauf que mon espoir s’effondre au moment où, traversant un massif de bruyères particulièrement épais, je débouche dans un puit de lumière, trouée laissée par la chute d’une arbre imposant dont les racines, désormais exposées à l’air libre, me font face. Erreur fatale qui causera sans aucun doute ma perte car l’instant d’après, les femelles ailées, qui suivaient visiblement les beuglements du mâle, atterrissent face à moi alors que ce dernier débouche à son tour dans mon dos, déracinant pour partie les buissons qui se trouvaient sur son passage dans sa course effrénée.

Le gibier m’encercle alors mais pourtant ne fait rien d’autre, comme s’il attendait quelque chose. Seule la femelle à la crinière multicolore continue de hurler mais cette fois, cela semble être directement à mon égard, comme si elle cherchait à mettre en place un impossible dialogue entre elle et moi. Elle semble finalement réaliser l’espace d’un instant l’incongruité de ses actions mais reprend pourtant rapidement de plus belle, de longs filets de larmes coulant désormais de ses yeux magentas, tout en se retenant difficilement de me sauter à la gorge. Et à nouveau je ressens au fond de ses braillements cette même peine que celle qui me torture depuis le trépas de mes frères et sœurs. Mais pourquoi ? Qu’a-t-elle donc à me reprocher ?

La femelle pourpre reste quant à elle silencieuse, ce qui la rend d’autant plus menaçante bien que son regard d’une noirceur terrifiante suffise à lui seul à me faire comprendre le sort qu’elle me réserve. La dernière du groupe, en plus du mâle dont je peux ressentir le souffle lourd et rauque dans mon dos, est un petit être jaune au crin rosé dont l’attitude diffère drastiquement de celle de ses congénères. Je peux ressentir d’ici son malaise au travers de son langage corporel et de ses yeux fuyants, étonnamment absents de toute rage ou haine et où semble plutôt dominer une certaine indécision confuse à mon égard. Que fait-elle donc avec eux si sa présence en ce lieu sacré la met à ce point mal à l’aise ?

Mes réflexions sont brisées lorsque je remarque qu’une autre femelle est arrivée dans la clairière, assise à l’extrémité de mon champ de vision. Au fait qu’elle soit apparue sans que je ne l’entende ni ne la sente venir, je sais qu’il s’agit de cet étrange être rose avant même que je ne la regarde. Elle aussi jure avec le reste de ses congénères en raison de l’expression étrangement joyeuse de son visage qui jure pourtant fortement et sinistrement avec son regard. Comme celui de la femelle jaune, il est lui aussi vide de toute haine ou rage sauf que la confusion y est aussi totalement absente. Il y a autre chose à la place mais je suis incapable de trouver de mots pour décrire l’expression qui s’en dégage autre que « malsain ». L’on dirait que le fait de m’avoir piégé n’est pour elle que source d’un profond plaisir qui sera bientôt décuplé une fois la sentence à laquelle ils me condamnent accomplie. Elle suinte le sadisme, tout simplement, et à cette vision, je me retrouve traversé d’humiliants tremblements.

Nous restons encore là sans bouger durant de longues minutes. Je n’essaye pas de m’enfuir, je sais que le moindre faux-mouvement de ma part scellera mon destin, la femelle pourpre ne déviant à aucun moment ses yeux de mon être. Je sens cependant ma mère continuer à s’éveiller petit à petit et je conserve encore l’espoir qu’elle pourra me sortir de cette situation désespérée à temps.

Je sais pourquoi ils patientent, je les sens de toute façon s’approcher depuis le début. Ils attendent simplement les deux derniers membres de leur harde, celle au pelage orange et celle à la robe blanche, qui traversent douloureusement et à grand peine l’inextricable sous-bois de cette portion primordiale de ma créatrice. Mais elles aussi finissent enfin par déboucher dans cette clairière, sales, épuisées et éraflées de toute part. Pourtant cela ne semble pas avoir tari en quoique ce soit leurs griefs à mon égard et leurs regards sont pareils à celui de la femelle à la crinière multicolore ou du mâle rougeâtre dans mon dos ; des puits emplis d’une haine sans fin.

Sans perdre un instant, elles commencent à s’adresser à moi, de cette même voix déchirée par la colère et la douleur que celle de leur congénère cyan et agitant leurs sabots avec véhémence en ma direction. Mais à nouveau je ne comprends rien, si ce n’est leur peine et le fait que j’en sois apparemment responsable. La femelle orange finit alors par remarquer mon incompréhension et se calme momentanément pour porter sa patte vers l’étrange morceau de chair tannée qu’elle porte sur la tête.

Elle en sort une petite pièce faite d’une matière inconnue et rosée, parsemé de tâches de sang, et la jette vers moi d’un geste aussi dédaigneux qu’accusateur. Je l’ai déjà vue quelque part mais cela me prend un certain temps pour fouiller mes souvenirs. Et alors je me rappelle ; l’une de nos proies de la veille, une petite troupe de trois jeunes femelles qui s’étaient inconsciemment enfoncés sur nos terres pour leur plus grand péril, portait cela sur sa tête.

Est-ce donc cela qu’ils ont à me reprocher ? Est-ce pour cette raison qu’ils se sont ainsi lancés à ma poursuite ? Parce que nous nous sommes nourris et que cela mérite vengeance ? Je ne comprends pas, je n’arrive pas à voir la logique derrière tout cela. Je peux bien appréhender, pour l’avoir désormais vécu, la douleur qu’est celle de perdre un membre de sa meute mais de là à traquer les responsables, qui n’ont par ce geste rien fait d’autre que s’alimenter, cela n’a aucun sens. Le gibier semble cependant y trouver sa propre logique et commence à s’approcher doucement vers moi, prêts à rendre leur absurde justice.

Je peux alors voir la corne de la femelle pourpre qui commence à s’illuminer et je sais que ma fin est arrivée. Ma mère ne pourra pas venir à mon secours à temps mais au moins puis-je trouver réconfort dans le fait qu’elle ne les laissera pas sortir vivants d’ici, ses soubresauts laissant deviner un déchaînement imminent bien que malheureusement trop tardif. Et alors ce sera au tour de mes tortionnaires de goûter à la vengeance d’une mère. Car elle aussi ne tolère pas que l’on touche à ses enfants.

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LTMalmignatte
LTMalmignatte : #39459
Que dire ?
Franchement, je trouve ta fiction très intéressante dans le sens où on se met rarement à la place du prédateur, ce que tu fais à merveille. Cela permet de relativiser sur les notions de "bons" et de "mauvais". De plus, tu as une écriture agréable à lire, ce qui ne gâche rien.
Chapeau bas, l'artiste ! Et merci pour cet agréable moment.
Il y a 2 ans · Répondre
DragonaChainsaw
DragonaChainsaw : #38293
J'avais lu cette fanfic mais il semblerait, honte à moi, que je ne l'aie pas commentée. :/
J'aime beaucoup ces fics qui prennent non le point de vue des héros, mais ceux des antagonistes, si l'on peut dire, même si ça peut mettre un peu mal à l'aise au départ. En plus, c'est très bien écrit, ça m'a donné envie de lire d'autres de tes fictions. Rien n'est nommé de façon explicite, effectivement, alors c'est un peu flou au départ mais vraiment intéressant. Tu sais tenir ton lecteur en haleine, et c'est cool. :)
Il y a 2 ans · Répondre
Trickster
Trickster : #28140
Sacré challenge de réussir a tout faire comprendre sans jamais rien nommer ! Et c'est réussi ! J'ai rapidement compris ce qui pouvait pousser les Mane 6 à une telle traque furieuse mais découvrir le ruban rose est quand même un choc, ça confirme ce qu'on sait est le rend indéniable. (Schrodinger u_u) L'incompréhension du timberwolf face à l'ire illogique dont il fait l'objet est assez poignante je trouve, il n'a commit aucun crime et n'a fait que suivre son rôle de prédateur tel que la nature l'a voulue. Malheureusement sa proie ici est un être sensible et intelligent capable de répliquer.
Il y a 2 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #12617
DashieDashie01 février 2015 - #12441
Je dois avouer que je trouve ça génial et surprenant d'arriver à découvrir des personnes dans une fiction sans avoir de détails on va dire concret. Tu y arrives très bien je trouve ! c:
Merci beaucoup, c'était vraiment le challenge de réussir à écrire un truc où rien n'est concrètement nommé (un timberwolf qui connaît Rainbow Dash?) et cela me fait plaisir de voir qu'apparemment l'objectif est atteint.
Il y a 3 ans · Répondre
DashieDashie
DashieDashie : #12441
Brocco31 janvier 2015 - #12432
Farpaitement.
Je dois avouer que je trouve ça génial et surprenant d'arriver à découvrir des personnes dans une fiction sans avoir de détails on va dire concret. Tu y arrives très bien je trouve ! c:
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #12432
DashieDashie31 janvier 2015 - #12431
Et si j'ai bien compris , enfin , selon ma déduction , les personnes qu'elles veulent venger sont les Cutie Mark Crusarders ?
Farpaitement.
Il y a 3 ans · Répondre
DashieDashie
DashieDashie : #12431
Brocco27 janvier 2015 - #12194
Il est vrai que le mot "timberwolf" n'est jamais cité dans cette histoire mais oui, notre sympathique bien que malchanceux narrateur est bien un timberwolf.
Et si j'ai bien compris , enfin , selon ma déduction , les personnes qu'elles veulent venger sont les Cutie Mark Crusarders ?
Il y a 3 ans · Répondre
Brocco
Brocco : #12194
DashieDashie23 janvier 2015 - #11747
Si j'ai bien compris , c'est un Timber-wolf qu'elles pourchassent ?
En tout cas , ton texte est très bien écrit , et les émotions sont très bien détaillées , bravo ! c:
Il est vrai que le mot "timberwolf" n'est jamais cité dans cette histoire mais oui, notre sympathique bien que malchanceux narrateur est bien un timberwolf.
Il y a 3 ans · Répondre
DashieDashie
DashieDashie : #11747
Si j'ai bien compris , c'est un Timber-wolf qu'elles pourchassent ?
En tout cas , ton texte est très bien écrit , et les émotions sont très bien détaillées , bravo ! c:
Il y a 3 ans · Répondre
CompteSupprimé
CompteSupprimé : #11648
C'était très agréable à lire, bien que j'ai trouvé cela long. Après tout il s'agit d'une course poursuite, et on se perd beaucoup en flashback et en réflexion alors qu'on a une bête sauvage qui fuit des "prédateurs". Cela dit, ça met quand même énormément l'accent sur le ressenti et donne judicieusement les clefs pour comprendre ce qui se passe sans que ça ne soit dit clairement.

Très bon donc, bien que personnellement j'ai trouvé que ça traînait en longueur ; mais ce n'est qu'une question de goût de ma part.
Il y a 3 ans · Répondre

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