Sang bleu dans la fosse
La corne s’illumina d’une lueur bleu nuit et lentement l’astre lunaire se leva. La couleur du ciel se divisa en un magnifique dégradé de couleurs, évoluant du jaune doré au pourpre jusqu’à un noir profond. De plus en plus de points lumineux apparurent sur la voute céleste au fur et à mesure que celle-ci s’obscurcissait. La corne continua à briller, déplaçant les étoiles selon des motifs secrets qui témoignaient de l’humeur de l’alicorne à l’origine de ces prodiges.
Il était heureux que la population d’Equestria fût totalement ignorante de la signification de ces alignements sibyllins car il leur aurait sans doute été douloureux d’observer ainsi la peine de l’une de leurs princesses.
Une lancinante tristesse travaillait en effet l’âme de Luna. Cela faisait maintenant plusieurs années que son bannissement avait pris fin et qu’elle avait été purgée de la corruption de Nightmare Moon. Cependant, les premiers temps de son retour avaient été bien difficiles à vivre, laissée au second plan par sa sœur le temps que les poneys s’habituent à sa réapparition et les terrorisant plus que de raison quand elle essayait de se faire une place.
Fort heureusement Twilight Sparkle l’avait soutenu dans cette épreuve et la Nightmare Night de Ponyville fut sans doute le point de bascule où les choses commencèrent à s’arranger pour elle. On ne supprimait toutefois pas mille années de bannissement d’un coup de sabot et un désagréable sentiment, celui de ne pas trouver sa place, continuait de la travailler douloureusement. Elle se sentait archaïque, c’était le mot. Incapable de s’intégrer réellement dans un monde qui avait continué à évoluer sans elle durant des siècles et qu’elle avait par conséquent souvent du mal à comprendre.
La princesse sortit alors de ses appartements, espérant que marcher un peu dans le château lui retirerait ces pensées moroses. La nuit venant de tomber, le lieu était plongé dans un calme sépulcral, ravivant partiellement les plaies qui avaient en partie causé sa folie et son bannissement. Les poneys étaient une race essentiellement diurne, elle devait l’accepter. Du moins presque tous.
Des rires et des échanges animés se firent entendre au coin de l’un des couloirs et l’alicorne se dirigea vers la source de ce tintamarre. Elle tomba alors naseau à naseau sur trois de ses batponies, deux étalons, Grind et Smoke, ainsi qu’une jument, Sleep. Les trois gardes royaux furent un premier temps surpris de voir leur princesse apparaître inopinément devant eux mais cela ne dura qu’un léger instant. A la différence de sa sœur, Luna était très proche de ses soldats personnels, les batponies étant sans doute les plus à même de comprendre aussi bien les plaisirs que les tourments de la déesse de la nuit, et ceux-ci le lui rendaient bien.
«_Votre majesté, que faites-vous ainsi seule en cette belle nuit ? lui demanda Smoke, un sourire barrant dorénavant son visage.
_Je passe le temps, espérant qu’une promenade me dégagerait un peu l’esprit. Et vous, où allez-vous donc à ce point ragaillardi ?
_Sachez princesse que nous avons la chance d’être en permission cette nuit, lui répondit cette fois Grind. Et nous comptons bien mettre ce temps libre joyeusement à profit.
_Ce soir, nous nous abreuverons de musique jusqu’à la lie ! ajouta Sleep. »
Luna eut un léger sourire. La vie des batponies n’était pas toujours facile, les autres races s’en méfiant le plus souvent et renâclaient par conséquent à se mélanger avec eux. Les voir ainsi si heureux de participer à un évènement en dehors du château lui mit donc un peu de baume au cœur. Ils étaient un peu ses enfants et comme toute mère, elle ne souhaitait que les voir trouver leur place en ce monde. Mais cette pensée lui rappela aussi ses propres peines, très similaires aux leurs finalement, et sans doute cela pu se lire sur son visage car Grind lui demanda alors :
« Si je puis me permettre, vous semblez troublée votre majesté. Oserai-je, pour vous changer les idées, vous proposer de nous accompagner ? »
Sleep lui décocha alors un violent coup de coude assorti d’un regard chargé de reproches.
« Je pense que la princesse a d’autres projets à faire que celui de s’enivrer ! » lui dit-elle.
« La princesse n’a pas tant d’obligations en cette soirée ma chère amie, et le peu que j’ai à faire ne réveille en moi ni vigueur et encore moins envie, répondit Luna. Votre proposition me tente, je dois bien vous l’avouer, mais quelle est donc cette musique que nous irons écouter ? »
Une sorte de léger malaise apparut sur le visage des trois batponies, comme s’ils avaient le plus grand mal à trouver leurs mots pour décrire le concert qu’ils se préparaient à aller voir.
« Princesse, finit par reprendre Smoke, il est difficile de décrire cet art avec de simples phonèmes. Une fois que vous l’aurez vécu, de le comprendre vous serez plus à même. Toutefois je tiens à préciser qu’il s’agira pour vous de quelque chose de nouveau, mais je connais votre désir d’apprendre et je suis ainsi certain que ce ne sera pas un défaut. »
L’idée de découvrir un pan de la culture ponette qui lui était jusqu’à là encore inconnu intrigua en effet la princesse. Il était certes facile de maugréer sur ses difficultés à se mettre à la page mais elle devait aussi y mettre du sien. Et si Celestia venait à lui reprocher cette sortie inopinée, l’excuse était donc toute trouvée : en cette soirée, elle allait simplement à la découverte de son peuple.
« Ne dites pas un mot de plus mes amis, vous m’avez convaincue. Cette nuit je me joins à vous pour découvrir les joies de votre vécu » répondit-elle alors mais une étrange gêne apparut sur le visage des batponies.
« Princesse, se décida Sleep, pardonnez-moi de mon outrecuidance mais ne pourriez-vous pas changer votre apparence ? Personne ne s’attend à trouver une figure royale céans et cela pourrait être à tous trop impressionnant. »
La remarque de la jument était pertinente et qui plus est, y aller incognito serait sans doute plus riche d’enseignement. Une aura magique bleue et violette l’entoura alors entièrement avant de se dissiper rapidement. A la place de l’alicorne se trouvait désormais une batpony tout ce qu’il y avait de plus normal, enfin presque.
Vu le regard de ses trois compagnons et leur bouche à moitié entrouverte, elle avait l’air en effet de leur faire un effet particulier.
«_J’espère de tout cœur que votre altesse me pardonnera de mon impudence, commença alors Grind.
_Et soyez assurée que la beauté de votre forme naturelle dépasse déjà toute décence, continua Smoke.
_Mais vous voir ainsi rayonner dans la tenue de notre race nous laisse sans défense » termina Sleep.
Luna se mit alors à rire face aux compliments flatteurs de ses trois gardes. Leur simple compagnie allait à elle seule être suffisante pour lui faire passer une bonne soirée.
« Mais sur ce mes chers compagnons, cessons le vouvoiement si vous voulez bien, et appelez-moi désormais Moonlight afin que nul ne puisse reconnaître en moi son souverain. »
Et sur ces dernières paroles de l’alicorne, la troupe de batponies prit la direction de la sortie du château.
***
La salle de concert se trouvait au sous-sol d’une vieille manufacture à la bordure de la ville. C’était un lieu confiné, obscur et qui dégageait une odeur de sueur rance et de vieille bière. Le sol collait par ailleurs un peu au sabot, sans doute en raison des litres d’alcool qui s’y étaient renversés au fil du temps. Nous étions loin de la propreté et du faste de l’opéra de Canterlot ou des autres auditoriums où ses devoirs de princesse l’amenaient régulièrement mais cela convenait à Luna. Un peu de changement était bienvenue et tout cela attisait fortement sa curiosité.
Le concert, un groupe apparemment nommé Anaal Marethrakh d’après ses compagnons, n’avait pas encore débuté mais on pouvait déjà voir sur la scène une batterie et plusieurs amplis qui grésillaient patiemment. Les instruments à cordes, guitares et basse, étaient quant à eux posés sur différents racks de part et d’autre de l’estrade. Ce qui attira le plus l’attention de l’alicorne était cependant le symbole peint grossièrement sur la bannière qui se détachait à l’arrière : deux croches sales situées au centre d’un cercle, reliées par une ligature et barrées par deux traits perpendiculaires. C’était une image assez curieuse et Luna se demandait ce qu’elle pouvait bien signifier. Mais plus encore, elle avait du mal à imaginer comment des musiciens pouvaient ainsi arborer un signe qui rejetait apparemment la notion même de musicalité.
La petite troupe se dirigea vers le bar, ce qui était d’après Smoke une sorte de rituel à suivre lorsque l’on arrivait en avance à un concert. Les batponies semblaient particulièrement heureux ici et cela donna du baume au cœur à la princesse de la nuit. A plus forte raison quand plusieurs salutations et accolades s’échangèrent entre les gardes de Luna et des poneys d’autre race qui arrivaient petit à petit dans la salle. Ils ne semblaient avoir aucun souci d’intégration ici.
Il fallait dire que la faune qui commençait à peupler ce lieu était pour le moins… étonnante. Il y avait bien des poneys tout à fait normaux ici, tels ceux que l’on pouvait habituellement croiser dans la rue, mais la grande majorité détonait beaucoup plus. Certaines crinières étaient plus ou moins rasés en différents points, d’autres étaient exagérément longues et il y en avait aussi qui ne semblaient ne pas avoir été lavées depuis années, se transformant en un tas de dreadlocks plus ou moins entretenues. Il était aussi possible d’observer des poneys dont l’étrange coiffure accumulait ces trois caractéristiques.
Mais le plus inhabituel pour la princesse était l’abondance des modifications corporelles. Il n’était pas rare de voir sur le visage des membres du public des anneaux et autres bijoux perçant la chair en différents endroits -oreille, lèvre, naseaux…- allant parfois jusqu’à mener à l’écartement des orifices nouvellement formés en y insérant des ornements toujours plus larges. De même, nombre d’entre eux portaient sur leurs corps des dessins gravés à même leur chair, comme si leur cutie mark ne leur avait pas été suffisante et qu’ils avaient dû se rajouter de nouveaux symboles pour mieux se définir.
Luna se sentit un peu perdue. L’expérience était en effet nouvelle pour elle car jamais elle n’avait vu de tels poneys lors des entrevues et autres célébrations officielles depuis son retour. Et avant son exil, elle était absolument certaine que nul membre de son peuple ne portait ce genre d’attributs, à l’époque plus caractéristique des tribus zèbres. Cela renforça toutefois à ses yeux le bien-fondé de sa sortie nocturne : elle était heureuse de découvrir une facette de son peuple jusque-là inconnue.
Sleep sembla comprendre ses pensées et s’approcha d’elle.
«Tu es étonnée, je le vois, commença-t-elle, mais aussi impressionnant soient-ils n’aies aucune crainte. C’est un peu la beauté de la chose ici, tous sont accueillis quel que soit leur teinte. C’est sans doute pour ça que nous batponies nous sentons aussi bien ici. Car notre apparence n’est point un frein pour s’y faire des amis. »
A ce moment, les lumières de la salle commencèrent à perdre en intensité, remplacées par de puissants projecteurs rouges situés au-dessus de la scène et qui donnaient désormais à ce lieu une aura mystique. Luna suivi alors ses compagnons qui se dirigèrent vers le centre de salle, placés au milieu de la foule qui se rassemblait devant la scène. Le concert semblait sur le point de débuter.
***
Alors apparurent sous les acclamations bruyantes du public trois musiciens qui passèrent en bandoulière leurs instruments. A la surprise de Luna, un griffon se trouvait parmi eux, tenant la basse alors que les guitares étaient dévolues à deux poneys, un étalon et une jument dont l’apparence ne dénotait en rien de celle de leurs congénères présents dans la fosse.
Les trois instrumentistes se concertèrent alors avec des hochements de tête afin de démarrer au même moment et un son complètement inconnu de l’alicorne, grave, puissant et étrangement granuleux, roula alors sur le public. Luna n’avait jamais rien entendu de tel, c’était quelque chose qui lui était complètement nouveau et elle peinait à en donner une description satisfaisante. Cette musique qui sortait des amplis était… distordue. Oui, c’était sans doute ça le terme le plus satisfaisant pour décrire la chose : distordue.
Elle était jouée à un fort volume sonore, la rendant presque palpable. La princesse de la nuit pouvait sentir son corps vibrer d’une façon qui lui était totalement étrangère sous ces ondes exotiques, mais plus inattendu encore était l’impression que son for intérieur frémissait lui aussi face à cette curieuse harmonie. C’était une expérience étonnamment agréable : ce son, aussi agressif qu’il puisse paraître, la berçant alors qu’il se muait en une sorte de cocon de bourdonnements au fur et à mesure que toujours plus de vibrations étaient créées par les musiciens pour aller ensuite s’ébattre dans la pièce.
L’alicorne sursauta alors quand la batterie vint se joindre à la troupe, sa grosse caisse provoquant un déferlement de basses qui fit trembler son corps alors que le son sec et puissant de la caisse claire surnageait au milieu de ce tissu sonore, tel un repère lumineux au milieu de cette masse opaque. Le tempo était lent, appuyé, lourd et lancinant, et Luna pouvait voir tous les poneys autour d’elle dodeliner lentement sur leurs pattes, apparemment autant transportés par cette rythmique inexorable que par le magma sonore dans laquelle ils étaient immergés. Et à sa grande surprise, elle remarqua qu’elle en faisait inconsciemment de même.
Alors un nouveau poney vint rejoindre le groupe sur scène. Son crin était entièrement rasé et à la place avaient été gravés sur sa peau d’autres de ces étranges marques si présentes parmi les membres du public. Avec l’un de ses sabot, il porta alors le micro qui était resté au sol jusque-là et le porta jusqu’à sa bouche, ajoutant sa voix à cette étrange harmonie. Luna eut alors durant un court instant l’impression qu’un démon venait de s’échapper du tartare pour apparaître devant eux. Elle peinait à comprendre comment de tels sons, gutturaux, raclés et déchirés, pouvaient sortir de la gorge de l’un de ses sujets et elle avait le plus grand mal à qualifier cela de « chant ».
Pourtant il y avait quelque chose d’étrangement touchant dans cette absurde mélopée, l’inexplicable impression de partager quelque chose de sincère et d’enfoui avec un inconnu. Comme s’il s’était agi d’un langage cryptique qui leur permettait de se comprendre là où les mots étaient impuissants. Et pour la première fois de sa vie, elle eut l’impression d’avoir enfin réussi à trouver quelque chose qui entrait en résonnance avec certains sentiments indéfinissables qu’elle gardait secrètement en elle depuis des siècles.
Luna était ainsi subjuguée, captivée par cette force tellurique qui la faisait vibrer corps et âme et la touchait du plus profond de son être. Comme l’ensemble des poneys autour d’elle, elle balançait lentement son corps en suivant le rythme pachydermique mais paradoxalement entraînant, les hochements de sa tête marquant avec toujours plus de force les battements de la caisse claire et secouant ainsi sa crinière.
Combien de temps cela dura, elle ne sut le dire, l’alicorne ayant perdu toute notion du temps durant cette initiation. Toutefois, elle pouvait sentir une tension grandissante chez ses voisins, et même chez l’ensemble du public. Comme s’ils attendaient quelque chose d’imminent et qu’elle était la seule à ignorer, ce qui commença à distiller en elle un désagréable malaise.
Puis la chanson toucha à sa fin et les musiciens laissèrent le dernier accord s’ébattre naturellement dans la salle, celui-ci finissant par se transformer en un vif larsen dont le caractère aigu contrastait fortement avec le déferlement tellurique et ronflant qui avait précédé. Le raidissement des spectateurs gagna alors en intensité et Luna pouvait voir leurs yeux tous tournés vers la scène, comme s’ils attendaient un signal. Elle remarqua d’ailleurs que Grind, Smoke et Sleep étaient exactement dans le même état.
Puis quatre coups de caisse claire furent successivement frappés sur un tempo bien plus rapide. Et le chaos se déchaîna alors.
***
Luna eut bien du mal à comprendre ce qui lui tombait dessus les premiers instants. Au début, elle crut qu’un incident venait de frapper la salle, qu’elle s’était perdue dans un tumulte assourdissant, piégée en plein milieu d’un mouvement de panique. Puis son esprit finit difficilement par comprendre que cela était apparemment normal lorsqu’elle entr’aperçu fugacement le visage extatique de Grind dans la foule.
La musique avait perdu sa lourdeur et sa lenteur. A la place, c’était un véritable mur sonore qui se heurtait à l’alicorne. Les guitares et la basse avaient repris leur travail mais ne laissant cette fois le temps à aucune note de résonner, frottant constamment et hystériquement les cordes dans une cadence nerveuse et compacte. La batterie dirigeait ce rythme frénétique, alternant les coups de caisse claire et de grosse caisse à une vitesse qui défiait l’entendement. Le chanteur, qui désormais trottait de part et d’autre de la scène tel un animal en cage, avait quant à lui stoppé ses hurlements gutturaux et prenait maintenant une voix criarde qui déclamait des paroles inintelligibles avec un débit impressionnant.
Mais ce qui avait vraiment surpris Luna avait été le comportement général du public. Au moment où la vague sonique déferla sur eux, toute la tension qu’ils avaient accumulée s’était relâchée et ils se jetaient maintenant les uns sur autres dans une indescriptible cohue, à tel point que la princesse crut qu’ils avaient perdu la raison. Elle ne pouvait en effet s’empêcher de voir le danger dans une telle situation ; le moindre poney qui chuterait au sol serait instantanément piétiné.
Et comme pour confirmer ses pires craintes, elle vit en effet un étalon choir non loin d’elle suite à un mouvement de foule un peu trop brusque. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de s’élancer à son secours, l’ensemble de poney situés à proximité de l’infortuné se tournèrent vers lui et le remirent vertement sur ses pattes. L’instant d’après, le miraculé était de retour dans le chaos, un grand sourire sur le visage.
Luna resta éberluée par ce qu’elle venait de voir, un tel mélange de solidarité et de discipline au milieu de ce tumulte lui semblant aussi improbable qu’une relation amoureuse entre elle et le frère de l’héroïne Applejack. Ses réflexions furent néanmoins interrompues au moment où quelque chose lui tomba dessus. L’ensemble des spectateurs à sa proximité immédiate s’orientèrent alors rapidement vers elle pour supporter ce qui venait de valdinguer sur sa tête. Elle découvrit alors que la chose en question était un poney, qui continua sa route d’un chemin incertain, au gré de ceux qui se partageaient son soutien et qui semblaient parfois se l’échanger tel un irréel ballon.
En retournant son regard vers les musiciens, elle vit alors que de nombreux membres du public grimpaient sur la scène pour se jeter aussitôt dans la foule en suivant des mouvements plus ou moins acrobatiques. Elle eut une incontrôlable grimace en voyant certain poneys disparaître dans la masse, comme si personne n’avaient été là pour les ramasser. Pourtant, ils se relevaient invariablement, au moins un ou deux spectateurs étant toujours là pour amortir leur chute bien que cela n’était apparemment pas toujours volontaire.
L’enchaînement de ces situations éprouvantes laissait peu de temps à l’alicorne venue incognito pour reprendre ses esprits. Un ralentissement salvateur dans la musique jouée par le groupe survint alors et Luna remercia ce précieux interlude pour se calmer un peu, le public en profitant lui aussi pour prendre un second souffle. Cependant le chanteur déclama quelque chose d’inintelligible en faisant tourner son sabot libre de façon circulaire. Luna n’avait aucune idée de ce que cela pouvait bien signifier mais cela ne lui disait rien qui vaille.
Le tumulte reprit alors l’instant d’après dans un intense roulement de grosse caisse et la princesse fut emportée par la foule qui s’était, pour elle ne savait quelle raison, décidée à tourner en cercle en continuant toujours à se rentrer dedans. L’œil du cyclone n’était malheureusement pas plus sûr, celui-ci comportant plusieurs poneys qui agitaient violemment leurs pattes en une étrange danse.
Quelqu’un lui percuta brutalement le flanc et, en tournant son regard vers l’origine de cette perturbation, Luna identifia Smoke qui lui fit un clin d’œil et qui lui adressa des paroles qui se perdirent dans le tumulte du concert. Ragaillardie par la présence revigorante de l’un de ses amis, elle se prêta alors au jeu et continua à galoper en tamponnant tous ceux qui arrivaient à son contact.
Le circle-pit perdit alors en intensité et la foule retrouva sa cohue originelle. L’alicorne commençait alors doucement à comprendre le sens de ce dans quoi elle s’était fourrée. Aussi brutale que pouvait paraître la musique jouée par ces instrumentistes, désormais à la limite de la rupture, elle n’en était pas moins riche de variations. Les coupures et les changements de rythme étaient très courant, lui conférant une dynamique imprévisible mais vigoureuse et stimulante.
Et la foule semblait battre parfaitement à son rythme, se rentrant dedans avec véhémence durant les passages les plus intenses, s’arrêtant pour battre frénétiquement la tête à chaque fois que le rythme se faisait plus lent, mais aussi plus appuyé voir même dansant, et reprenant son souffle lors des cassures ou des très brèves pauses avant de se jeter à nouveau corps et âme dans la tourmente quand la furie recommençait.
Progressivement, l’alicorne intégra toutes ces nuances et finit par y plonger. Elle se laissa porter par cette musique si étrange mais dont l’intensité inégalée la rendait inexplicablement extatique. Le contact plus ou moins brutal des corps autour d’elle lui donnait le sentiment de s’intégrer dans un grand tout où tous s’unissaient en une sorte d’entité anonyme qui ne vivait plus qu’à la cadence dictée par ces sons tonitruants.
Il n’y avait rien de mauvais dans ces chocs répétés, dans ces corps qui se jetaient avec abandon de la scène vers leurs congénères, elle le comprenait progressivement. C’était au contraire un véritable exutoire, où chacun se délaissait de toute la tension qu’il avait accumulé au fil du temps et qu’il transformait en une danse primitive intense et profondément cathartique.
Luna se laissa finalement entièrement aller, l’ensemble de ses sens saturés par ce tumulte et son esprit pourtant pour la première fois en paix depuis des années, voir –il fallait bien le dire- depuis des siècles. Plus aucun trouble n’agitait ses pensées, plus aucune question sur ses fautes, son destin ou ses responsabilités. Elle était entièrement dans l’instant présent, vivant avec délectation cette transe furibarde, cette extase hypnotique qui faisait disparaître toute la pression qui l’écrasait en temps normal.
Mais progressivement, les instruments commencèrent chacun à leur tour de s’arrêter de jouer alors que le mouvement de la foule perdait en vigueur. En rouvrant les yeux, elle remarqua que tous l’observait avant de se rendre compte, au moment où un crin gazeux bleu nuit passait devant ses yeux, que dans son abandon, elle s’était laissée retourner à sa forme naturelle. L’apparition de l’une des monarques d’Equestria en plein milieu de ce concert avait de quoi décontenancer en effet et l’alicorne commença à se sentir gênée de briser cette expérience.
Alors, et sans savoir pourquoi, elle leva l’un de ses sabots en l’air et poussa le plus puissant et le plus guttural hurlement que la voix royal lui permettait de réaliser. Foule et musiciens montrèrent un instant surpris, autant par ce comportement inattendu venant d’une princesse que par la puissance de son souffle, mais n’attendit pas plus longtemps pour lui répondre. Chaque poney, zèbre, griffon ou âne présent dans la salle répondit à son appel, poussant le cri le plus puissant qu’ils étaient capables de réaliser, comme si tous cherchaient à faire honneur à l’invocation de la monarque.
Face à cette réponse aussi tonitruante que sincère, l’alicorne se sentit faiblir. C’était sans doute la première fois en des siècles de règne qu’elle se sentait aussi proche de son peuple et cet instant onirique resterait à jamais gravé dans sa mémoire. Son regard dériva alors vers ses amis batponies qui l’observaient et la fierté qu’elle put lire dans leurs yeux fut le dernier élément qui rendit cet instant à jamais magique.
Quatre nouveaux coups de caisse claire furent alors frappés et le tumulte, aussi bien sur scène que dans la fosse reprit. Malgré la présence d’une princesse parmi eux, rien ne changea dans le comportement des spectateurs et tous continuèrent à lui rentrer dedans où à lui tomber dessus comme si de rien était. L’unique différence se fit dans leurs yeux et à chaque fois qu’elle réussit à rencontrer un regard dans cette cohue, elle ne vit qu’un profond sentiment d’amour et d’admiration pour celle qui était descendue vivre ce moment parmi eux.
Mais le concert commençait à toucher à sa fin et la musique se calma. Le chanteur commença alors à effectuer de nouveau geste, dirigeant plusieurs fois ses pattes avant vers les deux côtés de la salle. La foule commença à se séparer en deux et cette fois Luna comprit très vite ce qui allait devoir être fait.
Apparemment tous avaient encore besoin d’un dernier choc, encore plus intense que tous ceux qui avaient précédé, pour bien terminer cette soirée et Luna le désirait elle-même ardemment. Elle sentait les poneys se presser à ses côtés, transportés par l’honneur de charger avec elle. Un sentiment similaire se lisait dans le camp d’en face à la différence que pour eux le privilège allait être celui d’aller à son contact. Il restait cependant quelques individus isolés sur l’espace vide entre chaque camp, espérant apparemment vivre la confrontation à l’endroit où elle allait être la plus intense.
La musique regagna lentement en intensité puis s’arrêta un court instant où le chanteur, avant de se jeter à son tour dans la mêlée, hurla un tonitruant « Pour Luna » que la foule reprit en cœur alors qu’ils se jetaient vertement les uns sur les autres et que la musique redémarrait, brutale, intense, viscérale, sincère, vivante.
***
« Lu’, est-ce que je peux te parler ? »
La princesse de la nuit reconnut sans problème la voix de sa sœur et se retourna.
«_Qu’y a-t-il Tia ? demanda-t-elle.
_Et bien j’ai entendu certaines histoires ces derniers temps. Des rumeurs comme quoi l’on t’aurait vu la nuit en ville à te battre avec certains de nos sujets » répondit l’alicorne céleste d’une voix gênée.
Luna eut alors un léger sourire. La déformation des faits quand elle passait par beaucoup trop de bouches était toujours amusante à voir.
«Ne t’inquiètes pas ma sœur, ce ne sont que des rumeurs comme tu le dis. Jamais je ne lèverai un sabot sur l’un de nos sujets, tu le sais bien.»
Celestia eut l’air un peu plus rassurée mais on pouvait toujours lire de l’inquiétude dans son regard.
«_Lu’, est-ce que tu es sûre que ça va ?
_Je n’ai jamais été aussi bien Tia, vraiment.
_Excuse-moi d’être si insistante. Je m’inquiète pour toi. »
Sur ces mots, l’alicorne de la nuit s’approcha de sa sœur et l’enlaça tendrement. En se séparant, un léger sourire apparut sur le visage de Celestia puis elle fit demi-tour, non sans lui avoir rappelé qu’elle était toujours là si elle avait besoin de parler.
« Je sais Tia, je sais » lui avait-elle répondue.
Luna arriva alors dans ses appartements et invoqua instantanément un sort d’insonorisation. Plusieurs amplis et une batterie traînaient dans le salon et Grind, Smoke et Sleep étaient en train de l’attendre. A son invitation, les trois batponies se dirigèrent vers leurs instruments, les deux étalons tenant respectivement guitare et basse alors que la jument allait se placer derrière les percussions.
La princesse de la nuit se plaça alors au milieu d’eux et donna le signa à Sleep, qui fit claquer alors quatre fois ses baguettes entre elles.
Il était temps pour Luna de voir ce qu’il était possible de faire avec la voix royale traditionnelle.
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Il y a en effet bien un petit clin d’œil à Lunar Obsession via les batponies, bien vu, même si les miens ont l'étrange manie de s'exprimer en rimes.
Et pour Devin, j'avoue ne pas avoir pensé à lui. J'avais en tête quelque chose de plus classique que son ancienne coupe héhé. Surtout qu'elle était à l'époque principalement due aux ravages de la calvitie, même si cela permettait d'entériner le personnage foufou qu'il jouait à l'époque.
" Il était aussi possible d’observer des poneys dont l’étrange coiffure accumulait ces trois caractéristiques" c'est moi ou tu décris Devin Townsend?
Et comme dirait l'autre : PUISSANCE METAL !!!
Luna confrontée au métal mdr