Nous sommes la source de toute vie, nous sommes le fondement de cette terre. Qu’importe que les Aînés ou les Anciens aient fait de notre domaine leur terrain de jeu il y a des éons de cela, s’amusant à modeler la vie qui y régnait selon leurs nébuleux desseins. Tout comme il importe peu que ce soit désormais les alicornes et leurs séides qui règnent aujourd’hui sur les astres et les éléments.
Les princesses peuvent bien se griser de leur puissance et de leur longévité, et leurs sujets les qualifier d’immortelles. Une telle assertion ne peut être que risible pour les membres de notre race, nous qui sommes nés avec ce monde et qui disparaîtront avec lui. Cependant, que pouvons nous attendre de plus de la part de ces insignifiants sacs de viande dont l’existence est moins qu’une étincelle dans les ténèbres du temps, s’arrêtant au moment même où elle a commencée ?
Mais Celestia et Luna ne valent guère mieux. Leur âge a beau se compter en siècles, en millénaires tout au plus, qu’est ce que cela vaut par rapport aux multiples éons qui ont précédé ? A l’échelle du Grand Tout, elles ne sont que des nouveaux nés et ne dépasseront jamais ce stade. Je peux bien leur concéder une admirable puissance mais que peuvent-elles concrètement contre l’inexorable force du temps ?
Elles ont beau pouvoir modeler la vie ou diriger les astres, et faire ainsi l’admiration de leurs sujets, mais que restera-t-il de tout cela lorsque les montagnes elles-mêmes auront disparu sous le poids des âges alors que de nouvelles se seront dressées vers les cieux ? Rien, je vous le dis. Pour celui ou celle qui connaît et vit au rythme pulsations du Grand Tout, une telle arrogance est ridiculement comique. Et si notre race était capable de rire, alors le monde serait perpétuellement assourdi par nos innombrables ricanements.
Mais cet orgueil n’est pas intrinsèque aux poneys, je dois l’admettre. Chez toutes les races qui ont précédé et qui se qualifiaient d’elle-même « intelligentes », j’ai pu voir cette pitoyable outrecuidance. Bipèdes, quadrupèdes ou autres centipèdes, toutes estimaient être le centre de cet univers et que ce dernier battait au rythme de leur cœur ou autre organe s’approchant.
Et toutes ont eu tort. Les moindres vestiges de leurs si glorieuses civilisations ainsi que leurs misérables carcasses ont depuis bien longtemps été arasées par l’implacable oppression des âges, à tel point que nul être actuel ne soupçonne leur existence passée.
Les poneys suivront le même destin, alicornes y compris. Comme toute chose organique, ils finiront invariablement par se flétrir et rejoindre le creuset du Grand Tout. Et le cycle continuera, comme il le fait depuis l’obscurité des premiers âges et comme il le fera jusqu’à la fin. Leurs plus grandes réalisations autant que leurs dépouilles seront le terreau des nouveaux êtres qui peupleront notre domaine.
Car nous sommes le substrat qui a permis l’établissement de la vie sur cette terre. Nous sommes ceux qui ont initialement cédé une part de nos êtres pour permettre sa venue. Ainsi, et même si nous n’en revendiquons pas la parenté, toute chose dotée d’une énergie vitale en ce monde est en partie le fruit de notre chair, bien que ce terme soit peu adapté nous concernant.
Pour cette raison, nous ne les haïssons pas. Bien entendu, leur insignifiance rend difficile tout attachement de notre part au moindre d’entre eux mais nous apprécions les observer. Silencieux spectateurs d’une engeance sur laquelle nous n’avons désormais plus de contrôle, nous étudions l’insondable chaos de leurs fugaces destins et à chaque instant nous apprenons.
Nous sommes partout, en tout temps et en tout lieux. Notre présence est indissociable de ce monde et pourtant rares sont les yeux qui nous voient tels que nous sommes. Car au travers des âges, nous avons toujours été perçus de la même façon. De simples éléments du paysage. Au mieux utiles, au pire une gêne. Insignifiants. Inertes.
Toutefois, il arrive parfois que l’un de ces êtres organiques réussisse à transcender les limites échues à sa propre espèce et parvienne à nous comprendre ainsi qu’à communiquer avec nous. De telles expériences sont rares et par trop fugaces. Car si le savoir que nous leur transmettons leur permet de limiter la désagrégation de la chair, dépassant largement la longévité moyenne de leurs congénères, tous finissent par succomber à l’inéluctable poids du temps.
Mais pourtant, nous essayons de mettre au mieux cette période à profit. Parce que la rareté même de cette anomalie nous invite à en profiter quand l’occasion se présente. Aussi du fait du divertissement que nous procurent les évolutions inattendues de la destinée des êtres organiques qu’induisent invariablement de tels contacts. Et enfin, en raison d’un étrange sentiment paternaliste qui nous pousse à retrouver, ne serait-ce que temporairement et individuellement, un lien direct avec le fruit partiel de notre chair.
Ainsi, nous partageons avec eux nos éons de savoir, aussi bien nos connaissances propres que celles de ceux qui les ont précédés. Cette transmission ne peut être qu’incomplète bien entendu, car le temps joue contre nous et nul organisme ne peut ingérer cette somme de sagesse avant que son corps ne retourne à la poussière. Cependant, ce simple fragment offre au récepteur une vision de l’univers transcendant largement celui des plus grands sages de sa propre espèce.
Nous y gagnons nous aussi, car cet être deviendra en quelque sorte notre relais dans le monde organique et pourra, grâce au fruit de notre enseignement, réaliser de nouvelles découvertes qui continueront à alimenter notre incommensurable connaissance. C’est ainsi que nous fonctionnons depuis les temps les plus reculés, continuant perpétuellement à apprendre aussi bien par l’observation, car presque rien ne nous échappe sur cette terre, que par ces actions indirectes.
La ponette qui me tourne en ce moment le dos, attablée à son bureau et étudiant à la lueur d’une bougie d’antiques textes chtoniens dont l’espèce même qui les a rédigé a été oubliée depuis longtemps, est la dernière de ces êtres avec qui nous avons réussi à lier contact. Et elle est sans doute l’une des plus prometteuses qu’il n’y ait jamais eu.
Les poneys sont une espèce étrange, chaque individu possédant un talent spécial qui le différencie des autres et qui s’exprime par une cutie mark sur leurs flancs. Et c’est grâce à cela que nous pouvons sans difficulté affirmer le lien profond entre cette ponette et notre race, car sa propre cutie mark représente l’archétype de l’une de nos individualités. Dire que ce serait l’un d’entre nous serait en effet faux, car notre race n’est qu’un grand ensemble, se fragmentant et se réagglomérant au fil des âges tout en restant fondamentalement indivisible.
Pour ses congénères, cette marque ne représente pourtant qu’un domaine d’étude, une passion pour un sujet qu’ils considèrent en général comme inintéressant. Cela vaut mieux pour eux car ils deviendraient sans doute fous s’ils connaissaient l’écrasante vérité qui gouverne leur monde. Ainsi, en guise d’exemple, il est possible d’observer les ravages qu’une telle révélation a eu sur la psyché de la sœur de cette ponette, alors que dans sa jeunesse elle lui fit part de la découverte de ses capacités et des vérités que cela impliquait.
Toutefois, la réaction que l’on retrouverait le plus souvent chez ses congénères si elle leur énonçait ces faits glacés et pourtant terriblement véridiques, serait sûrement de la catégoriser comme mentalement insane. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que toutes les espèces dites « intelligentes » ayant existé à travers les âges se voient prises des mêmes pulsions xénophobes quand on leur ouvre ne serait-ce que partiellement l’esprit sur l’immensité et la froideur de l’univers dans lequel ils évoluent. A croire que rejeter la folie sur l’autre est pour eux le seul moyen de ne pas y succomber.
Fort heureusement, la ponette n’est pas un être sociable, comme l’étaient la majorité de ceux capables de communiquer avec nous. La raison en est son tiraillement entre deux mondes évoluant selon des rythmes profondément différents. Car pour des êtres tels que nous, il reste difficile de s’axer sur les cycles journaliers sur lesquels se base la vie organique.
La communication ne devient alors réellement possible que lorsque l’être de chair parvient à se distancer de son propre métabolisme afin de se calquer à l’extrême limite du nôtre. Le revers de la médaille est alors que ces individus deviennent froids, stoïques, et finissent fatalement par se détacher de leur propre espèce.
Mais cela n’est jamais vécu comme un fardeau. Leur esprit se tourne vite vers les titanesques possibilités que notre savoir leur offre et finissent par en oublier leurs congénères. Seuls les liens les plus intimes subsistent, bien qu’ils se voient invariablement érodés par l’inexorable course du temps. Mais ce détachement est au final une bénédiction, atténuant leur souffrance alors que les êtres qui leurs sont proches se fanent fatalement pendant qu’eux même semblent rester immuables.
Ainsi, tel sera le destin de cette même ponette et elle en a parfaitement conscience. Et comme tous ceux avant elle, ce ne sera pas un frein. Les êtres qu’elle aime disparaîtront, c’est une fatalité à laquelle tous sont confrontés. Mais elle a cependant la chance de posséder une connexion unique avec notre race, lui ouvrant des possibilités vers un savoir et une puissance que même les princesses Celestia et Luna ne peuvent qu’à peine appréhender. Sa voie est tracée et elle l’a pleinement acceptée. Ïa !
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Maud Pie s’étira lentement. La bougie était presque entièrement consumée et de la cire débordait du chandelier, certaines gouttelettes maculant désormais le bureau. Elle n’avait pas vu le temps passer, absorbée par l’étude de cet antique ouvrage, et la course de la Lune était déjà bien avancée. Il était temps de se reposer.
La ponette se leva de sa chaise et avança vers la roche posée sur le buffet auparavant situé dans son dos.
« Viens Boulder, nous continuerons demain. Après tout, nous êtres de chair avons bien besoin d’un peu de repos de temps à autre, n’est-ce pas ? »
Sur ces mots, elle mit la pierre dans la poche de sa tunique et sortit de la pièce le chandelier au sabot, la plongeant dans de silencieuses ténèbres.
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Hmmm... Sinon à part ça, pendant ma lecture je n'ai pas trouvé de fautes de français.
Bref, chapeau pour avoir réussi à faire tenir 1500 mots sur un sujet comme ça, je ne pense pas que j'aurai pu faire mieux que 500 dans mon cas.
Je note "à lire".
Une fiction à lire en tout cas, avec un esprit très Lovecraftien dans l'âme. J'adore.
Boulder a en effet beaucoup de choses à nous apprendre