Epilogue : Le fruit de la promesse

Chrysalis honora ses engagements. Elle libéra le groupe de Twilight exactement deux journées après le départ d’Applejack de son palais. La reine changeline alla même jusqu’à les libérer elle-même. La disciple de Celestia jeta un regard à l’expression mi-figue, mi-raison de celle qui avait eu le culot d’attaquer Canterlot. La licorne mauve savait qu’il y avait anguille sous roche derrière tout cela, mais elle ne pouvait rien faire sur le moment. Une fois à la surface, elle avait conduit le groupe jusqu’au renfoncement de pierre où était dissimulé leurs affaires.

Les juments les récupérèrent et s’apprêtèrent à repartir en direction du désert lorsque Twilight extirpa de sa sacoche sa dernière carte : la formule de téléportation longue portée que lui avait confié la princesse Celestia. Quand elle eut lu les consignes laissées par Star Swirl le barbu, elle poussa un soupir de déception : ce sort était incapable de les conduire là où était un poney bien particulier. Ne sachant pas où Applejack se rendait, il était impossible de la rejoindre pour l’arrêter. En désespoir de cause, elle employa le sort qui la viderait de sa magie durant une semaine entière pour rentrer saine et sauve avec ses amies à Ponyville.

Elle n’eut aucun problème avec ses capacités à lancer le sortilège, ce qui leur épargna un fastidieux voyage de retour qui se serait déroulé en plus dans une ambiance pesante. Elles avaient rangé leurs affaires avant de reprendre une vie presque normale. En effet, elles avaient décidé de relayer Spike les unes après les autres au chevet des Apple. Ce petit manège ne dura pas longtemps, car les trois alités reprirent conscience une journée à peine après leur arrivée.

En apprenant la nouvelle, tout Ponyville bondit de joie. C’était pour le village la fin d’un cauchemar qui avait duré de longs mois. La seule ombre au tableau fut qu’Applejack n’était toujours pas rentrée. Cependant, tout le monde fut si content de retrouver de prime abord le restant des Apple qu’ils organisèrent une petit fête. Granny Smith, Applebloom et Big Macintosh ne comprenaient pas vraiment la signification de tout ce charivari. Pour eux, c’était comme s’il n’avait dormi qu’une seule nuit. Ils ne voulurent pas croire que plus de deux mois avaient passé (notamment Granny Smith) depuis l’attaque malheureuse du changelin. D’ailleurs, ils n’en avaient conservé aucun souvenir…

Néanmoins, ils se joignirent volontiers à cette fête après avoir vu tout ce qu’avait accompli les habitants durant leur coma. Seules les amies d’Applejack n’étaient pas de la partie. Elles avaient noté avec perplexité qu’aucun des trois Apple ne s’était soucié du sort d’Applejack. Elles se couchèrent par conséquent très tôt, se demandant ce que l’avenir leur réservait…

La terrestre orange était partie de la grotte le lendemain matin suivant sa confrontation avec Nameless. Elle en portait encore les stigmates : traces de morsures au sabot, coup de griffe au niveau de l’arcade sourcilière, hématomes disséminés tout le long du corps… Elle avait mal rien que de bouger ses muscles. Pourtant, elle avait quand même repris la route, plutôt que de se reposer. Elle n’avait qu’une hâte : savoir si sa famille était enfin tirée d’affaire.

Bien qu’étant partie à peine le soleil levé, elle n’arriva qu’à son coucher à Ponyville à cause de ses blessures. Il restait quelques habitants encore dans les rues et certains désignaient Applejack du sabot dans un sursaut d’excitation. Mais la cow-pony, hagarde, n’y prêta aucune attention, se contentant d’emprunter le sentier conduisant à Sweet Apple Acres.

Bientôt des odeurs familières qu’elle n’espérait plus sentir firent leur grand retour. La fermière put peu après contempler les vergers plantés sur les terres de la famille Apple, léguées par la princesse solaire. Elle était contente de pouvoir enfin retrouver son chez soi après tout ce voyage. Dans peu de temps, elle reverrait enfin ses proches. A cette réflexion, elle eut un haut-le-coeur. Elle n’oubliait pas ce qu’elle avait négocié avec la reine Chrysalis. Pourtant, elle espérait au fond d’elle que ce ne serait pas si grave…

L’avenir allait lui montrer combien elle se trompait…

En arrivant sous le porche de la ferme, une silhouette canidée sauta sur elle en poussant des aboiements joyeux. Il s’agissait de Winona, célébrant à sa manière les retrouvailles avec sa maîtresse. Cette dernière caressa longuement sa chienne en s’excusant d’avoir été absente si longtemps. Son animal de compagnie lui lécha le visage tandis que la porte d’entrée s’ouvrit brusquement, laissant apparaître sa famille la plus proche.

Écartant avec douceur sa chienne, Applejack détailla ceux pour qui elle s’était battue, un sourire éclairant petit à petit son visage. Cette fois, c’était sûr ! Elle avait sauvé sa famille ! Tout allait pouvoir redevenir comme avant. Un petit bonheur campagnard des plus simples, mais un bonheur inestimable. Toutefois, la première parole qu’elle put entendre de la bouche d’Applebloom la fit brutalement revenir à la réalité :

“Ce n’est qu’Applejack. Retournons manger.”

Applejack. Pas AJ. Applebloom aurait normalement employé son diminutif. Il n’y avait aucune chaleur dans sa voix, comme si ce n’était rien. Les trois Apple avaient ensuite tourné les sabots pour repartir en direction de la cuisine, tandis que la jument à la crinière paille écarta avec force Winona avant de se relever. Elle aussi alla en direction de la cuisine, mais lorsqu’elle s’installa pour prendre sa part, Granny Smith lui donna un coup de cuillère en bois sur l’un de ses hématomes. Elle réprima un cri de douleur tandis que sa grand-mère lui ordonna d’aller se laver avant de passer à table.

Elle se leva pour prendre une douche, puis revint dans la cuisine. Excepté que tout était déjà débarrassé. La fermière se plaignit, demandant où était sa part, mais sa grand-mère fut intransigeante, lui expliquant que comme elle ne revenait pas, elle n’avait jamais prévu sa part en premier lieu. Sa petite-fille s’insurgea, rétorquant qu’elle prévoyait toujours davantage que le nécessaire. Granny Smith ne répondit rien sur le moment avant de lâcher :

“C’est peut-être vrai. En attendant, fais la vaisselle, tu veux ?”

Et sur ces mots, elle monta se coucher, tout comme l’avait fait Big Mac et Applebloom avant elle. Il ne restait donc plus qu’Applejack dans la cuisine, avec pour seule compagnie un évier rempli de vaisselle sale. Elle se mit par conséquent au travail avec tristesse. L’eau chaude coulant sur ses bleus la faisaient souffrir tandis qu’elle nettoyait un par un les couverts. Normalement, on se mettait à deux pour cette tâche, en général Applejack faisait équipe avec Applebloom, ce qui transformait automatiquement la corvée en partie de plaisir. Mais là, elle était toute seule et la vaisselle prit deux fois plus de temps.

Lorsqu’elle eut enfin terminé, elle monta l’escalier d’une démarche hésitante et particulièrement bruyante. Le retour de bâton arriva aussitôt :

“On aimerait bien pouvoir dormir !

-Pardon, bredouilla Applejack”

Parvenant enfin à sa chambre, la terrestre orange se laissa tomber lourdement sur le lit. Pas un Apple ne s’était inquiété de son état. Elle était quand même bien blessée ! Mais leur attitude à son égard était telle que c’était comme s’ils vivraient mieux sans elle à leurs côtés. C’était donc ça l’absence d’amour ? C’était ça qu’elle avait osé donner à Chrysalis ? Non, impossible, ils étaient juste de mauvaise humeur. Rien de plus. Tout irait mieux demain…

A l’aurore, Applejack était si épuisée qu’elle n’entendit pas le coq chanter. On tambourina à la porte de sa chambre avec violence. C’était Big Mac qui avait été chargé par Granny Smith de réveiller la retardataire. Comme cette dernière ne se réveillait pas, il ouvrit la porte avant de taper de la façon la plus forte possible dans ses sabots. La fille Apple se réveilla en sursaut et après une dizaine de secondes, le temps de s’habituer à la lumière, elle vit son frère lui faire signe d’un air sévère de descendre prendre le petit-déjeuner.

La cow-pony savoura le maigre repas qui lui fut servi, quand bien même cela ne remplissait pas sa panse. Était-ce ce genre de souffrance qu’avait dû supporter Nameless lors des plus sombres périodes de son existence ? Elle s’efforça de penser à l’ancien changelin, pensant que sa mort n’avait peut-être pas servi à grand chose au final. Lorsqu’elle eut mangé sa part, Granny Smith lui conseilla vivement de se mettre au travail. Aujourd’hui, on cueillerait les pommes. Big Mac était déjà en train de récolter les fruits tombés naturellement.

En sortant à l’extérieur, la jument alla par réflexe voir son frère pour lui demander la zone dont elle devrait s’occuper. Big Mac lui désigna alors une portion très conséquente du verger, comme si c’était naturel. Applejack essaya alors de défendre son point de vue :

“J’suis blessée. J’peux pas faire ça toute seule. Viens m’donner un coup de sabot.

-Nope.”

L’étalon écarlate poursuivit sa route en déclarant qu’il avait lui aussi beaucoup de travail. Comprenant qu’elle ne parviendrait pas à le faire changer d’avis, Applejack commença à donner des coups de sabot dans les pommier pour en récolter les pommes mûres. Chaque frappe qu’elle assénait dans l’écorce des arbres était une souffrance pour son corps. Elle ne put prendre de pause dans son travail, à l’exception d’un déjeuner frugal. Puis elle reprit sa laborieuse tâche avec toutefois un événement pour égayer sa compagnie : la visite de Fluttershy.

Applejack eut beaucoup de peine à cacher le plaisir que cette visite lui faisait. Elle savait au moins que ses amies pouvaient encore l’aimer. La timide pégase proposa de l’aider, mais elle refusa vivement, arguant que c’était encore faisable par ses propres forces. Fluttershy n’osa rien demander d’autre et surtout pas ce qu’il s’était passé avec le changelin. Pourtant, la cow-pony savait que tout le monde se demandait ce qu’elle avait bien pu faire de Nameless, mais elle ne voulait pas en parler. Comme elle l’avait proclamé dans la salle de Thaymis, elle assumerait ses actes. La pégase à la crinière rose lui posa néanmoins une question après avoir hésité un moment :

“Tout se passe bien avec ta famille ?”

La jument au stetson se figea dans son mouvement et en fut presque déséquilibrée. Elle demeura silencieuse pendant de longues secondes avant d’opter pour un énième mensonge, ne voulant plus inquiéter qui que ce soit :

“Tout va bien. Ils sont en forme, c’est tout ce qui compte.”

Fluttershy ne chercha pas à en savoir plus et resta toute l’après-midi avec Applejack. Cette dernière ne l’aurait pas admis à voix haute, mais elle était soulagée d’avoir quelqu’un comme la pégase pour lui tenir compagnie. Ça lui redonnait un peu de baume au coeur. Le soir, elle dîna en silence, se contentant de suivre la conversation de sa famille. A aucun moment on ne lui demanda d’intervenir. C’était comme si elle était de trop à table. Néanmoins, elle pouvait manger. Encore une fois, elle fut de corvée de vaisselle. Et le lendemain, il faudrait qu’elle presse les pommes en compagnie d’Applebloom.

Un nouveau jour se leva, et Applejack fut matinale. Elle mangea à toute vitesse avant de récupérer la cuve permettant de presser les pommes et entreprit d’y déposer les pommes. Une heure plus tard, Applebloom alla la rejoindre et elles commencèrent à presser de toutes leurs forces… en silence. D’habitude, c’était toujours une activité bruyante et joyeuse, une façon d’exhiber à qui voulait bien le voir leurs liens de fraternité. Mais là, c’était triste et morne… Applejack essaya de forcer les événements en aspergeant les yeux de sa petite soeur. Cette dernière le prit très mal et partit aussitôt rejoindre les Cutie Marks Crusaders, laissant sa grande soeur se débrouiller toute seule. Applejack fut si déprimée qu’elle ne remarqua même pas ce qui était dans le ruban papillon d’Applebloom…

Et jour après jour, la même rengaine. Toutes les choses auxquelles Applejack prenait plaisir devenaient de plus en plus désagréables. Elle n’aurait jamais cru que tout cela dépendait de l’amour que lui portait sa famille. L’amour qu’elle avait sacrifié pour les sauver. Parfois, une de ses amies venaient lui rendre visite pour lui remonter le moral, mais ce n’était pas suffisant. Surtout qu’elle était incapable de les appeler explicitement à l’aide. Elle commençait à s’épuiser, autant mentalement que physiquement, ses blessures ne parvenant pas à se refermer avec le travail qu’on exigeait qu’elle fasse.

Elle parvint à supporter une semaine de cette vie infernale. Puis il fallut qu’elle prenne rapidement une décision. Si cela continuait de la sorte, elle mourrait de chagrin, par les paroles et les actes de ceux qu’elle avait voulu sauver des mois plus tôt. Elle fit donc un choix douloureux : quitter une fois encore Sweet Apple Acres et Ponyville. Elle prit quelques affaires lui appartenant qu’elle enfourna dans un baluchon et partit discrètement juste avant que les Apple ne déjeunent. Elle avait également pris un peu d’argent, de quoi payer un billet de train. Toutefois, elle ne pensait pas qu’on la remarquerait dans le processus. Ce fut pourtant le cas. Une licorne blanche à la crinière violette coiffée la vit partir en direction de la gare. Rarity la vit partir.

La styliste réagit aussitôt et partit prévenir d’abord Pinkie Pie au Sugarcube Corner. A elles deux, elles allèrent chercher les deux pégases. Le quatuor alla ensuite toquer à la porte de Twilight avec empressement. Ce fut Spike qui ouvrit et qui laissa entrer les amies d’Applejack. Twilight était en train de rédiger un rapport sur l’amitié à destination de la princesse Celestia. Elle avait mis un temps fou à se décider, car il était presque impossible de retirer une leçon des récents événements. Elle s’arrêta d’écrire en entendant les voix affolées de ses amies.

“Que se passe-t-il encore ? demanda-t-elle avec agacement

-AJ s’est à nouveau enfuie ! raconta Rainbow Dash.

-C’est pas vrai, ça va pas recommencer ! s’énerva la disciple de Celestia. Je pensais que tout était terminé !

-Il faut croire que non, Twilight, répliqua avec douceur Rarity. Je l’ai vu prendre le train avec quelques bagages. Et tu aurais vu la tristesse sur son visage. C’était comme si elle n’avait plus le choix…”

A cet instant, on frappa à nouveau à la porte. Twilight s’approcha et l’ouvrit avec sa magie récemment récupérée. Il s’agissait de Derpy qui avait un courrier à livrer à la licorne mauve. Dès que Twilight toucha le parchemin, lequel avait une consistance étrange, la pégase s’envola dans le ciel. Lorsqu’elle referma la porte, la jument mauve vit le regard stupéfait de ses amies et de Spike se poser sur elle.

“Quoi ? Vous n’avez jamais vu quelqu’un recevoir du courrier par voie traditionnelle ? leur demanda Twilight.

-C’est pas ça, fit Fluttershy avec stupeur. Derpy… elle ne louchait pas…”

A cet instant, Twilight déplia le parchemin et constata qu’il était écrit avec une encre...non, une bave verte. Le parchemin comportait les mots suivants, rédigés d’une écriture élégante et pourtant terriblement effrayante :

Twilight Sparkle,

Si tu tiens ce message entre tes sabots, c’est que ta très chère amie Applejack a enfin compris ce que représentait ce qu’elle m’a vendu il y a quelques semaines. En effet, j’avais ordonné à l’un de mes minions de te donner cette lettre si elle partait précipitamment. Et qu’ai-je donc de si intéressant à t’écrire ? Très simple :

Tu as perdu !!!

Si tu savais combien j’ai rêvé de cet instant, très chère Twilight ! L’instant où je me vengerais de l’humiliation subie lors du mariage. Si tu n’avais pas été présente, disciple de Celestia, Equestria serait mienne ! J’ai longtemps cherché un moyen de te rendre la monnaie de ta pièce… Je l’ai ruminé ma vengeance, à un point que tu ne peux imaginer… Et cependant, je ne trouvais rien de suffisamment cruel qui ne m’attire point les foudres de Celestia.

Jusqu’à ce qu’Applejack parvienne à mon trône. J’ai rarement eu autant de chance. Alors que je croyais que la fuite de ce changelin Alpha serait source de malheur, il n’a fait que mon bonheur en attaquant la famille d’une de tes plus proches amies. J’ai donc tiré profit de la situation : je lui ai donné toutes les informations qu’elle désirait sans pour autant lui accorder ce dont elle avait vraiment besoin. Il a fallu qu’elle troque. Et tu sais ce qu’elle a troqué, Twilight ? Tu t’en doutes, n’est-ce pas ? Tu le savais avant même qu’elle ne vous laisse entre ma garde, pas vrai ? Tu te doutais au fond qu’elle avait troqué ce pourquoi elle se battait au fond de son coeur :

Le bonheur de sa famille. ELLE-MEME.

Oh, ce que j’aimerais être à tes côtés au moment où tu lis cette lettre ! Je me délecterais de ton impuissance, de ton incapacité à sauver Applejack ! Je savourerais également la tristesse de tes amies ! Ce sera mon seul regret dans cette affaire. Mais vois-tu, Twilight Sparkle, tu pourras dire à Applejack cela (si bien entendu tu la revois un jour) : quand l’on veut se venger, il faut être prêt à aller jusqu’au bout sans faire le moindre cas d’autrui. Et ça, elle en était incapable. Tu l’aurais vu quand elle a appris la vérité sur ce changelin. Elle était déchirée et elle ne savait plus quoi faire ! Et tu vois, je pense qu’aucun poney n’est capable de se venger ! Vous êtes des êtres trop pacifiques pour cela.

J’ai bientôt terminé, rassure-toi. Tu sais ce qu’elle m’a offert. Et bien surprise ! L’amour de sa famille pour elle est au moins deux fois plus puissant que celui de Shining Armor pour Cadance. Je te laisse imaginer la force que j’ai acquise sans même avoir à combattre, juste en manipulant un esprit sur le déclin. Allez, Twilight Sparkle, je vous laisse pleurer, toi et tes amies,

La reine des changelins, Chrysalis

P.S. : Transmets mes amitiés à Celestia. Qu’elle veille bien sur son royaume.

Au fur et à mesure que sa lecture de la lettre progressait, le visage de la licorne mauve devint écarlate de fureur. Elle transforma le parchemin en une boule avant de se précipiter sur une étagère à la recherche d’un autre parchemin en vociférant :

“JE VAIS TE LA FAIRE BOUFFER TA LETTRE, CHRYSALIS !!!!!!”

Nul doute qu’on put l’entendre à l’autre bout de Ponyville. La disciple de Celestia avait fait mine pendant tout ce temps que les actes d’Applejack ne la touchait pas alors qu’en vérité, elle se retenait d’agir. La missive de la reine était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Rainbow Dash fonça à ses côtés et la repoussa en arrière en lui ordonnant de se calmer :

“Tu comptes faire quoi, Twilight ? Réutiliser le sort de téléportation longue distance pour arriver devant elle. Ok, mais après ?

-Je vais la contraindre à rendre ce qu’elle a pris à Applejack, affirma avec assurance la licorne.

-Sans ta magie ? intervint Rarity. Tu vas la perdre avec le sort. Tu seras bien maligne devant une reine plus puissante que les princesses !

-On a perdu, Twilight, constata Fluttershy. Elle nous a tous eu.”

Cette phrase eut l’effet d’un coup de massue sur l’intégralité du groupe. Cette histoire ne connaîtrait pas le dénouement heureux qu’elles espéraient tant. Toutefois l’une des juments refusa de baisser les sabots. Rarity sécha ses larmes et ordonna à Twilight de se relever. Puis elle dévisagea la disciple de Celestia avant de lui dire :

“Il y a forcément une faille là-dedans. Chrysalis ne peut pas avoir totalement gagné. Et tu es la seule en mesure de prouver que c’est vrai. On t’aidera si besoin est, mais je t’en prie : ramène Applejack ici, peu importe le temps que ça prendra.”

Twilight la regarda, l’air grave, avant de hocher la tête avec force.

Deux semaines plus tard, Rarity partit en voyage d’affaires à Manehattan. Madame Orange lui avait commandé deux robes. La licorne blanche les apporta, mais avait néanmoins une arrière-pensée, se remémorant quelques paroles des précédents mois. Elle livra comme convenu les robes, prit le thé avec le couple orange avant de les laisser en milieu d’après-midi. Elle partit ensuite en direction du quartier portuaire, s’efforçant de ne pas prêter attention à la saleté environnante. Elle vit peu à peu se dessiner la silhouette du port. La licorne fut très surprise de l’activité qui régnait dans ce quartier. Elle se promena un peu au hasard là où les dockers travaillaient puis finit par remarquer un couple constitué d’un vieil étalon musclé à la robe bleue marine avec une cutie mark en forme d’ancre et d’une jument terriblement familière.

C’était bien Applejack. Rarity le sut instantanément. Elle fit signe à la terrestre qui la remarqua, mais elle se chargea d’abord de transporter la caisse à l’intérieur du hangar. Elle demanda à son collègue de ne pas l’attendre tandis qu’elle s’approchait de la styliste.

“Que fais-tu ici ? demanda-t-elle.

-Ta tante avait passé une commande au Carrousel, raconta la licorne. J’avais cru que je te verrais là-bas, mais je me suis souvenue que tu aimais bien ce travail de docker lors de notre séjour ici.

-Décidément, tu m’connais à la perfection, déclara avec admiration la jument orange. Allez, suis-moi, on va discuter sur la jetée.”

Rarity obéit à son amie qui la conduisit au bord de la mer, qui magnifiait davantage le soleil couchant. Lorsque la licorne blanche demanda à Applejack ce qu’elle avait fait après son départ de Ponyville, elle ne chercha pas à camoufler la vérité :

“J’ai aussitôt repris mon ancien emploi ici. Puis Anchor Sail m’a proposé d’habiter avec lui. Avec sa femme et sa fille Bubbles, j’ai l’impression d’avoir retrouvé la chaleur d’une famille. C’que j’ai plus avec la mienne. Par ma faute. De toute façon, je pouvais plus rester à Ponyville. Tout le monde pensait qu’j’étais une meurtrière. Ça se sentait.

-Tu n’es pas une meurtrière, l’interrompit Rarity. Ça se voit à ton regard. Et si tu me racontais comment ça s’est terminé entre toi et ce changelin ?

-Ce poney, rectifia Applejack. Si tu veux, mais par où commencer ?”

Elle prit ensuite un bon quart d’heure à raconter les événements de Winsome Falls. Rarity détourna les yeux par réflexe lors du récit détaillé de l’affrontement. Elle eut ensuite une exclamation d’étonnement et d’admiration lorsque son amie narra le sacrifice héroïque de Nameless.

“Dommage que ça n’ait servi à rien. A cause de mon pacte, je n’ai jamais récupéré mon bonheur. Et je ne le récupérerais sans doute jamais.

-Nous n’en sommes pas si sûres, avec Twilight, rétorqua Rarity.”

Sur ces mots, elle récupéra dans sa sacoche un livre avec une épaisse reliure de cuir. Elle le tendit alors à Applejack en prononçant les paroles suivantes :

“Je veux m’acquitter envers vous par quelque chose d’aussi précieux. Du moins, je veux vous faire voir une merveille dont vous pourrez être aussi satisfait que je peux l’être de mes terres.

-Ce n’est pas dans Manelet, remarqua Applejack.

-C’est exact, annonça la licorne. C’est une citation d’une des dernières tragédies de Shakeshooves, La Tempête.

-J’en ai marre des tragédies, Rarity.

-Excepté que cette tragédie est particulière, révéla avec un sourire la styliste. A la fin, tout le monde est pardonné et vit heureux.”

Applejack prit le livre et commença à le feuilleter. Tandis qu’elle en lisait quelques extraits, elle rétorqua à son amie que Nameless n’a jamais été pardonné et est mort. Rarity secoua la tête négativement avant de contre-attaquer sur la base d’Applejack :

“Tu as pardonné Nameless en refusant d’accomplir ta vengeance. Et c’est pour ça qu’il s’est suicidé. Il avait enfin trouvé le vrai bonheur : être excusé de son seul crime. Il est mort heureux, Applejack. Il souriait, tu l’as dit toi-même !

-Mais moi, je n’ai pas accès au bonheur.”

Rarity récupéra une photo dans son sac et la tendit à son amie. Elle représentait de profil Applebloom avec ses deux amies, Sweetie Belle et Scootaloo. Elle était très récente. La licorne blanche conseilla à Applejack de regarder très attentivement le ruban d’Applebloom. La terrestre s’exécuta et au bout de quelques secondes d’examen, réalisa qu’il y avait quelque chose accrochée au ruban. Un examen plus approfondi lui fit prendre conscience qu’il s’agissait de la demi-pomme qu’elle lui avait laissé. Et celle-ci était intacte…

“Elle ne s’en sépare jamais, expliqua Rarity. C’est son bien le plus précieux, même si elle n’en connaît pas le véritable sens. En tout cas, elle s’y accroche. Twilight et moi n’avons pu le récupérer. Mais toi, as-tu gardé ta moitié ?”

En guise de réponse, Applejack souleva son stetson et y prit la seconde partie du fruit, qui était de son côté totalement gâté. Rarity poursuivit alors ses explications :

“Si ton fruit est ainsi alors que celui de ta soeur est propre, c’est parce qu’il incarnait ta promesse. Et quelle était-elle ?

-J’avais juré de retrouver notre bonheur commun, annonça avec tristesse Applejack.

-Voilà. Sauf que ce fruit est devenu, par la force de tes sentiments, magique. Plus tu commettais des actes moralement “discutables”, plus il pourrissait. Résultat des courses, tu ne peux plus honorer ta promesse.

-A quoi bon, dans ce cas ? demanda Applejack. Tout est foutu.

-Non. Si tu fais amende honorable, ton fruit guérira, selon Twilight. Et lorsqu’il sera devenu aussi immaculé que celui d’Applebloom, on pourra réunir les deux parties. Alors ta famille retrouvera son amour pour toi.

-C’est vrai ? s’enquit Applejack, les yeux embués de larmes.”

Rarity hocha sereinement la tête en souriant tandis que la cow-pony pleurait à chaudes larmes. L’une d’elle atteignit son fruit gâté. Ce dernier commença à retrouver un faible morceau de sa pureté originelle.

Ainsi, ce qui était devenu un fruit de la vengeance redeviendrait avec le temps ce qu’il aurait dû toujours être : un fruit de la promesse.

The End