Chapitre 3

Les rayons du soleil ne pointaient pas encore leurs rayons que Twilight faisait déjà les cent pas sur le quai de la gare, sa nuit avait été mouvementée malgré toutes ses tentatives pour se rassurer. Elle n'avait fait que se tourner et se retourner sous ses couvertures en priant Celestia pour que ces statues ne soient qu'un mauvais rêve mais la perte de Rarity était bien trop douloureuse pour qu'elle ne puisse se bercer d'illusions, la licorne violette avait décidé de partir pour les quais avant le lever du jour, la marche lui occuperait l'esprit et la détendrait.

C'est au milieu des wagons de marchandises nocturnes et des cheminots affairés à vider ces derniers que Twilight attendait nerveusement son train pour Canterlot, jetant des regards anxieux par-dessus son épaule sans arrêt ce qui attirait sur elle les regards interrogateurs des employés de la gare. L'attente portait de plus en plus les nerfs de la licorne à bout mais aucune statue ne semblait être en vue. Plutôt une bonne chose pensa-t-elle, la chance ne l'avait donc pas encore abandonnée. Sachant que son train arriverait sous peu elle s'apaisa un peu et prit le temps de voir ce qui se passait autour d'elle ; au milieu des nuages de fumée le train de marchandises apportait des pommes de l'ouest d'Equestria, une variété ne poussant que sous des climats plus chauds, les cheminots s'activaient afin que la locomotive puisse repartir avant l'arrivée du train de transport, en effet Ponyville n'avait qu'une petite gare et une seule ligne de chemin de fer ne la traversait. Un sifflet retentit lorsque tout fut enfin débarqué et le convoi sortit lentement de la gare. Twilight comptait les heures s'écouler avant que son train n'arrive finalement, s'arrêtant dans un grand crissement de roues. À peine les portes furent ouvertes qu'elle se précipitait à l'intérieur, sauta dans un siège, et priait pour que le train reparte au plus vite.

Ce n'est qu'au bout d'une énième interminable attente que les vibrations du siège signifièrent à la ponette lavande qu'elle se dirigeait enfin vers Canterlot, et un immense soupir de soulagement lui échappa.

Sur l'un des angles de la gare, le soleil commençait à réchauffer de ses rayons un regard terne, à la rugosité du granit, qui suivait de ses pupilles vides un certain wagon, qui transportait une certaine personne.

Le train roulait maintenant depuis plus d'une trentaine de minutes, comme elle avait pris la ligne la plus matinale vers la capitale, Twilight se sentait seule dans son wagon vide. Mais d'un autre côté elle ne recherchait pas vraiment le regard curieux de poneys qui ne manqueraient pas de l'interroger sur son comportement étrange, qui la prendraient pour folle si elle leur disait seulement un dixième de la vérité. Non, rester seule jusqu'à trouver la solution était la meilleure chose à faire. Personne ne croirait une histoire avec des statues qui bougent toutes seules et, d'une manière inconnue, envoyaient des personnes dans le passé. Et elle n'envisageait pas non plus de penser à ce livre qui pouvait lui répondre ! Ces deux derniers jours avaient été bien trop mouvementés et éprouvants pour la licorne violette.

Elle en était là de ses réflexions lorsque la lumière au plafond vacilla et quelques instants après un choc étouffé survint, trop court pour que quiconque ne remarque rien mais cependant suffisant pour qu'un passager de plus monte à bord.

En regardant par la fenêtre Twilight vit qu'elle s'approchait des montagnes, Canterlot n’était plus très loin et une fois les tunnels traversés ce ne serait l'affaire que de quelques heures avant qu'elle ne puisse commencer ses recherches. Personne ne l'avait dérangée jusqu'alors, excepté peut-être le contrôleur il y a quelque heures de cela mais rien d'autre de notable ne s'était produit. La lumière disparut quelques temps lorsque le train entra dans le tunnel mais les lampes prirent vite le relais. La licorne s'était levée pour se dégourdir les pattes quand soudain les lampes s'éteignirent toutes brutalement.

Dressée sur le toit, la vitesse impressionnante de la locomotive ne faisait pas broncher d'un pouce la crinière pétrifiée de la statue qui s'y trouvait. Le tunnel d'un noir d'encre se précipitait à sa rencontre pour engloutir ce poney de pierre dans les ténèbres. L'obscurité sembla ressusciter le pégase de granit.

Le bruit du verre brisé réduisit ce qui restait des nerfs de Twilight en une petite pile de miettes que la peur s'empressa de balayer. Elle était dans l'incapacité de voir ce qui était la cause de ce bruit mais la boule dans son ventre lui disait que ces choses n'avaient pas abandonné et qu'elles étaient là. Tout près, trop près. La lumière revint un bref instant au cours duquel elle put apercevoir le visage de pierre d'un pégase totalement déformé par une rage profonde lui tirant les traits. Le rictus qu'il arborait laissait paraître de grands crocs mats, ce qui n'était absolument pas naturel chez les pégases. Pas chez des pégases normaux en tout cas. Le sang de la licorne se glaça dans ses veines et son esprit hurlait à s'en arracher les poumons de fuir, de courir loin de cette chose qui la poursuivait depuis les entrailles de la forêt Everfree.

Twilight fit volte face et enfonça la porte du wagon, l'air hurla à sa rencontre lorsqu'elle sortit, le vacarme assourdissant des roues sur les rails en métal agressa ses oreilles et le spectacle des rails défilant à toute vitesse sous ses yeux lui arracha un hoquet de frayeur. Néanmoins elle ne s’arrêta pas et appuyant sur la poignée de porte de la voiture suivante jeta un œil en arrière – sainte Célestia – sa fuite n'avait mis aucune distance entre cette horreur et elle. Elle semblait même être sensiblement plus proche, arborant toujours ce rictus déformant ses traits, et ces yeux, par toutes les alicornes, les pupilles vides rendaient encore plus effrayante à regarder cette créature de granit.

La ponette lavande se retourna lorsque la porte du wagon suivant réussit enfin à s'ouvrir et elle s'empressa de la refermer derrière elle. Un choc sourd suivit d'un terrible craquement retentit. Mais la porte tint bon. Désespérée, l'élément de la magie cherchait une échappatoire. Je dois prévenir le conducteur. Cette pensée survint, impérative, c'est alors qu'elle nota quelque chose d'étrange dans le wagon où elle venait de faire interruption.

Ou plutôt, elle nota l'absence de quelque chose.

Le wagon était vide.

Le bois gémit terriblement derrière la licorne, l'obscurité du tunnel était hachurée de la luminosité pâle d'un jour orageux. Le plus long tunnel était passé. Le train entrait maintenant dans la série des plus petits en longeant le flanc de la montagne. Elle décida tout de même de continuer à avancer, plus elle mettrait de distance entre la porte et elle, mieux elle se porterait. Elle ouvrit grand l'accès avant de la voiture, le vent revint à l'assaut lui giflant la crinière, le bruit assourdissant du train sur les rails la rendant presque sourde et... Son cœur manqua un battement. Un visage de pierre déformé par un hurlement muet lui faisait face. Elle tituba en arrière. – non, par pitié...– La licorne s'effondra intérieurement. Ils étaient deux. Le craquement sinistre qu'elle entendit lui fit comprendre que la porte n'avait pas résisté plus longtemps.

Son dos heurta une vitre, coincée entre deux banquettes, le verre la séparant du flanc abrupt de la falaise défilant à toute vitesse, elle n'avait plus d'échappatoire. Une chance pour elle, d'où elle se tenait elle avait les deux pégases de pierre dans son champ de vision... Pourquoi ces horribles statues ne venaient-elles donc pas finir leur boulot ? Les deux semblaient figées à chaque entrée du wagon. Immobiles, le bras tendu, tout dans leur posture indiquait qu'elles pouvaient bondir à tout moment. Tendue comme jamais, Twilight n'osait détacher son regard des deux prédateurs minéraux qui semblaient totalement pétrifiés.

Un picotement se fit ressentir sur les pupilles de la licorne, elle chassa son envie de battre des paupières.

Ses yeux commençaient presque à lui brûler maintenant mais elle tenait bon, luttant de toutes ses forces.

Le réflexe eut le dessus. Cela ne dura qu'un millième de seconde, mais cela arriva. Ses paupières recouvrirent ses yeux un bref instant afin de chasser les poussières qui s'étaient déposées sur l’œil puis revinrent à leurs places initiales. Places qu'avaient quittées les pégases de granit.

Il était rigoureusement impossible de se plaquer plus fortement à la vitre qu'elle ne l'était il y a cinq minutes, pourtant Twilight y parvint, et en un temps record.

C'était la fin. Plus aucune échappatoire n'était possible. Mais elle n'allait pas disparaître sans se battre ! Sa corne luisit d'une aura violette alors qu'elle chargeait un sort de destruction. Il était beaucoup trop puissant pour un environnement tel que celui dans lequel la licorne se trouvait mais la peur et le désespoir lui faisaient perdre toute mesure.

La pierre se teinta de lavande. Elle abaissa sa corne. Un déplacement d'air. Le sort s'écrasa sur les statues. Cependant ces dernières s'étaient encore approchées. « Trop près... » pensa-t-elle avant que le souffle ne l'atteigne.

L'air vibra de pulsations magiques et Twilight fut projetée en arrière, une douleur fulgurante dans le dos, le gris soudain du ciel devant soi, la licorne comprit qu'elle venait de passer au travers de la fenêtre du wagon et qu'elle était en train de tomber de la falaise. « Pourvu que ça ne soit pas trop douloureux quand je mourrai, qu'est-ce que je ne donnerais pas pour avoir une Rainbow Dash qui puisse voler me rattraper... » se mit-elle à espérer. Mais à l'heure qu'il était la pégase à la crinière arc-en-ciel devait plus être en train d'inspecter les nuages de son matelas.

La chute.

Le premier choc avec le sol.

La licorne eut de la chance, la falaise n'était pas totalement abrupte et la pente douce ne fit que la faire rebondir. Twilight commença à rouler, les buissons lui griffant le visage et la pierre lui mordant les flancs. Elle crut ne pouvoir s'arrêter que lorsque chacun de ses os n'aurait été brisé et réduit en miettes. Heureusement pour la licorne, après une dépression dans le sol et un court vol plané, un arbre bien garni stoppa sa chute sans trop la blesser.

Sonnée, la ponette violette remit lentement le nord à sa place et posa une patte sur une branche à côté d'elle. Un éclat rouge vif attira son regard, une pomme. « Il faudra absolument que je remercie AJ », se dit-elle. Penser à ses amies la revigora et elle sauta à bas de l'arbre.

La pente qui menait à la voie ferrée était abrupte, mais un sentier se découvrait plus loin qui remontait jusqu'aux rails. Twilight se mit en route, avec un peu de chance les monstruosités qui l'avaient poursuivie avaient été détruites dans l'explosion. Elle devait néanmoins rejoindre Canterlot pour retrouver une gare et rentrer chez elle. La route serait longue, mais elle présentait l'avantage d'être tranquille.

« Qu'est-ce qui s'est passé ici ?! Vous avez été victime d'un attentat ou quoi ? » Bouche bée, le terrestre chargé de l'entrée en gare des trains regardait passer devant lui le wagon éventré. « Nope ! On ne sait absolument pas d'où ça a pu venir, mais ça nous a surpris au milieu des montagnes », lui répondit le conducteur.

Ne sachant ce que le règlement lui disait de faire dans ces conditions, l'aiguilleur décida d'inspecter la voiture accidentée pour voir s'il y avait des victimes, priant secrètement pour rentrer bredouille de son inspection.

Il entra précautionneusement et avança parmi les débris de planches et de verre brisé. À première vue, aucune victime ne semblait être à déplorer, le poney s'immobilisa devant l'ouverture béante, le toit avait été déformé, les vitres soufflées et il ne restait que de la charpie des banquettes qui se trouvaient autrefois à l'endroit où il portait son regard.

Le terrestre supposa que, quelle que soit l'origine de l'explosion, cette source se trouvait à l'intérieur. Soulagé de n'avoir fait aucune macabre découverte il décida de rentrer faire son rapport.

Dans l'ombre, une silhouette avait échappé à son regard. Une silhouette immobile d'un gris terne. La silhouette d'un pégase de pierre cachant des larmes sèches depuis plusieurs éternités.