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Lune de guerre

Une fiction écrite par BroNie.

Chapitre 4

Lune de guerre

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Quatrième Chapitre

Le Grand Esprit nous a donné une vaste terre pour y vivre, et des bisons, des daims, des antilopes et autres gibiers. Mais vous êtes venus et vous avez volé notre terre. Vous tuez notre gibier. Il devient dur alors pour nous de vivre. Maintenant vous nous dites que pour vivre, il faut travailler. Or le Grand Esprit ne nous a pas faits pour travailler, mais pour vivre de la chasse. Vous autres, hommes blancs, vous pouvez travailler si vous le voulez. Nous ne vous gênons nullement. A nouveau vous nous dites « pourquoi ne devenez-vous pas civilisés ? » Mais nous ne voulons pas de votre civilisation ! Nous voulons vivre comme le faisaient nos pères et leurs pères avant eux.



Tashunca-Uitco, chef lakhota





Oejayite grimaça en versant sur le côté. Qu’est-ce que ça lui faisait mal...pourtant, il s’en était déjà pris des dégelées, et des sévères. A l’époque de la monarchie, quand il n’était qu’une jeune gars plein d’entrain pour le métier de détrousseur de grand chemin, sa carrière avait failli s’arrêter quand le client de la diligence avait sorti, non son porte-feuille, mais un fusil à canon scié. Oejayite se souvenait de la cartouche qui avait manqué de lui arracher le visage, et de la sensation de brûlure atroce qu’il avait traîné des jours durant.

Une autre fois - et c’était au tout début de l’époque de Maître Discord -, Oejayite s’était disputé avec un autre discordien, en désaccord sur la répartition du butin. Ça s’était réglé à grands coups de rasoirs, et il avait manqué d’y laisser une oreille.

Là aussi, ça avait fait sacrément mal, surtout quand ça c’était infecté.

Mais alors là. Là.

Tout d’abord, il avait cru que ce qui faisait le plus mal, c’était le moment où on était touché. Quand on ressentait ce choc brûlant dans le ventre, les jambes qui devenaient molles, le sol qui appelait à soi. Et cette douleur qui traînait et qui traînait encore, qui déchirait les entrailles à chaque respiration, qui faisait tellement souffrir qu’on en avait la nausée. Mais Oejayite se trompait. Le plus douloureux, ça arrivait après. Quand la nourriture à demi digérée s’échappait de l’estomac perforé pour se mêler au sang, quand on sentait une partie de ses excréments se rajouter à ce répugnant mélange. Il n’y avait rien sur terre qui faisait mal comme ça. Oejayite se serait brisé les dents de douleur à force de les serrer si un complice n’avait pas eu la bonne idée de lui glisser une ceinture entre les lèvres. Une chance que quelqu’un dans la bande connaisse la médecine.

Enfin...le doc était vétérinaire. Il avait dû quitter sa vie de rupin quand les gens s’étaient soulevés contre Maître Discord. Ils avaient pas trop aimé la manière qu’il avait eu de s’amuser avec les fillettes de son village. Bande de pisse-froids. Ça fermait se gueule et sa faisait le dos rond pendant des années avant de s’acheter des couilles quand tout était déjà joué.

Toujours est-il que le doc avait rejoint la bande, où ses compétences de boucher en chef avaient été appréciées. Il avait réussi à rafistoler Oejayite, à récupérer la balle, à arrêter le saignement, et à poser un emplâtre qui puait tellement qu’on se demandait s’il servait vraiment à quelque chose, et si la merde ne continuait pas à fermenter.

Oejayite, appuyé sur son épaule, gratta le sol à la recherche de la bouteille de whisky. Il en restait encore un bon peu. Avec un sourire, le bandit avala quelques lampées. L’alcool le fit tousser et le réchauffa immédiatement. Il éloigna quelque peu la douleur.

Salope de Luna. Salope de secrétaire de mes deux. Cette pute les avait bien niqués. Un mouvement de son espèce de parapluie en dentelle et hop. Une chiée de balles qui venait de n’importe où. Le chef avait été presque coupé en deux par ces saloperies. La bande avait déguerpie comme elle avait pu. Y pouvaient plus rien pour le capitaine de toute façon, et comme il l’avait souvent répété à ses hommes, “vivre aujourd’hui, c’était se battre demain”.

Dans les bois, les tireurs de Luna avaient fait des ravages. Presque toute la bande s’était faite avoir. Cecius, Pesunes, Xonal...des types qui avaient réussi à survivre à Silver V, qui avaient sauvé leur peau quand Maître Discord était tombé...abattus comme des chiens par les soldats de cette pute.

Oejayite lui, avait eu droit à cette balle dans le ventre. Et il aurait probablement crevé dans une clairière si un camarade ne l’avait pas pris sur son dos pour le sortir de là.

Ils avaient réussi à regagner leur repaire, et par chance, le doc faisait partie des survivants. Depuis, ce qu’il restait du gang pansait ses plaies, sur le qui-vive, prêts à déguerpir au moment où les gardes se pointeraient. Mais pour l’instant, Oejayite et d’autres étaient intransportables. Il fallait encore tenir quelques jours, attendre un début d’amélioration avant de tenter le voyage. Ils avaient prévu de remonter vers le nord, essayer de rejoindre un autre groupe de camarades. Ils auraient peut être de vrais médicaments, de quoi rebondir pour de bon. Et Oejayite le jurait, quand il serait rétabli, il irait personnellement à Washingthoof vider son six-coups dans le visage de cette pute de Luna. Oh, nul doute que le secrétaire d’Etat serait protégé, mais rien n’empêcherait le bandit de dégainer son revolver et d’expédier du plomb dans la tête de cette grognasse. Ou alors dans le ventre, pour qu’elle souffre autant que lui souffrait. On verrait. Dans un cas comme dans un autre, on rirait bien.

Oejayite prenait une autre gorgée de whisky quand il entendit le bois de l’échelle craquer. Sûrement le doc ou Poecus qui revenaient de la patrouille. La mine avait beau être bien cachée dans les rochers, de la prudence ça ne faisait jamais de mal.

Le nez d’Oejayite commença à lui piquer. Une odeur désagréable montait dans l’air. Il grommela.

_Doc ! Faut que tu me changes ton putain d’emplâtre ! cria t-il. Ca pue tellement que je vais finir par me faire bouffer par les mouches.

Pas de réponse. Le bois de l’échelle continuait de craquer. L’odeur se précisa. Ça ne sentait ni les plantes, ni les excréments. Ça puait l’oeuf et le poisson pourri. Les poils d’Oejayite se hérissèrent, et son sang se glaça. Putain. Ça sentait exactement comme dans les bois quand…

_Calme, ordonna une silhouette masculine qui s’approcha de lui avec un revolver à la main.

Oejayite loucha sur le côté de son grabat, en direction de son propre six-coups.

L’autre le vit et de la pointe de sa botte, éloigna calmement l’arme de sa portée. Il regarda à gauche et à droite, vérifiant visiblement qu’il n’y avait personne d’autre ici.

_Y en a qu’un ! cria l’homme. C’est jouable à deux. Envoyez-moi Jazz avec la lampe.

_Pourquoi moi ? demanda une voix féminine qui venait d’en haut, à l’entrée de la mine. Blues peut bien y aller. Je me suis déjà tapé l’élimination des sentinelles. J’ai du sang partout sur les bottes en plus.

_Parce que jusqu’à nouvel ordre, t’es encore une bleue, et je suis encore ton supérieur, alors tu vas être gentille et obéir. Sinon je dis tout à maman.

Oejayite crispa la main autour du goulot de la bouteille. Il avait encore une chance. S’il éclatait ce connard qui le mettait en joue, il pouvait récupérer son flingue et le descendre. Peut-être même avoir le temps de tirer sur sa copine qui descendait l’échelle. Apparemment il resterait encore au moins un type là haut, mais ça serait déjà un premier pas de fait.

_Je serais toi, je ferais pas ça.

Le bandit et l’homme au revolver échangèrent un regard. Le genre de regard qui disait “tu peux pas aller plus vite qu’une balle, mais si tu veux essayer, fais toi plaisir”. Oejayite souffla bruyamment par les narines avant d’ouvrir la main, et de laisser glisser la bouteille par terre.

_Ecoutez, dit le discordien en s’adossant du mieux qu’il put contre la selle qui lui servait d’oreiller. On a de l’argent, enterré tout près. Un putain de trésor de guerre. De quoi bien arrondir vos soldes, vous faire un paquet d’oseille. On fait un marché : vous me laissez partir avec de quoi remplir les fontes de mon canasson, et vous pouvez garder le reste. C’est honnête !

Le temps qu’il finisse sa phrase, la personne descendue par l’échelle s’était approchée de lui. Plus petite que la précédente, elle portait une lampe à pétrole qui permettait d’y voir beaucoup plus clair. C’était bien un couple qui faisait face à Oejayite, un homme et une femme. Il avait les cheveux sombres alors que ceux de la porteuse de lampe étaient blancs comme neige. Sans qu’Oejayite puisse l’expliquer autrement que par l’éclairage de la lampe à pétrole, ils avaient le teint grisâtre, comme s’ils étaient frappés d’une maladie de la peau. Les yeux rouges de la femme - pas rouges de fatigue, rouge rubis ! - renforçaient cette impression de bizarrerie.

Le doc avait parlé un jour d’un de ses patients à la peau pâle et aux yeux rouges. Comment est-ce qu’il avait dit que ça s’appelait déjà ? L’albinique ?

_Pourquoi est-ce que les bandits pensent toujours qu’on est corruptibles ? soupira la femme.

_Leur en veux pas, lui répondit son compagnon. Une vie à détrousser les gens honnêtes et à graisser la patte des shérifs pour qu’ils ferment les yeux, ça laisse de mauvaises habitudes.

L’homme plia les genoux, ramassant la bouteille de whisky. Il la porta à ses lèvres, avalant quelques gorgées. Il grimaça avant de tendre l’alcool à sa compagne qui secoua la tête en signe de négation. Il haussa les épaules, et renversa la bouteille sur Oejayite. Le bandit cria quand la gnôle coula de son torse jusqu’à son bas-ventre, imprégnant ses pansements.

Comme dans un cauchemar, il vit la lampe à pétrole fondre sur lui. Il n’eut pas le temps de comprendre qu’ils lui avaient jeté dessus qu’elle se brisait et mettait le feu aux couvertures.

De toute sa vie de bandit, Oejayite avait cru connaître la douleur. Une cartouche qui frôlait le visage, un rasoir qui tranchait presque une oreille, une balle dans le ventre. Il pensait avoir tout vécu, et ne jamais connaître une souffrance supérieure.

Il se trompait. Ce qu’il avait vécu, ça n’avait rien à voir avec le fait de brûler vif.

Strictement rien à voir.

¤¤¤

Le Congrès equestrien et ses centaines de députés était un des organes vitaux de la nation. Garant du pouvoir législatif, rares étaient ceux à le dépasser en autorité, hormis le gouvernement. La Chambre avait été dotée de larges pouvoirs, et ce, à l’initiative de Celestia. On avait encore trop à l’esprit l’absolutisme royal de Silver V, ou le chaos indescriptible discordien. Le Congrès votait les lois, le budget, et pouvait même faire passer des motions de censure contre le gouvernement. S’il arrivait à s’unir, ce qui arrivait rarement, il représentait un formidable pouvoir.

Twilight, assise dans la rotonde principale, au dessus de la pièce où la Chambre se réunissait, scrutait avec inquiétude le visage des hommes et des femmes présents en ce lieu.

La présidente Celestia avait toujours su obtenir une large majorité quand elle venait défendre ses projets politiques. Le Congrès n’oubliait pas qu’il ne devait sa propre existence qu’à la mère de la nation, et l’avait toujours suivie. Mais Twilight savait que la Chambre était capricieuse. Trop de députés étaient prompts à se laisser séduire par les lobbystes ou les groupes adverses, au prix d’un arrangement politique ou financier. Ils en oubliaient la raison de leur présence en ce lieu.

C’était un panier de crabes, et si Twilight en avait eu le pouvoir, elle aurait fait dissoudre l’assemblée depuis longtemps. Mais hélas, elle n’était qu’une jeune fille de seize ans, sans aucune responsabilité. Elle ne désespérait pas toutefois un jour, mettre au pas la parlementerie. Le projet qu’elle avait soufflé à Celestia allait en ce sens.

Justement, la présidente allait prendre la parole. Rayonnante, baignée de lumière comme si elle était la fille du soleil, Celestia montait à la tribune. Le brouhaha des parlementaires cessait de lui-même. On ne faisait pas de bruit quand celle qui avait sauvé la nation de Discord prenait la parole. Même ses rares ennemis politiques respectaient cela.

C’était pour cette raison que Twilight mettait ses espoirs dans ce projet de loi. Nulle personne autre que la présidente était à même de tenir le pays sur ses épaules, non, sur son aura. C’était la seule et unique chance des Etats Equestriens Unis, et Twilight Sparkle ferait tout pour que cette chance porte ses fruits.

_Mesdames et messieurs les députés.

La voix de Celestia était forte et claire. Exempte de tout doute, de toute hésitation. Quand elle l’entendait, Twilight sentait ses propres peurs s’envoler, remplacées par l’intime conviction qu’elle avait la situation en main, et que l’avenir était brillant. Celestia était sans nul doute la plus grande oratrice du pays.

_Je me présente devant vous, car la situation est grave. Vous lisez les gazettes, vous vous tenez informés des événements qui se passent au centre du pays. Cela ne sera donc pas un choc, si je vous dis qu’un de nos camps a été rasé, et les personnes qu’il abritait, massacrées par des indiens insoumis.

Bien sûr. On ne parlait que de cela depuis des jours. A une époque aussi moderne, où l’on vivait enfin en paix depuis des années, des morts aussi violentes avaient nécessairement attiré l’attention du public.

_Devant la menace que représente ces tribus qui refusent de vivre selon nos lois, j’ai envoyé le secrétaire d’Etat leur porter un ultimatum. S’ils n’acceptent pas les conditions décrites dans cet ultimatum, nous n’aurons d’autre choix que de les détruire.

_Est-ce exact que c’est la II° armée qui accompagne mademoiselle votre sœur, secrétaire d’Etat de ce pays, lors de cette mission dans les territoires indiens ?

Les regards se tournèrent vers les bancs du premier rang. Une femme venait de prendre la parole, croisant ostensiblement le regard de Celestia.

_Mademoiselle l’oratrice. J’ignorais que vous étiez rentrée de votre conférence à Vanhoover.

_Quand j’ai appris que vous alliez personnellement prendre la parole lors de la prochaine réunion du Congrès, il était évident que j’allais écourter mon séjour, madame la présidente.

Le ton glacé des deux femmes n’échappa à personne. Celle qui venait de répondre à Celestia était Sunset Shimmer, la présidente de la Chambre des Représentants, la chef de la chambre basse du parlement. Connue autant pour son intelligence que pour son habileté politique, Shimmer avait été formée par Celestia, juste au sortir de la guerre. Sans que nul n’en sache exactement la raison, une brouille avait séparé les deux femmes, Shimmer devenant une des opposantes politiques les plus actives de la présidente. Aux dernières élections législatives, elle avait réussi à ravir la place de leader à la chambre basse, devenant ainsi la première femme à occuper ce poste.

Ce qui, relativisait Twilight, n’était pas un tel exploit, si on se souvenait de la date de création du Congrès.

Néanmoins, elle devait bien admettre que Shimmer était redoutable, ayant mis Celestia en difficulté plus d’une fois. Trop jeune aux yeux de la chambre haute, elle caressait cependant le rêve de placer un de ses pions à la tête du Sénat. Ce faisant, les postes clés du Congrès seraient aux mains de Shimmer et de ses partisans, ce qui compliquerait singulièrement la vie politique de Celestia, et de son gouvernement.

Il y avait néanmoins un point important qui réconfortait Twilight : Shimmer avait un caractère affreux. Très imbue d'elle-même, elle s'aliénait la plupart du public en raison de son mépris ouvertement affiché, et de son tempérament volcanique. Au contraire, la présidente Celestia malgré la hauteur de sa charge, savait se montrer proche des gens, et était très aimée pour cela.

Shimmer n'aurait aucune chance de conquérir les cœurs de l'equestrien du commun. Mais si elle parvenait à obtenir la majorité au Congrès, toute réforme, toute loi deviendrait impossible à passer, à moins de négocier avec ses sbires. L'idée de dépendre de ce genre de bassesse politicienne hérissait l'échine de Twilight, et ne faisait que la conforter dans son antiparlementarisme.

En idée, la démocratie était belle. Vraiment. Se dire que le peuple était maître de son destin, qu'il pouvait prendre en main son avenir, c'était séduisant. Mais même si elle était jeune, Twilight comprenait que l'obstacle premier de la démocratie, c'était le peuple lui-même.

Quelle formule avait un jour utilisé le professeur Heartstrings ? « Le quotient intellectuel d'une foule est inversement proportionnel au nombre de ceux qui la composent. »

C'était plus un bon mot qu'autre chose, mais que Twilight trouvait cette phrase juste. Plus on ajoutait de membres dans un groupe, plus ce dernier devenait bête. Les passions personnelles prenaient le dessus sur le reste, on oubliait le bien commun pour se borner au bien particulier.

Pire encore, les électeurs se mettaient à choisir telle ou telle personne, non parce qu'elle était la plus à même de remplir sa tâche, mais simplement parce que le candidat leur plaisait physiquement, ou parce que le futur élu venait du même Etat qu'eux. Les critères de choix devenaient imbéciles, et nécessairement, des imbéciles accédaient à l'antichambre du pouvoir. Sans doute que sans la présidente Celestia, Twilight aurait fait contre mauvaise fortune bon cœur, se disant que le système était imparfait, mais qu'on pouvait l'améliorer. Mais elle avait rencontré Celestia. Elle l'avait vue parler, elle avait déjeuné avec la présidente. Et en fixant le fond des yeux magentas de la mère de la nation, Twilight avait un jour compris. Elle avait compris quel avenir radieux s'offrait aux Etats Equestriens Unis, un futur de paix et de puissance, un futur où le bien collectif serait le fondement de la société.

Twilight avait senti cette vague de certitude la frapper comme une lame de fond; emportant ses doutes, gravant dans son âme la confiance absolue en sa présidente.

La sensation avait été parfaite, merveilleuse, orgasmique.

C'était à ce moment que Twilight s'était juré de tout mettre en œuvre pour faire en sorte que Celestia veille sur le pays. Jusqu'à son dernier souffle, la jeune fille lutterait pour que la présidente puisse appliquer ses idées sur le territoire national.

Oui, il y aurait sûrement des pots cassés. Oui, des choses que la morale réprouverait, des événements peu glorieux. Mais une personne comme Celestia, il n'y en avait qu'une par siècle. Et encore, Twilight était généreuse.

Sous cet angle là, en concevant pleinement l'idée qu'ils forgeaient un avenir radieux, les détails étaient triviaux, et les obstacles, à écarter sans moralité.

Même si l'étudiante devait concéder que Shimmer était un obstacle de taille conséquente.

_Vous êtes bien informée, répondit Celestia à Shimmer. C'est bien la II° armée qui accompagne le secrétaire d'Etat lors de cette mission.

_La II° armée qui garde la frontière mexicoltienne, est-ce exact ?

Twilight plissa les lèvres. Elle comprenait sans mal où l'oratrice voulait en venir. Et l'usage des questions réthoriques était un moyen redoutable d'y parvenir en se mettant le public dans la poche.

_C'est cela, confirma la présidente.

Un impersectible sourire éclaira le visage de Sunset Shimmer.

_Devons nous alors comprendre que nous n'avons plus aucune armée pour garder la frontière ?

Une légère agitation se fit entendre dans la Chambre Basse. Dans l'esprit de tous, Mexicolt était un pays arriéré, habité uniquement par des gens aux larges moustaches, et à la gâchette facile. A l'époque de la guerre civile, plusieurs bandits mexicoltiens avaient profité du désordre pour lancer des raids sur les villes et les fermes frontalières, à l'intérieur des terres d'Equestria. Même si Celestia avait pris des mesures énergiques pour y mettre fin une fois l'ordre rétabli, dans l'inconscient collectif, Mexicolt restait un pays de barbares aggressifs.

En ayant donné l'ordre à la II° armée de quitter ses positions, Celestia risquait de passer pour une inconsciente. Tout à fait ce que souhaitait faire Shimmer.

_Nous avons des hommes qui surveillent en permanence la frontière mexicoltienne, répliqua Celestia d'une voix forte, couvrant le chahut qui commencait à gronder. J'ajouterais que nous avons fait savoir au général Diaz que ni notre intégrité territoriale s'avérait violée à n'importe quel moment, des mesures punitives seraient immédiatement mises en place par notre marine.

Diaz était le dictateur militaire de Mexicolt, un homme petit et gras, qui semblait n'avoir d'autre ambition dans la vie que d'ammasser des richesses de part sa position. Mais Celestia avait un jour expliqué à Twilight que c'était cette avidité qui faisait de Diaz le meilleur client d'Equestria de l'autre côté du Rihoof Grande. Trop effrayé à l'idée que les bâtiments de guerres equestriens ne pilonnent ses ports, affichant aux yeux de ses concitoyens sa position de despote fantoche, il ferait l'impossible pour plaire aux Etats Equestriens Unis, et respecter ses engagements.

_C'est en toute connaissance de cause que j'ai donné mes ordres, et la II° armée regagnera ses positions aussitôt le problème indien résolu. Ce qui ne prendra guère longtemps, je peux vous l'assurer.

Le brouhaha reprit dans l'hémicycle, mais rien qu'à tendre l'oreille, on comprenait que l'opinion repassait vite du côté de sa présidente. Twilight s'accorda un large sourire. Celestia était décidément imbattable.

_Nous devons néamoins nous attendre, si les Nez Percés refusent notre ultimatum, et nous acculent à la guerre, à ce que d'autres tribus profitent de cette distraction pour entreprendre des actions contre nous. C'est pour cette raison que conformément à notre Constitution, je demande au Congrès de voter les pleins pouvoirs à mon gouvernement, afin de nous prémunir de tout éventuel danger.

C'était le moment charnière. L'agitation reprit d'un coup dans l'assemblée.

_Vous venez juste de nous affirmer que vous aviez la situation sous contrôle ! objecta Shimmer d'un ton sec, soutenue par des approbations de la Chambre des Réprésentants.

_Je soumets une mesure préventive, répondit Celestia avec une égale froideur. Vous êtes mieux placée que quiconque pour savoir que la mobilisation prend du temps. Nous ne devons pas être pris de vitesse. En anticipant toutes les situations, nous serons à même d'y répondre si elles se présentent.

Celestia savait présenter les choses avec habileté. L'oratrice ne pouvait plus la traiter d'inconsciente, au contraire, la présidente faisait le maximum pour garantir la sécurité de l'Union. Fut-ce au prix de quelques libertés civiles et parlementaires, mais Twilight s'occuperait de ce genre de détails plus tard.

_L'Assemblée n'a pas pris ses dispositions pour un vote de cette importance ! contra avec élégeance Shimmer. Vous n'aviez rassemblé le Congrès que pour une simple information. Il manque des sénateurs et des représentants. Dans ces conditions, les pleins pouvoirs ne sauraient être accordés !

Shimmer ne disait qu'une partie de la vérité. Constitutionnellement, il suffisait des deux tiers du Congrès pour soumettre le vote des pleins pouvoirs. Mais si les sénateurs étaient majoritairement présents, plusieurs représentants manquaient bel et bien à l'appel.

Twilight comprit soudain le génie politique de Celestia. La chambre basse affaiblie, c'était nécéssairement la chambre haute qui prendrait le dessus en nombre de votes. Chambre haute qui était encore entièrement inféodée à la présidente equestrienne. Shimmer n'avait pas encore eu le temps d'y placer ses partisans. Et si Celestia jouait correctement, elle n'en aurait jamais l'occasion.

D'une voix tout à fait appaisée, Celestia fit remarquer que le Congrès était en nombre suffisant pour que la motion proposant les pleins pouvoirs au gouvernement soit mise à l'ordre du jour.

Twilight ne put retenir un gloussement de plaisir pur en voyant l'air déconfit de Shimmer. Cette dernière cherchait ses mots, comme sonnée par un coup de marteau invisible.

Celestia sourit, rabbatit une mèche de cheveux derrière son oreille, et regagna sa place, tandis que les membres de l'Assemblée se levaient un à un, pour aller déposer dans l'urne au centre de l'hémicycle, le bulletin de leur vote.

Après dépouillement, les pleins pouvoirs furent accordés à Celestia avec 74 % de “oui”. Tandis que le Congrès saluait la mesure par un long applaudissement, et que Shimmer quittait les lieux, verte de rage, Twilight ne put s'empêcher de trouver que la fin du parlementarisme sous les vivats et les acclamations, avait quelque chose de romanesque.

On avait vu des morts saluées avec moins de fougue.

¤¤¤

Si on avait demandé à Flam, codirecteur de la FlimFlam Brothers Company, à quel animal lui faisait penser la II° armée equestrienne, le serpent aurait probablement été la réponse la plus prompte à sortir de ses lèvres. Le convoi avait tout de cet animal : longue file de chariots qui cheminait au pas dans les plaines herbeuses, qui s'étirait comme aux confins de l'infini.

Au dos des véhicules, on voyait ici un canon dont l'acier reflétait le soleil de plomb, et là, une mitrailleuse gatling dont l'embout pointait paresseusement dans l'herbe folle.

Même la couleur des uniformes des soldats, de ce bleu marine si caractéristique, évoquait quelque part l'animal à sang froid, par sa lenteur, et sa dangerosité.

Flam tira un mouchoir en soie de sa poche, et s'en tamponna le front. Qu'il faisait chaud ! Et d'après leurs éclaireurs, ils allaient encore monter en température au fur et à mesure de leur avancée au nord. C'était à ne rien y comprendre. Il n'était pas censé faire frais au nord ? Bien la preuve que tout ce qui se trouvait de ce côté des Etats était totalement dénué de civilisation. D'un autre côté, Flam aurait été bégueule de s'en plaindre. C'était cette raison précise qui avait poussé Washingthoof à enfin autoriser la construction de la ligne de chemin de fer, pour qu'on puisse enfin traverser le pays d'un bout à l'autre rapidement.

A ce moment, Flam et son petit frère avaient cru la partie gagnée. Faire poser des rails, ils savaient faire, et ils avaient déjà remporté plusieurs marchés juteux dans le passé. Sans doute pas très honnêtement, mais hé, c'étaient les affaires. La moralité n'était jamais qu'un frein au business.

Les deux frères auraient dû savoir que c'était toujours à ce moment là que les imprévus survenaient, et quand ils avaient pris la forme de sauvages qui égorgeaient à peu près tous les blancs qui leur tombaient entre les mains, ils avaient compris que la construction de la ligne ne serait peut-être pas aussi rapide que prévue.

Mais les directeurs de la FlimFlam Brothers Company étaient d'irréductibles optimistes. Toujours à voir le verre à moitié plein.

Et Flam devait bien avouer que cheminer avec des centaines d'hommes, de cavaliers, de canons, de mitrailleuses, et de chariots, aidait assez bien à se réprésenter le verre encore plus plein qu'à l'accoutumée.

Plus d'une fois, il avait entendu les soldats parler en mal des indiens. Les traiter de sous-hommes, de race batarde. Flam n'accordait personnellement que peu d'intérêt à ce genre de pensées. Rejeter l'autre sur une base raciale, c'était idiot. Attendons de voir au moins ce que cette personne avait à proposer, et comment les deux parties pouvaient en profiter au mieux. Les deux frères étaient des pragmatiques: dans les faits, les indiens n'étaient rien de plus que des personnes empêchant le bon développement du transcontinental. Oui, ils seraient punis pour ça, et s'il le faudrait, il y aurait des morts. Mais les hommes d'affaires n'auraient pas agi autrement avec un autre peuple, ou même avec des equestriens.

Encore une fois, c'était la réalité du marché qui parlait.

Flim avait la veille confié à son aîné qu'ils devraient peut-être ménager quelques indigènes quand ils seraient sur le terrain. Juste au cas où. Qui sait, ils pouvaient faire des ouvriers acceptables.

Flam avait longuement soupesé la question pendant la nuit. Sur le principe, l'idée ne le gênait pas. Ils employaient déjà mexicoltiens, equestriens, ou iroquois, alors pourquoi pas des indiens des badlands ? Mais il s'était ensuite souvenu que c'était le secrétaire d'Etat Luna qui était en charge de la conduite des opérations. Les plus folles rumeurs couraient sur elles, sur la distribution de couvertures infectées, sur des massacres ordonnés dans des hôpitaux et des hospices pendant la guerre et après celle-ci. Flam ne pouvait pas dire si c'était vrai ou non. Mais pour l'avoir déjà vue très briévement une fois, à la capitale, alors qu'elle revenait des territoires du nord, il l'avait trouvée un peu trop...entière pour employer un mot adéquat.

Pas le genre de femme prompte au compromis.

Ce qui d'ailleurs, faisait se demander aux FlimFlam pourquoi est-ce que sa soeur en avait fait une diplomate. Mais passons.

Toujours est-il qu'il y avait fort à parier que si la crise indienne dégénérait en conflit armé pur et dur, et à son avis, les canons et les mitrailleuses qu'ils transportaient jusqu'aux badlands n'étaient pas là pour faire de la couture, Luna ne s'encombrerait guère de prisonniers, ou d'une quelquonque pitié. Regrettable pour les Nez-Percés sans doute, mais hé, ils n'avaient pas qu'à attaquer les soldats equestriens. C'étaient eux les premiers qui avaient fait couler le sang. Alors maintenant, les Etats Equestriens Unis exigeaient réparation. C'était normal, et juste.

En fin de compte, se disait Flam en continuant d'éponger son front, tout ceci n'était au final, qu'une sorte d'OPA à grande échelle. Remplacez les entreprises par les nations, et l'argent par la violence, et on se retrouvait dans le même genre de configuration.

Et le plus beau, se disait-il en souriant derrière sa grande moustache rousse, c'était que lui et son petit frère allaient voir cet acte économique mis physiquement en action.

Quel beau monde que celui des affaires.



¤¤¤



Braeburn passa la langue sur ses lèvres craquelées. Au début, il avait essayé de garder sa chemise d'uniforme, peut-être par coquetterie, ou par habitude tout simplement. Mais il faisait tellement chaud qu'il avait fini par capituler, et se mettait torse nu dès qu'il entraînait les indiens. C'est à dire l'essentiel de la journée.

Le jeune homme ne s'était jamais vu comme un instructeur. Il n'était qu'un petit sous officier, et au cas d'entraînement, les rares fois où on lui avait confié la charge de secondes classe, l'expérience avait frôlé d'assez près le désastre pour que ses supérieurs ne soient pas tentés de recommencer. Braeburn s'était fait une raison en se disant qu'il n'était sans doute pas fait pour ça. Il y n'y avait pas de mal. Au moins s'en tirait-il honnorablement comme cavalier, et gravirait-il les échelons de l'armée pas à pas. Toujours est-il qu'il s'était persuadé qu'il ne serait jamais un bon professeur.

Aujourd'hui, c'était différent. La raison principale, c'était assurément la motivation.

Se dire que si l'on échouait, on finissait au poteau de torture, c'était un excellent moyen de s'accrocher.


Alors bien sûr, il y avait des difficultés. Ses élèves pour commencer, puisque il devait bien les appeler ainsi, n'avaient aucune notion du combat de ligne. Ils savaient attaquer en petits groupes, tendre des embuscades, s'en tenir globalement à un plan prédéfini, oui. Ce n'étaient pas des incapables. Les camarades de Braeburn auraient pu en témoigner si les corbaux ne leur avaient pas dévoré les yeux.

Mais les indiens étaient désespérement individualistes. Dès que l'entraînement abordait le combat, les peaux-rouges brisaient les rangs, attaquant à l'intinct, de façon anarchique. Braeburn devait leur concéder une chose : leur brutalité et leur spontanéité était un atout clair dans les affrontements au corps à corps. Mais qu'ils tombent face à n'importe quelle batterie de mitrailleuse, et ils se feraient mettre en pièces.

Peut-être que s'il avait eu du temps, vraiment du temps pour s'habituer à ses élèves (et sans doute pour qu'eux s'habituent également à lui), il aurait pu en tirer quelque chose. Mais le temps, c'était clairement ce dont ils manquaient. Ogima lui avait fait savoir que les troupes equestriennes faisaient route vers les terres de la tribu, et que même s'il pouvait se débrouiller pour ralentir la colonne, elle serait dans les badlands dans quelques semaines à peine. C'était trop court. Trop court pour former les guerriers indiens à un nouveau type de bataille.

Ils allaient droit à l'abattoir.

Et bizarrement, cette idée, qui avait été une option considérée avec bienveillance par Braeburn, au début de sa détention, commençait à lui déplaire. Oui, les Nez-Percés avaient massacré ses frères d'armes et l'avaient enlevé. Oui, ils le forçaient à travailler pour eux.

Mais il n'était pas maltraité. Ogima avait respecté sa parole, et tant qu'il ne s'éloignait pas trop du village, on le laissait plutôt en paix. Il pouvait prendre ses repas avec les indiens, et petit à petit, il commençait à apprendre les rudiments de leur langue.

Sur ce dernier point, la jeune fille qui n'était jamais loin de lui, celle qui servait d'interprete officielle au sein de la tribu s'était révélée très efficace. Elle s'appelait Wasaka Cantala, si Braeburn avait bien saisi. Sortie de sa charge de traductrice, elle n'était guère bavarde, mais le caporal se sentait bien en sa présence. Elle lui avait enseigné l'essentiel pour qu'il puisse se faire comprendre de ses guerriers, et plusieurs fois, elle avait traduit les paroles de l'homme médecine du village, qui voulait en savoir plus sur les blancs.

En ce moment, elle était assise sur un gros rocher, genoux repliée contre la poitrine, ses cheveux jaunes foncés retenus par un bandeau chamarré.

Il n'allait pas dire que c'était une amie. Mais elle était...bienveillante, à défaut de trouver meilleur mot.

Il n'y avait qu'une fois qu'il l'avait vue en colère. Quelques nuits auparavant, alors qu'ils dînaient tous de brochettes de wapiti, il lui avait demandé pourquoi est-ce qu'elle avait le teint si différent des autres Nez-Percés. Après un court silence, elle lui avait très sèchement répondu de “s'occuper de ses propres affaires”, et avait fini le repas sans dire un mot. L'échange s'était fait en anglais, mais Braeburn était sûr que le ton de l'accrochage n'avait échappé à aucun indien.

Elle l'avait mal pris. Mais le militaire ne pensait pas à mal. Il ne pensait pas tout court, bien des fois, et c'était un de ces moments là. Le lendemain, il avait voulu s'excuser, mais elle avait répondu qu'il ferait mieux de se concentrer sur l'entraînement de ses troupes. Et la formation militaire avait repris le dessus.

Braeburn frappa dans les mains pour attirer l'attention de ses élèves.

_On reprend la marche en ligne de bataille depuis le début, cria t-il en anglais, laissant Wasaka assurer la traduction. Et une, deux, une, deux, une, deux !

Perchée sur son rocher, l'indienne laissa une main s'égarer dans ses cheveux pour en retirer une feuille. Elle avait passé des après-midi plus intéréssants qu'à regarder les guerriers de la tribu faire les marionnettes sous les ordres d'un soldat blanc. Mais Ogima lui avait confié cette mission d'interprete, cruciale pour les Nez-Percés. Ce serait un désonnheur devant les ancètres de faillir alors qu'ils tenaient là leur seule chance de survie.

Wasaka n'était pas idiote. Elle avait laissé traîner son oreille près des feux de camps, elle avait entendu ce que chuchottaient les femmes des anciens alors qu'elles préparaient le pemican. Les blancs allaient venir avec une armée formidable, des fusils, des canons. Ils attaqueraient avec plus de cruauté qu'on ne pourrait jamais l'imaginer, et même le plus grand des guerriers Nez-Percés, le puissant Gomda, ne pourrait rien faire face à eux.

Alors si les hommes de la tribu apprenaient les techniques de guerre blanches, peut-être que les choses changeraient. Ils manquaient de temps, mais Ogima avait ordonné aux éclaireurs de se porter en avant des visages-pâles et de tout faire pour les ralentir.

Cela n'empêchait aucunement Wasaka de se coucher chaque soir en se disant qu'au réveil, le village serait attaqué par les soldats equestriens. Mais jusqu'à maintenant, les choses tenaient encore debout. La vie suivait son cours au sein de la tribu, même si personne n'était dupe. L'idée d'Ogima était un pari fou, un dernier lançer de dé. Ils n'avaient aucune chance de réellement réussir.

Et pourtant...sans se l'expliquer, Wasaka se mettait tout doucement à avoir une certaine confiance dans leur “hôte” blanc. Il n'était pas très malin, et elle était persuadée qu'il suffirait qu'elle lève les yeux un instant pour qu'il s'échappe jusque dans les badlands, mais il s'acquittait de sa tâche avec un fatalisme qui forçait le respect. Il maîtrisait de plus en plus les bases de la langue qu'elle lui avait enseigné, pour qu'il communique mieux ses ordres aux guerriers, et elle s'était même surprise à tendre l'oreille quand Braeburn s'entretenait avec l'homme médecine, qu'il parlait de la ville des blancs, et de leurs croyances.

Et puis c'était tout simplement amusant de voir un homme à la peau blanche, et aux cheveux jaunes. Surtout les cheveux. Wasaka était la seule de la tribu à avoir la tignasse de cette couleur, et quand elle était plus petite, les autres filles Nez-Percées ne se faisaient pas prier pour le lui rappeler, en se moquant d'elle. Devenue jeune adulte, les moqueries avaient cessées, mais la traductrice ne pouvait s'empêcher de relever ici et là, dans le regard de sa propre tribu, cette petite lueur dans l'oeil qui disait “tu n'es pas comme nous.”

Elle était pourtant aussi indienne que les autres. Elle avait été elevée avec les autres papooses de la tribu, et elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour aider son peuple. Le fait qu'elle parle anglais, bien sûr, n'aidait pas toujours à la faire passer pour une pure Nez-Percée aux yeux de certains. Etait-ce de sa faute, si plus jeune, quand les contacts entre peaux-rouges et visages-pâles étaient encore amicaux, elle avait appris la langue des blancs pendant quelques années ? Et désormais, ce talent se révélait des plus utiles.

On avait besoin d'elle pour décrypter des papiers ennemis, pour assister lors d'interrogatoires de soldats adverses prisonniers...elle participait à l'effort de guerre, voilà ce qu'elle faisait.

Et elle ne laisserait personne souligner le fait qu'elle puisse être autre chose que Nez-Percée. Même si Breaburn n'avait pas semblé chercher à mal quand il l'avait dit.

Et qu'il était bien plus agréable qu'elle ne l'avait cru de premier abord.



¤¤¤

Bartholomew Adams Zachary en avait vu pas mal au cours des soixante-douze printemps qu'il avait passé sur cette terre. Il y avait eu la tempête de poussière qui avait ravagé les fermes de la communauté, et tout rasé en quelques minutes. Il y avait eu la fois où Bartholomew sirotait sa bière au saloon, et où il avait vu débarquer tout un état-major de la cavalerie royale – c'était encore sous Silver III – s'en jeter une petite. Et il y avait eu ces bonds technologiques incroyables, au premier lieu le télégraphe, qui avait tellement passionné Bartholomew qu'il en avait fait son métier.

Mais en soixante-douze ans, il n'avait jamais vu des gens comme ça : des hommes en uniforme très sombre avec un chapeau profondément enfoncé devant les yeux. Enfin, ça si, il en avait déjà vu. Il ne fallait pas plaisanter non plus.

Mais des gens à la peau grise ? Avec une odeur corporelle si forte que le premier vacher qui aurait chevauché d'ici à Appleloosa sentirait meilleur ?

Et surtout quand ils s'adressaient l'un l'autres avec des noms si...bizarres ?

_Bon, Funk, tu le rédiges ce foutu message, oui ? lança le plus grand des deux hommes. Jazz va nous tuer si elle garde les canassons plus longtemps.

_Et ben elle attendra la bleue, répondit le second, penché sur la table de travail des clients, porte-plume en main. Ca lui fera pas de mal de vivre un peu à la dure.

_Parce que tu trouves qu'on mène une vie de château, peut-être ?

_Va pas me dire que quand on est à Washingthoof, c'est pas Jazz qui a toujours droit à garder les appartements de maman ?

_D'une, tu sais que c'est faux et qu'on alterne. De deux, je t'ai déjà dit d'arrêter de l'appeler “maman”, c'est vachement perturbant. Et de trois, si tu pouvais te bouger le cul, je serais content.

_Blues, je te jure que si tu me refais chier pour que je me dépéche, je te fais bouffer tes dents, et ton télégramme, tu le codes tout seul, connard.

_Je peux peut-être vous aider, messieurs ? proposa aimablement Bartholomew de derrière son gichet.

_Ca se pourrait, dit le dénommé Funk en agitant mécaniquement le porte plume, projetant de l'encre noire sur le parquet. “Meuler”, ça prend un ou deux l ?

_Tu vas pas quand même pas écrire ça ! bondit le premier homme.

_Je code, donc j'écris, répliqua sèchement son compagnon. Et si t'as rien de mieux à faire que de me rester sur le dos, va rejoindre Jazz dehors et lui tenir compagnie.

Celui qui semblait s'appeler Blues leva les bras au ciel tandis que de sa bouche, sortait une prière muette. Il tourna les talons, et quitta l'établissement, laissant Bartholomew seul avec cet étrange client.

Resté seul, l'homme semblait moins agité. Il écivait de façon rapide, raturant ici et là, mais de l'avis du vieux télégraphiste, il semblait plus apaisé.

Après quelques minutes, l'individu à l'uniforme sombre s'approcha du guichet, glissant la feuille à Bartholomew. Le vieil homme lut des suites de nombres, séparées par des blancs. Il n'en était que peu surpris.

Le télégraphe servant à envoyer n'importe quel message, c'était logique que certaines personnes cherchent à crypter leurs envois.

_Où dois-je envoyer ça, monsieur ?

_Mission de San Cavalero, Neighbraska.

Il lui donna les coordonnées précises. De son fidèle crayon à papier, Bartholomew retranscrit en morse sur son calepin, le billet de son client.

_J'ai pas pu m'empêcher d'entendre que vous bossiez à Washingthoof, dit le télégraphiste tout en poursuivant son travail. J'y suis passé une fois, mais c'était y a longtemps. Y avait encore le roi, et tout le monde l'aimait encore, vous pensez bien !

Bartholomew pouffa dans sa barbe blanche.

_C'est toujours aussi grand ?

_C'est pas Neigh-York non plus, répondit son client. Mais ouais, c'est assez grand quand même.

_Vous bossez pour quelqu'un du gouvernement ? demanda innocement le télégraphiste, terminant sa besogne.

L'homme en noir hocha la tête.

_Je peux vous demander qui ? questionna Bartholomew en déchirant la feuille crayonnée et en s'asseyant près de sa machine.

_Ouais. Et je vous répondrais. Par contre, je devrais vous tuer après.

Bartholomew éclata de rire. Elle était excellente celle-là ! L'assurance avec laquelle son client avait prononçé cette phrase. C'était vraiment comme si...

Le vieil homme releva les yeux vers l'individu au chapeau, et vit dans ses yeux une absence totale et absolue d'humour. Il avait été parfaitement sérieux. S'il lui disait, il le tuerait. Aussi simplement que ça.

Bartholomew déglutit, réalisant soudain la paire de pistolets chromés que l'homme arborait à la ceinture.

Oui, en soixante-douze ans, Bartholomew Adams Zachary en avait vu des choses. Mais il pouvait tout aussi bien mettre un frein à sa curiosité, et éviter d'en découvrir de nouvelles. Comme par exemple, se faire tirer dessus dans son propre relais télégaphique.

Ce fut pourquoi le vieil homme se tut, et approcha sans un mot, sa main tremblante de la machine.

¤¤¤

Dans le séminaire de la mission espagnole, qui servait dorénavant de poste télégraphique de fortune, Rapidfire recopiait précautionneusement le message reçu. Il peinait un peu. La formation de télégraphiste au sein des Wonderbolts était assez lacunaire. Après tout, ils étaient des éclaireurs, pas dans les communications.

Rapidfire en savait néanmoins assez pour s'acquitter de sa tâche, même si comme n'importe quel pisteur, il était plus à l'aise au dehors, à cavaler dans les grandes plaines, plutôt que les fesses vissées sur une chaise en bois.

Mais il était avant tout ici pour obéir aux ordres, et si le capitaine l'avait affecté au télégraphe, Rapidfire accomplirait sa tâche.

La fenêtre était entrouverte. Il faisait une chaleur à mourir au dehors, et à l'intérieur, même la pierre des bâtiments ne conservait pas assez de fraicheur pour que les journées soient viables.

L'essentiel des journées se passait dans une sorte de léthargie, où chaque pas qu'on faisait dans la cour, ou sur les ramparts, se payait en litres de sueur perdus. Bien que l'inaction pesait à tous les résidents temporaires de la mission, Rapidfire était content qu'ils n'aient pas à se battre en ce moment. C'aurait été au dessus de ses forces.

D'ailleurs, l'éclaireur priait pour que quand ça commençerait à barder pour de bon avec les indiens, l'armée ait un minimum de bon sens et décide d'attaquer la nuit. D'accord, se battre de nuit, vu la température moyenne des badlands une fois le soir tombé, ça ne serait pas non plus l'idéal. En même temps, est-ce qu'on avait déjà vu des conditions idéales quand il s'agissait de se battre ? Ils ne pouvaient quand même pas demander à la présidente Celestia de faire la pluie et le beau temps sur Terre, quand même !

Rapidfire finit le message, relut trois fois le code morse pour être sûr, avant de prendre la feuille sous le bras, et de quitter le poste télégraphique.

Il ne lui fallut que quelques minutes pour gagner les cellules et frapper à la porte de celle du secrétaire d'Etat. On lui donna l'autorisation d'entrer, ce qu'il fit.

Les quartiers de la diplomate étaient plongés dans la pénombre, conséquence des lourdes tentures qu'elle avait fait aposer aux fenêtres. On distinguait plus qu'on ne voyait les choses.

Rapidfire n'avait cependant aucun mal à identifier la forme assise en tailleur au milieu de la pièce comme étant le secrétaire d'Etat. Mais il devait admettre que la fumée qui envahissait les lieux ne l'aidait cependant pas dans cette tâche.

Luna était entourée d'un nuage de fumée gris, qui piquait les yeux, et faisait racler la gorge.

Mais la seconde femme la plus puissante de la nation restait impassible, portant simplement une longue tige d'ébène à ses lèvres, au bout de laquelle rougeyaient quelques braises, seules couleurs vives de ce tableau bichrome de gris et de noir.

Rapidfire reconnut rapidement l'odeur caractéristique de l'opium. Surprise, une ancienne membre des Wonderbolts, avait été une cliente régulière des fumeries clandestines, et il avait dû plus d'une fois, avec l'aide de Soarin, aller la chercher dans les bas-fonds des quartiers chinois.

Ce n'était pas le genre de spectacle qu'on oubliait facilement, tous ces gens étendus sur des paillasses, le regard éteint, pipe à la bouche. Rapidfire savait qu'ils faisaient un travail difficile. Les Wonderbolts étaient des militaires, et chacun de ses membres qui avait vécu son lot d'horreur, avait sa propre manière d'encaisser le choc. Le capitaine était devenue de plus en plus pieuse avec les années, tandis que Soarin par exemple, trouvait un certain intérêt dans la nourriture fine. Surprise avait opté pour un paradis artificiel qui avait fini par lui ôter la vie.

Rapidfire ne la jugeait pas, même si comme tous, il aurait préféré qu'elle ne touche jamais à cette saleté.

_Je vous écoute, lança Luna de sa voix calme et maîtrisée.

_Un message à votre intention madame le secrétaire, dit l'éclaireur, reprenant le cours de sa pensée, et glissant la feuille à la diplomate.

Un pouce et un index vernis de bleu transpercèrent le rideau de fumée, pincèrent la feuille, et regagnèrent prestement les ténèbres.

Quelques secondes de silence. Rapidfire réalisa soudain combien cette pièce était silencieuse. Bon sang, il n'entendait même pas le bruit de la respiration de Luna !

_Je vous remercie sergent, reprit soudainement le secrétaire d'Etat. Vous pouvez retourner à votre poste.

Le Wonderbolt eut un signe affirmatif de tête sans pouvoir dire Luna l'avait effectivement vu, avant de quitter rapidement la pièce, encore incomodé par les vapeurs d'opium. Pour le repos de l'âme de Surprise, il espérait bien que le secrétaire d'Etat tirerait elle aussi une bouffée de trop un jour ou l'autre...

Luna tira sur sa pipe, savourant la sensation de l'opium. C'était un certain aperçu du paradis. Cette sensation de quitter son corps, d'être libre comme l'air, de briser ses chaînes. Couplé avec les effets de la drogue où le moindre effleurement devenait caresse de plaisir...

Luna n'arrivait pas à s'en passer. Son opium la suivait partout. Elle avait découvert les opiacés au tout début de ses missions diplomatiques, quand elle avait dû se rendre à une réception des délégations occidentales en Empire d'Orient. Un renouveau. Une renaissance.

Sous opium, elle pensait mieux, elle concevait le monde plus correctement. Elle arrivait à visualiser l'intérieur de sa tête, et y mettre de l'ordre. Classer les idées en vrac. Cadenasser les rares choses qui ne devaient pas sortir. Mettre en avant celles qui la stimulaient le plus.

Par exemple, en ce moment, elle relisait calmement le message qui lui était adressé. Elle décryptait sans réfléchir : facile quand c'était elle-même qui avait inventé la clé.

Sa garde s'était donc chargé des quelques pourceaux qui avaient échappé à leur châtiment près de la rivière. Parfait. Personne n'échappait à son armée spéciale. Sa soeur n'aurait même pas à expédier des policiers et des militaires mettre la main sur les derniers discordiens. Elle avait réglé le problème en amont, comme elle savait si bien le faire.

Sa garde libérée de cette tâche, elle pouvait enfin les rejoindre ici.

Ce n'était pas que Luna ne faisait pas confiance à la II° armée ou aux Wonderbolts, mais tous ces gens là, c'étaient des militaires. Ils s'entravaient de codes d'honneurs, de règles de combat. Toutes ces choses qui étaient si belles sur le papier, mais qui n'étaient que du vent face aux vrais obstacles.

Luna et sa garde avaient compris qu'il ne fallait pas hésiter à se salir les mains, à plonger dans le sang jusqu'au coude, et même jusqu'à l'épaule, si le sort des Etats Equestriens Unis étaient en jeu.

Celestia...elle ne voulait pas dire du mal de sa grande soeur. Elle adorait Celestia. Mais Tia était...parfois un peu trop infantine. Un peu trop idéaliste. A trop rechercher la solution pacifique.

Luna, elle, avait compris que quelquefois, cette solution ne marchait pas. Il qu'il fallait devenir plus extrème pour se sortir de vrais problèmes.

Alors oui, Luna faisait des choses qu'on pouvait condamner. Mais en attendant, Equestria vivait encore, et si elle devait se salir l'âme pour que celle de millions de gens reste propre, ainsi soit-il.

Une crampe la fit changer de position, provoquant instantaement un frisson de plaisir. Avec un petit sourire, elle repensa au lieutenant Flash Sentry. Ca avait été facile, finalement.

Il l'évitait depuis cette nuit là, mais Luna avait prévu cette réaction. Ce petit idiot était amoureux de Twilight, et avait l'impression d'avoir fait la pire bétise de sa vie. En attendant, Luna était sûre de lui avoir fait découvrir des choses tellement plus intenses qu'il n'avait dû le faire avec la petite Twilight...elle n'aurait qu'à claquer des doigts dans quelques jours pour qu'il vienne courir à ses pieds. Luna savait s'y prendre avec les hommes, surtout ces romantiques comme Flash.

Et puis, il était loin d'être mauvais. Il avait du potentiel ce petit, il fallait juste quelqu'un pour le prendre en main. Une chance pour le lieutenant que le secrétaire d'Etat prenne son rôle de tutrice aussi à coeur.

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BroNie
BroNie : #6898
shuryt03 novembre 2014 - #6894
Je suis déçu...pas un seul passage sur Flash (pour une fois qu'on me fais s’intéresser à lui ^^)
Non sérieusement, c'étais sympa comme chapitre, et la fin est assez bien faite pour me faire patienté :P

J'ai adoré la petite citation que tu as trouvé au début.

Ps: Luna qui va "prendre en main" flash...je sors===>()


Toutes les citations des chefs indiens sont assez sympas je trouve. Même si je dois faire gaffe à éviter les doublons, vu que l'essentiel du temps sur les sites, ils sont sous leur nom anglais, alors que je me fais un devoir de les mettre ici sous leurs noms indiens.

Et Flash...ben ça reste un perso secondaire. Et déjà que Lune de guerre est bourré de scènes sur des secondaires et des tertiaires, j'essaye de lever le pied. Surtout que je fais traîner, je fais traîner, mais la fic se bouclera bien dans deux chapitres, ou trois.
Il y a 3 ans · Répondre
shuryt
shuryt : #6894
Je suis déçu...pas un seul passage sur Flash (pour une fois qu'on me fais s’intéresser à lui ^^)
Non sérieusement, c'étais sympa comme chapitre, et la fin est assez bien faite pour me faire patienté :P

J'ai adoré la petite citation que tu as trouvé au début.

Ps: Luna qui va "prendre en main" flash...je sors===>()
Il y a 3 ans · Répondre
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