Twilight Sparkle s'était toujours considérée comme une fille d'une grande intelligence. De tête, elle pouvait résoudre une équation à plusieurs inconnues, réciter le tableau périodique des éléments, ou énumérer tous les personnages, secondaires compris, des Chevaliers de Foin. Bref, une femme brillante, le genre de celles qui collectionnaient les vingt à l'école, et qui redonnaient foi en l'humanité à ses professeurs.
Cependant, elle devait bien avouer que si elle était peut-être intelligente, elle n'était pas si maligne que ça.
Une vraie maligne ne se serait pas laissée attraper, se répétait-elle sur la banquette arrière du marshall, qui avait arrêté sa patrouilleuse devant les hautes grilles de la prison.
Elle était curieuse d'ailleurs cette prison. Combien de fois était-elle passée devant en voiture, en allant au travail ? Toujours ces longs murs blancs, ces grilles, ces miradors. Elle n'y avait jamais vraiment fait attention en fait. La prison était là, c'était un fait comme un autre, comme on aurait vu un restaurant de routiers au bord de la route, ou une usine et ses norias de camions.
De temps en temps, en soirée avec des amis, ou en famille, le sujet arrivait sur la table. Ca partait toujours d'un fait divers, de la capture d'un criminel, ou d'une prise d'otage dans une maison d'arrêt. Un verre à la main, on se retrouvait à refaire le monde, à discuter des peines, à commenter la surpopulation carcérale, le taux de récidive, les violences des gangs. Twilight, comme à peu près tout le monde, se réfugiait à ce propos dans une bienveillante indifférence. Bien sûr, c'était triste de voir les conditions de vie des prisonniers, à quatre ou cinq par cellules de deux, privés d'intimité, parfois victimes d'abus de la part des gardiens...mais d'un autre côté, les personnes qui étaient derrière les barreaux étaient des criminels. Des ennemis de la société, qu'elle avait jugé trop dangereux pour vivre librement avec leurs pairs. Alors quelque part, sans qu'on puisse vraiment dire « c'est bien fait » on le pensait un peu.
Puis quelqu'un parlait d'autre chose, Twilight mentionnait quelque chose de cocasse qui s'était déroulé à l'université, et la conversation filait tranquillement, laissant le sujet carcéral disparaitre, comme un pâté de sable léché par les flots.
Une sonnerie suraigüe retentit alors que les grilles s'ouvraient et que la patrouilleuse s'avançait dans la cour. Twilight vit clairement les gardiens sur le chemin de ronde, qui semblaient mille fois plus vrais que les points colorés qu'elle entrapercevait depuis la nationale.
Le marshall arrêta la voiture près du bâtiment principal. Twilight était surprise de ne voir quasiment personne dans la cour. Hormis les gardes du chemin de ronde, et deux employés en uniforme devant la porte, un homme et une femme, le lieu semblait vide.
Twilight fut conduite jusqu'à ces derniers, dont l'un d'eux, avait un bloc-notes et un crayon à papier. Ils échangèrent quelques mots avec le marshall avant que l'homme ne tourne les talons et ne remonte dans sa voiture. Twilight se rendit soudainement compte, en le voyant faire demi-tour, que les traces ADN qu'elle avait laissé sur sa banquette seraient dehors bien avant sa propriétaire.
Quelque part, une microscopique version d'elle-même s'était déjà échappée.
L’absurdité du raisonnement fit sourire la physicienne. Elle tenta d'embrasser le ciel d'un dernier regard de femme libre, grande toile rouge sur laquelle le soleil se couchait lentement.
Les gardiens la conduisirent à l'intérieur, sans grand ménagement. Elle les écoutait égrener leurs règles, vérifier les informations de leurs documents, lancer quelques plaisanteries qui étaient sans doute destinées à détendre l'atmosphère.
Le hall était aussi froid et impersonnel qu'on pouvait l'attendre d'un lieu pareil. Twilight se demanda alors si l'expression « accueillant comme une porte de prison » n'était pas la comparaison la plus juste jamais trouvée de mémoire d'homme. Si elle en avait eu l'occasion, elle aurait posé la question aux collègues du département de littérature.
Elle n'était pas seule toutefois à faire son entrée dans ces locaux. Une autre femme, blonde, assez carrée, en jean-baskets et chemise à carreaux, serrait dans ses bras celui qui, sur le coup, avait semblé à Twilight être son mari, et qui plus tard, se révèlerait être son frère. Quoiqu'avec ces bouseux, on ne savait jamais vraiment la différence aurait pouffé Rarity.
Secoués de sanglots, le couple avait toute la peine du monde à se libérer, et les gardiens semblaient s'impatienter. Sans doute regrettaient-ils d'avoir accordé une dernière étreinte à ces deux là.
Ils étaient plutôt touchants, il fallait dire la vérité. Twilight en venait à regretter d'avoir décliné la proposition de sa petite amie de l'accompagner jusqu'en prison. C'était bête, mais s'il y avait une personne qu'elle tenait à tenir hors de tout ça au début, c'était bien sa compagne. Rarity était adorable mais elle avait ce côté...grandiloquent et exubérant, capable de faire une scène pour un rien. Twilight était sûre que si Rarity l'avait accompagnée jusque dans ce hall, elle aurait fait un tel foin au moment de partir que les gardiens l'auraient sortie de force. Rarity ne méritait pas ça. Et puis ce n'était pas comme si elles ne se verraient plus jamais. La couturière avait promis de s'inscrire sur les listes de visite dès que possible, dans quelques jours, les deux jeunes femmes pourraient se voir.
Le plus dur serait de tenir.
Un gardien finit par poser sa main sur l'épaule de l'homme. Ce dernier grimaça mais sembla rassuré par les paroles de réconfort que lui glissa la prisonnière. Il finit par briser son étreinte, et battre en retraite, le regard rivé au sol.
Twilight et la femme blonde furent conduites dans une petite pièce aux murs carrelés. Au sol, deux piles de vêtements identiques : débardeur blanc, chaussures noires, et bien sûr, la célèbre tenue orange vif des détenus. La gardienne désigna deux grandes poches plastiques juste à côté des habits.
_Avant de vous déshabiller, videz vos poches et mettez vos affaires, et vos bijoux dans ce sac. Tout sera consigné, et vous sera rendu quand vous sortirez d'ici. S'il manque quelque chose, vous serez remboursées par les fonds fédéraux.
Twilight avait prévu le coup, et n'avait quasiment rien sur elle, hormis un paquet de mouchoirs, et des boucles d'oreilles premier prix. Elle n'était pas assez stupide pour laisser son téléphone en dépôt à l'État pour plusieurs années. Rarity saurait très bien surveiller ses affaires. L'autre fille en revanche, semblait avoir du mal à abandonner une petite peluche, une ânesse grise aux yeux en boutons.
_Le doudou part aussi dans le sac, ordonna la gardienne.
_S'il vous plaît ! répondit la blonde avec un accent paysan dont la vigueur surprit Twilight. C'est un cadeau de mon frère. Je ne dors jamais sans !
_Écoutez, dit la surveillante d'un ton fatigué. Le règlement exige que vous entriez en prison sans aucune affaire personnelle. C'est comme ça.
_C'est juste une peluche, objecta l'autre. Quel mal ça peut faire si...
_Vous préférez que je l'ouvre en deux pour vérifier qu'elle ne contient rien d'illégal avant de la mettre dans le sac moi-même ? menaça la gardienne.
La perspective de voir le petit animal de chiffon martyrisé glaça son interlocutrice, qui baissa la tête avant de se résoudre à obtempérer. Puis, comme une automate, elle fit tomber jean et chemise pour enfiler sa tenue de prisonnière, révélant un corps constellé de taches de rousseur.
_Vous aussi, lança la surveillante. Allez, on s'active.
Twilight n'était pas très à l'aise avec la nudité, que ce soit celle des autres, ou la sienne. Plus jeune, en sport à l'école, elle attendait toujours que les autres filles aient quitté le vestiaire collectif pour se changer, ou préparait le coup en enfilant son maillot de bain pour la piscine avant les copines. Même maintenant, même devenue adulte, même depuis que l'intimité partagée avec Rarity lui avait donné plus foi en elle, elle restait cette gamine de treize ans, qui avait toujours l'impression que quelqu'un allait remarquer sa petite poitrine, ou ses cicatrices à l'aine.
_Si ça ne vous gêne pas, est-ce que vous pourriez...vous tourner ? demanda t-elle à la gardienne.
_Ecoute cocote, lâcha cette dernière d'un ton las, j'ai clairement pas la soirée pour t'installer des paravents. Alors y a deux solutions. Soit tu obéis bien gentiment, tu te déshabilles et tu mets ton nouvel uniforme. Soit je vais chercher quelques collègues qui te le feront mettre de force. Mais je pense que t'as pas envie que ça se passe mal dès ton premier jour, non ?
Question rhétorique. Baissant la tête, déglutissant, Twilight s'affaira à ôter son tailleur-pantalon, prenant garde à ne pas froisser l'étoffe. C'était Rarity qui lui avait cousu, elle n'avait pas intérêt à lui abimer !
Les joues en feu, la jeune femme aux cheveux méchés se dépêcha d'enfiler le pantalon et la veste, comme on se débarrassait d'une corvée.
_Et ben voilà, tu vois que c'était pas si horrible, rétorqua la surveillante.
Mécaniquement, les yeux de Twilight accrochèrent les chiffres noirs imprimés sur sa poitrine. Une suite de quatre chiffres, qui ne voulaient strictement rien dire pour elle. 7365. La blonde aux taches de rousseur, elle, avait la suite 2789.
Bizarre qu'elles entrent en même temps mais que les codes ne se suivent pas. Peut-être qu'on réutilisait les anciens matricules des prisonnières libérées. Ou bien les chiffres étaient générés aléatoirement.
Bizarrement, cette simple question aidait un petit peu Twilight. Elle avait toujours aimé les énigmes et les jeux cérébraux, alors être confrontée à un mystère à son entrée en prison, c'était un petit peu comme si elle, elle avait réussi à conserver une peluche à ses côtés.
Le second gardien refit son apparition, mettant les habits civils dans les sacs, avant de les fermer et d'y apposer une étiquette. Il les laissa sur place. Sans doute les sacs étaient-ils rangés plus tard. Twilight et la blonde furent invitées à se saisir d'une grosse couverture brune, d'un édredon, et d'une paire de draps propres.
_Bon ! Annonça t-il en frappant dans ses mains. On va pouvoir y aller. Bienvenue à Tartarus, mesdames !
Escortées par les matons, les deux détenues progressèrent dans les entrailles de la prison. Twilight ne voyait que des couloirs à demi-nus, des portes dont la peinture manquait de fraîcheur, et un sol qui aurait mérité un peu de cirage. Dans l'absolu, ça lui faisait plus penser à l'intérieur d'un service administratif qu'une prison fédérale. Un peu aride donc, mais rien d'insurmontable. C'était pas un bagne colonial. Elles finirent par arriver dans un long corridor, percé de multiples portes d'acier.
Le gardien fit signe à Twilight de stopper au bout de quelques mètres, alors que la blonde poursuivait son chemin.
_Ta nouvelle maison, Sparkle. Ouverture cellule 34, lança t-il dans son talkie-walkie.
L'acier pivota sur ses gonds, permettant à Twilight d'entrer dans la cellule. La porte se refermait à peine qu'elle manquait de faire immédiatement un bond en arrière et de s'y fracasser la colonne vertébrale.
Juste devant elle, à l'envers, quasiment nez à nez, se trouvait le visage d'une jeune femme aux courts cheveux noirs.
A y regarder par deux fois, Twilight s'aperçut vite que l'inconnue avait grimpé sur des lits superposés, coincé ses jambes à leur extrémité, et s'était laissée pendre dans le vide, avant de remonter à la force des abdominaux. Chaque fois qu'elle relâchait, elle manquait de se cogner contre le crâne de Twilight. Cette dernière jugea plus prudent de faire un pas de côté – pas facile dans cette pièce exigüe – pour lui laisser plus de champ libre.
_Je t'embête pas longtemps, prévint la sportive, de la transpiration dans les yeux. J'ai presque fini ma série.
Twilight répondit d'un signe de main un peu vague qu'elle était tout à fait disposée à attendre encore un peu. Ce qui en réalité n'était que moyennement le cas, les bras chargés qu'elle était de ses draps et de sa couverture. Elle prit néanmoins le temps d’examiner la cellule : c'était une petite pièce octogonale, dont le mur le plus éloigné de la porte était percé d'une minuscule fenêtre munie de barreaux. Le mobilier se limitait pour ainsi dire aux lits superposés sur lesquels l'inconnue se suspendait, une table en bois, et deux tabourets. Enfin, dans un coin un peu à l'écart, séparé du reste de la cellule par un rideau qui en ce moment était ouvert, un évier était monté sur une cuvette de toilettes.
Le tout devait faire dix mètres carré au maximum. C'était étroit, surtout à deux. Twilight ne s'attendait certes pas à la suite spacieuse d'un palace, mais tout de même.
_Huit, neuf, eeeeeet dix !
Terminant son exercice, la brune décrocha, se laissant glisser au sol en une élégante roulade, qui rappelait un peu un serpent. Elle se releva, le souffle court, la sueur dégoulinant de son corps, inondant son débardeur blanc. Elle tendit une main moite à la nouvelle arrivante.
_Salut, dit-elle d'une voix aimable, encore un peu cassée par l'effort physique. T'es une des deux nouvelles qu'est arrivée ce soir, c'est ça ? J'ai pris l'habitude du lit du haut, j'espère que ça te gêne pas ?
C'était bizarre comme entrée en matière. Elle disait ça du ton d'une copine avec qui on partageait un chalet à la montagne, ou une tente en colo. Pas que Twilight se plaignait que l'autre soit amicale, mais enfin...
_Non, non, répondit t-elle en coinçant un peu mieux son paquetage sous un bras pour libérer l'autre et serrer la main de sa compagne de cellule. Je préfère le lit du bas, justement.
_Ah c'est cool ! s'exclama la sportive en allant s'emparer d'une serviette qui reposait au fond de la pièce. Ma dernière coloc' voulait aussi le lit du haut, et était assez chiante, c'était un peu tendu du coup.
_Vous avez réussi à trouver un arrangement ? demanda naïvement Twilight.
_Si on veut, dit l'autre. Je l'ai défoncée à coups de plateau à la cantine. Y ont dû lui suturer la moitié de la tronche. Je me suis bouffé quelques semaines de mitard, mais quand je suis revenue...
Elle écarta les bras d'un air triomphateur.
_Le royaume était à moi, gloussa t-elle.
Twilight sentit un nœud se former dans sa gorge alors qu'elle jetait ses affaires sur le lit inférieur. Bon. Amicale d'accord, mais il ne fallait pas oublier que c'était une criminelle après tout.
_J'suis Ambre au fait, mais tout le monde m'appelle Ember. Et toi ton blaze, c'est quoi ?
_Twilight. Twilight Sparkle.
Ambre – pardon Ember – répéta deux fois le prénom comme s'il l'amusait, puis :
_Tu veux une sèche ?
L'universitaire leva un sourcil sans bien comprendre l'objet de la question.
_Vous me proposez quelque chose ?
Ember pouffa avant de fouiller derrière un des montants du lit, en tirant deux petits cylindres de papier blanc.
_De fumer. Tu veux une clope ?
Twilight se sentit devenir rouge de confusion. Oui bien sûr ! Une « sèche » c'était une cigarette. Combien de fois n'avait-elle pas entendu ce terme dans la bouche de camarades de promotion, ou plus tard, de la part de certaines personnes de l'administration ? Elle se sentait tellement bête.
_Non merci. Vous êtes gentille, mais je ne fume pas.
_Arrête avec les « vous », tu seras mignonne, dit la sportive en frappant à trois reprises contre une des parois de la cellule avant d'aller à la fenêtre, semblant attendre quelque chose. On va être colocs pendant un bout de temps, alors on va pas commencer à péter plus haut que notre cul.
Twilight, qui avait toujours eu du mal avec le tutoiement – elle appelait encore les parents de Rarity « madame et monsieur » - se hâta d'enregistrer qu'en prison, les règles de politesse étaient visiblement différentes d'avec l'extérieur.
Ember parut se pencher à moitié par la fenêtre minuscule, tendant son bras au travers des barreaux, semblant attendre quelque chose. Au dehors, la nuit commençait à tout recouvrir. La détenue remonta un drap de lit, dont l'extrémité était roulée en boule. A l'intérieur de celle-ci, se trouvait un petit briquet à gaz de couleur vive.
Twilight ouvrit des yeux ronds. Elles se faisaient passer des affaires d'une fenêtre à l'autre. Ca ne faisait pas cinq minutes qu'elle était dans une cellule, et voilà qu'elle assistait déjà à du trafic entre prisonnières !
Ember alluma sa cigarette, remit prestement le briquet à sa place, et renvoya le drap par la fenêtre. Elle restait près de l'ouverture, pour évacuer plus facilement la fumée.
_Si t'as besoin de quelque chose en tout cas, genre des médocs, de la gnôle ou je sais pas quoi, en attendant que tu connaisses les codes, fais moi savoir d'accord ? Les filles se débrouilleront pour te fournir tout ce que tu veux.
_J'imagine que ça ne sera pas gratuit, lâcha Twilight, commençant à faire son lit.
Ember rit de bon cœur, s'étranglant à moitié, de la fumée lui échappant des narines.
_Pas franchement, non, dit-elle, essuyant une larme qui perlait au coin de son œil gauche. T'es en taule ma grande, tout se paye, que ce soit au magasin, ou entre nous.
Twilight finissait juste de border son lit qu'une sonnerie criarde retentit dans tout le bâtiment, suivi du bruit des portes des cellules qui s'ouvraient. Elle se tourna vers Ember, qui d'une pichenette, expédiait son mégot par la fenêtre.
_L'heure de la soupe, lança la sportive. Il est temps de grailler.
Ce ne fut que sur le pas de la porte, voyant la file indienne de prisonnières qui se dirigeaient toutes dans la même direction que Twilight se rendit compte à quel point elles étaient nombreuses ici. Elle prit docilement place dans le mouvement, se laissant porter par la foule. La file avançait un peu à la manière d'un grand mille-pattes orange, à pas pressés, visiblement agacée de devoir attendre pour manger. Twilight elle-même ne pouvait cacher le creux qu'elle avait à l'estomac.
Avançant avec les autres, elle essayait de relativiser. Mine de rien, ce n'était pas si mal pour un début. Elle aurait pu tomber sur bien pire comme voisine de lit, et Ember semblait décidée à lui simplifier la vie, ce qui était chic de sa part. Elle accepterait sûrement qu'elles déjeunent toutes les deux.
Twilight se retourna, enthousiasmée par son idée, et eut un hoquet de surprise en voyant la brune quitter la file, parler à voix basse avec un des gardiens, et s'écarter du groupe sans rien ajouter. Figée sur place, il fallut qu'une détenue patibulaire, lui intime sèchement l'ordre de bouger pour que Twilight retrouve l'usage de ses jambes.
La nouvelle venue sentait son cœur s'emballer. Voilà qu'elle se retrouvait toute seule juste à l'heure du repas. Ca lui rappelait bien trop ses années de lycée pour ne pas être douloureux.
La cantine était une grande pièce carrelée en damier ocre, recouverte quasiment dans son intégralité de tables d'inox, et de tabourets soudés à celles-ci, sûrement pour éviter que les détenues ne s'en emparent.
La file, disciplinée, se saisissait d'un plateau blanc, de couverts et de gobelets en plastique, et passait docilement devant les cantinières, qui portaient l'uniforme de détenue, une charlotte sur la tête en plus. Quand Twilight vit le contenu de son dîner, soit quelques radis, de la purée lyophilisée, une pièce de viande grasse noyée dans de la sauce brune, et une minuscule grappe de raisin, jamais elle n'eut plus envie de retrouver son habituel restaurant de sushis et ses makis hors de prix.
Plateau serré contre elle, l'universitaire balaya la salle du regard. Elle était à peu près sûre qu'elle aurait des ennuis si elle se pointait la bouche en cœur à une table au hasard. Elle aurait eu le choix, elle se serait mise à part, au calme, mais la capacité de la salle semblait très bien calculée. Il était sans doute plus facile de surveiller les prisonnières par tables communes.
Le plus logique, le plus intelligent, était de dîner avec quelqu'un qu'elle connaissait déjà. La liste n'était pas très longue, d'autant plus affinée par l’absence d'Ember. Twilight passa quelques secondes à détailler les chevelures blondes que ses yeux accrochaient pour reconnaître celle avec qui elle avait été incarcérée plus tôt dans la soirée.
Une silhouette familière semblait être un bon point de départ, hypothèse que les taches de rousseur confirmèrent. Twilight alla jusqu'à elle à petits pas, remarquant qu'elle était entourée de deux autres détenues.
_Salut ! glissa t-elle d'un ton qu'elle voulut enjoué. Vous...
Elle se reprit presque aussitôt, repensant à la réaction d'Ember un peu plus tôt.
_Tu te souviens de moi ? On est...rentrées ensemble un peu plus tôt ? Ca t'embête si je m'installe ?
_Fais toi plaisir, répondit l'autre sans se départir de son accent paysan. J'm'appelle Applejack. Et elles, si je me trompe pas, c'est Heartstrings...
Une jeune femme aux cheveux très clairs, presque blancs, fit à Twilight un petit signe de main alors que cette dernière prenait place.
_Eeeeet...j'suis désolée je vais mal prononcer ton nom...Mafalda ?
_Masala, corrigea l’intéressée, une grande fille à la peau ambrée et aux cheveux bouclés, un accent exotique en bouche.
_C'est ça, Masala.
_Twilight Sparkle, se présenta l'universitaire, tendant le bras par dessus la table.
Les deux détenues ne bougèrent pas un cil, avant que la brune ne hausse les épaules.
_Aucun contact physique n'est autorisé entre prisonnières, dit-elle avec un ton d'excuse. Y ont trop peur qu'on se fasse passer de la contrebande, ou des armes.
C'était plutôt logique, se dit l'universitaire en repliant son bras. Après, ça n'empêchait visiblement pas le trafic, Twilight en avait été témoin un peu plus tôt dans sa propre cellule.
_Masa, au fait, dit la femme aux cheveux blancs, reprenant visiblement le fil de la conversation que Twilight avait interrompue, je t'ai jamais demandé, pourquoi t'as pas de point sur le front ?
_C'est seulement pour les femmes mariées. Et c'est pas parce que je suis indienne que je corresponds à tous les clichés que t'as lu dans le Livre de la Jungle. Toi, je crois que t'as des origines irlandaises, non ? Est-ce que ça veut dire que tu te nourris que de patates et de trèfles à quatre feuilles ?
_J'aimerais bien, maugréa Heartstrings en donnant un coup de fourchette découragée dans sa purée. Au moins, la guiness ferait passer tout ça.
_On dirait que t'es pas la seule à pas avoir envie de manger, signala Applejack
Son attention était fixée sur la discussion animée à la table voisine, entre une détenue et une gardienne. Cette dernière était plutôt petite, semblant mal à l'aise dans un uniforme trop grand pour elle. Mais le plus remarquable à son égard, était sans conteste sa chevelure arc-en-ciel, qu'elle portait en queue de cheval, sous une casquette au badge scintillant.
Bras croisés, tapant du pied droit sur le sol en un rythme agacé, elle semblait très lasse. En tendant l'oreille par dessus les bruits de la salle, Twilight put comprendre leurs paroles.
_Finis ton plateau, Daisy, siffla la surveillante.
_Je ne mange pas de viande, je l'ai déjà signalé à l'administration, rétorqua la prisonnière d'un ton pincé.
_Tu t'es pas inscrite sur la liste de substitution, donc t'as pas le droit au plat de remplacement. De toute façon, c'est pas du porc, précisa la gardienne aux cheveux arc-en-ciel. Alors arrête de me péter les ovaires et finis ton plateau. C'est le règlement.
_Je ne me suis pas inscrite sur la liste confessionnelle, parce que ça n'a rien à voir avec un interdit religieux ! Je suis végétarienne par conviction, pas parce que je suis un dogme rétrograde, et oppressif. Vous me prenez pour une espèce d'extrémiste vegan, hein ? Ca vous plairait qu'on soit tous comme ça, pour que ça colle mieux à votre vision carniste du monde ?
Le regard de la matonne noircissait de seconde en seconde. Elle restait toutefois silencieuse, laissant la détenue poursuivre son monologue.
_Et ben non, désolée, j'essaye juste de faire attention à mon corps, à ma planète et à mon empreinte carbone, même ici, parce que c'est pas parce que je suis enfermée que je ne suis pas responsable de l'avenir de notre planète, et de l'avenir des générations futures. Je veux que vous sachiez que je trouve scandaleux, que vous permettiez seulement aux pratiquants d'avoir des repas de remplacement. C'est clairement de l’athéophobie. En tout cas, vous devriez déjà vous estimer heureux que le matin, j'accepte de boire votre lait qui provient sûrement de fermes qui ne respectent ni les animaux, ni les normes fédérales de production, ni...
_J'ai pas le temps pour ces conneries, persifla la garde en abattant sa matraque droit sur le plateau de la détenue.
C'était comme si un éclair venait de fendre le ciel et frapper la cafétéria. Le silence se fit d'un coup dans toute la pièce. Tout le monde avait les yeux tournés vers la table concernée.
L'arme avait littéralement fendu le plateau en deux, et éparpillé son contenu tout autour. Le gobelet était renversé, l'eau coulant en rigole jusqu'à l'extrémité de la table, d'où elle gouttait. La fille en face de Daisy avait de la pulpe de raisin sur ses lunettes.
Même la gardienne aux cheveux arc-en-ciel avait des restes sur le bas de son uniforme. Mais ce n'était rien à côté de la pauvre Daisy, recouverte de sauce et de purée, du menton à la poitrine.
La matonne se pencha en avant, comme si elle avait mis le monde sur pause de son coup de matraque, et qu'elle seule avait le droit de bouger pour l'instant.
Elle posa la main sur l'épaule de la prisonnière dans un geste presque amical. Les voisines les plus proches de Daisy la virent très bien tressauter au contact de la main de la surveillante.
_Mange, répéta t-elle avec douceur, désignant le morceau de viande.
D'une main secouée de tremblements, comme une automate, Daisy s'activa à couper la viande en morceaux, et les avaler un à un.
Elle pâlissait à chaque mastication, et chaque déglutition semblait être pire que la dernière.
_Voilààààà, commenta avec un sourire la surveillante. Tu vois quand tu veux, t'es une gentille fille.
Daisy ne répondit rien, concentrée, appliquée à finir sa tâche du mieux qu'elle le pouvait, luttant visiblement contre les spasmes qui lui comprimaient l'estomac. Quand elle eut terminé la dernière bouchée de viande, lâchant ses couverts dans son assiette, elle plaqua ses mains contre sa bouche.
_Je savais que t'avais juste besoin d'un peu de motivation, dit la gardienne, reprenant sa matraque dégoulinante de sauce, l'essuyant sans un regard sur le pantalon orange de sa souffre douleur. Grâce à moi, t'iras même pas au mitard pour non respect du règlement, c'est pas beau ça ? Ca mérite pas un petit merci ?
_Merci... lâcha la malheureuse d'une voix blanche.
_Merci qui ?
_Merci gardien chef Rainbow Dash...
_Brave fille, conclut la surveillante en rangeant sa matraque et en tapotant paternellement la tête de la végétarienne. Et qu'est-ce que vous regardez vous ? rugit-elle à l'adresse des spectatrices, qui piquèrent du nez derechef dans leurs plateaux. Y en a une autre qui a besoin d'un coup de pouce pour finir son déjeuner ?
Le brouhaha reprit d'un coup. La dénommée Rainbow Dash resta quelques secondes encore à occuper l'espace avant de s'éloigner de la table d'un pas rapide. Elle avait à peine fait deux pas, que sa pauvre victime se levait et courait ventre à terre en direction des toilettes. La gardienne l'ignora. Sans doute estimait-elle assez lui avoir donné une leçon.
Applejack laissa passer un blanc, puis :
_C'était qui cette furie ?
_Moins fort ! s'emporta leur voisine. Tu veux te prendre un coup de matraque dans le ventre ou quoi ? C'est Dash, la gardienne en chef. C'est elle qui fait la loi, ici.
_PDP va te désosser pour avoir dit ça, gloussa Masala.
_Tu sais très bien ce que je veux dire ! lui objecta Heartstrings. La plupart des gardes ici sont des mecs et des nanas assez sympas. Y font ça pour nourrir leurs gosses et c'est pas souvent qu'ils font chier. Mais Dash ? Un mètre soixante de saloperie. C'est elle qui devrait vraiment être derrière les barreaux, pas nous.
_Ouais enfin, tu t'es quand même pris un an pour profanation de cadavre, crut bon de préciser son amie.
_De sépulture, répliqua la fille aux cheveux blancs du tac au tac. Mon avocat a réussi à convaincre le juge que l'enlèvement de cadavre se justifiait.
_T'as chouré un macchabée ? demanda Applejack levant un sourcil.
_J'allais le rendre ! s'exclama Heartstrings, la main sur le cœur. Mais on avait partiel sur l'anatomie des mains le lendemain, j'arrivais plus à me rappeler de l'ordre précis des huit os de la carpe, et ma box internet était fichue ! Quel autre moyen j'avais pour réviser à 2h du matin ?
_Aller réveiller une de tes potes de promo quitte à se faire engueuler, plutôt que de forcer la porte du cimetière, peut-être ?
_C'était aussi l'avis de mon avocat. Mais j'y ai pensé qu'après. Bref. Pour reprendre ce que je voulais dire, si Dash vous tourne autour, tenez vous à carreau. Vous la bouclez et vous lui obéissez. Jouez pas à faire la plus maligne. Elle adore casser les fortes têtes.
C'était un peu l'impression que Twilight avait eue et elle n'avait aucune envie d'aller tester cette hypothèse que ce soir, ou pendant toute la durée de son incarcération.
Après le repas, de retour dans sa cellule, elle se cala sur sa couchette, se déshabilla, et se glissa sous les draps. Au dessus, Ember ronflait paisiblement, une main pendue dans le vide. Twilight porta naturellement le regard vers la fenêtre, seul espace de liberté de la pièce. Un croissant de lune était visible par delà les barreaux.
Bon. Elle s'était imaginé le pire, mais avait tenu le coup. Personne ne l'avait encore poignardée, ou poussée à rejoindre un groupe suprémaciste blanc. C'était plus proche d'une grosse colo, avec les repas dans la grande salle et des surveillants un peu nerveux.
Une soirée de passée. Twilight ferma les yeux, se répétant que plus que 999 dormir, et elle serait dehors.
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Je mentirais en disant que ma consomation accrue de séries Netflix n'a pas influé sur l'idée de cette fic
Ce n'est pas encore assez pour dire si c'est bon, mais ce n'est clairement pas mauvais. C'est visiblement inspiré des séries du genre Orange is the new Black ou ce genre de chose.
Merci des encouragements ;)
(je pense qu'on a affaire à quelques trolls qui down juste parce que cette fic vient de moi, bien plus que parce qu'ils ne l'aiment pas. Pas grave, j'ai déjà leurs vues donc la youtube mone...ah bah non mince)
La peluche était surtout là pour faire revenir Smartypants, que j'estime qu'on voit trop peu désormais dans MLP. Quand à savoir ce qu'a fait Twilight pour se prendre trois ans de zonzon, je ne peux rien dire en com pour ne rien spoiler, mais je peux déjà donner un indice : Hadopi n'y est pour rien
Allez, j'aime la fiction, et je n'arrive pas à dire autre chose. Si, que c'est bizarre d'imaginer Applejack avec une peluche et voilà je n'ai pas de commentaire constructif à faire.
En attendant, je me demande bien ce qu'a fait Twilight (à moins que je sois aveugle).
Bonne continuation .