Dirty Shovel était un terrestre vivant dans les quartiers résidentiels de Las Pegasus, surnommés affectivement Las Pegasus « le vieux » par les riverains de la ville. Ce quartier, qui longeait les docks de l’océan Lunatique, avait été érigé par les pégases, suite à l’unification d’Equestria, en même temps que Baltimare et Canterlot. Bien des années avant la cité-casino telle qu’on la connaît maintenant. Seule une poignée de poneys y vivaient en permanence, et les maisons se transformaient peu à peu en résidences secondaires et en hôtels dits « low-cost » par les magazines. Dirty Shovel faisait parti des irréductibles figures de la « vieille ville », et s’insérait aussi naturellement dans le paysage que le désert de San Palomino.
Pourtant, le poney était de nature très discrète. Il n’aimait pas particulièrement les foules, et ne sortait presque jamais de sa demeure, à l’extrémité Sud du dock. Il était d’une extrême pâleur, et sa redingote noire était particulièrement rapiécée et poussiéreuse. La maison était à l’instar de son maître, branlante et lugubre. Légèrement tordue. Des rumeurs circulaient au sujet de « La Maison », des histoire de fantômes, certainement propagées par l’hôte pour tenir les badauds et les touristes à distance respectable. Et en matière de fantôme, Dirty Shovel était une institution, pour un peu qu’on lui prête une oreille attentive. Ou bien même un tant soit peu attention.
Dirty Shovel était sur le départ justement. Par dessus sa redingote, il agrafa par une broche d’argent une cape de voyage tout aussi miteuse, trouée en plusieurs endroit, comme brûlée. Et toujours aussi terreuse. Son costume puait la misère, mais il lui collait à la peau comme une enveloppe à du papier à lettre. Contre la tête d’un lit complètement défoncé, dont les motifs soyeux n’était que des toiles d’araignées grisâtres, une pelle reposait pêle-mêle entre des draps dont les couleurs rappelaient le sel et le poivre, même si elles étaient passées depuis longtemps. Le poney se saisit presque religieusement de l’outil, et l’appuya sur son épaule. Sa maison était de plein pied. Une aubaine. Sa jambe droite lui faisait mal depuis le tragique accident qui avait fait basculer sa vie. Il claudiquait, et les années passant, il lui semblait que son membre meurtri s’alourdissait nuit après nuit. Mais il fallait bien qu’il travaille, au moins pour la morale. Même si son labeur était plutôt salissant, et n’était pas très reluisant.
Traversant les couloirs obscurs qu’éclairaient avec peine des chandelles presque intégralement consumées, entre les vieux cadres aux portraits indistincts sous une épaisse couche de poussière et un mobilier digne des plus grands antiquaires, son pas résonnait avec fracas dans les pièces austères et vides, tandis que la poussière se soulevait et retombait en permanence. Après divers coudes, le corridor mena enfin à la porte d’entrée, une lourde porte en bois massif, du chêne probablement, sertie et ferrée de longues et larges barres de fer. Dirty Shovel la poussa sans mal, et elle s’ouvrit dans un grincement sinistre. Vu l’état des lieux, on doutait que cette dernière puisse être huilée.
Il faisait nuit dehors. Les embruns et l’air marin assaillirent les os perclus du terrestre, ne tardant pas à le tremper. Il arrivait dans une petite cour de pierre, qu’agrémentait quelque peu des sculptures populaires ainsi qu’une plate-bande débordant de pissenlits et de chardons, deux trois arbres rabougris et un bassin ou flottaient deux trois poissons. Bien entendu, les pavés fissurés et descellés était tout aussi sales que l’intérieur, aussi peu que l’on puisse les discerner sous un tapis de feuilles mortes. Dirty Shovel marchait lentement, légèrement bossu et boitillant, d’un pas étrangement fascinant. Il releva la tête en arrivant à proximité d’une charrette sommaire et grossière, quoique robuste, dont la structure était intégralement de bois, des roues aux barrières retenant le chargement. Usée, cette charrette n’en resplendissait pas moins par rapport au reste de la bâtisse, cour comprise. Elle avait un éclat singulier sous la lune si ronde et rayonnante. Peut être à cause du magnifique drap blanc qui en recouvrait l’arrière. C’était un paradoxe ; les poneys prenant plus soin d’eux que de leurs outils de travail, normalement. Mais Dirty Shovel était comme cela, et tout une vie n’avait pas suffit à le faire changer sur ce point là.
Le drap flotta sous le vent nocturne. Le terrestre déposa avec délicatesse et grand soin sa pelle en longueur pour la retenir. Tandis qu’il le faisait, il chuchota d’une voix rauque et grave, tant et tant qu’elle fut presque imperceptible :
« Je te promets qu’ils vont venir. Ils viennent toujours. En route maintenant. »
Le poneys s’exécuta. Il plaça le joug sur sa nuque, portant grand soin à son chargement. Il s’arc-bouta, pliant son échine, mais la charrette ne bougea pas. Il se libéra et retourna auprès du drap blanc. Il passa une main dessus, appréciant l’objet pour sa splendide simplicité. Il écouta le vent souffler dans les branches, s’immiscer entre les pierres craquelées, et releva son sabot. Il cracha dessus, porta la patte à son cœur, et la laissa retourner au drap blanc. Elle laissa une empreinte et une trace indélébile sur la toile auparavant immaculée. Le vent se calma :
« Croix de bois, croix de fer, Shovel ne dit jamais de parole en l’air. »
Le terrestre retourna sous le joug, celui de son travail, celui de l’habitude, celui qui le guiderait ce soir encore. Il fit un pas, puis deux, puis tourna en direction du portail de sa cour. La charrette le suivit paisiblement et sans un bruit, sous l’éclat morbide et froid des étoiles et de la Lune. Le portail de fer, à l’instar de sa consœur de chêne, grinça sinistrement sous l’œil torve de deux gargouilles de pierre restant de marbre. Il donnait sur une étroite ruelle, clairement oubliée ou sciemment délaissée par les services municipaux, les poubelles débordantes d’immondices, attirant les rats comme les humeurs attirent la peste. Toujours claudicant, Dirty Shovel se fraya un chemin, ne se souciant pas des rigoles noirâtres dans lesquelles ses sabots baignaient tranquillement. Il rejoignit quelques instant plus tard la rue principale des docks. Il tourna à droite, et commença à la remontée, à sa vitesse, sans se presser. Il avait tout son temps maintenant. Enfin, presque. Le bois de White Lake Wood, n’était qu’à une heure de marche de la banlieue septentrionale de Las Pegasus. Fallait-il encore parvenir à traverser la ville.
Les docks étaient bien entendu désert à cette heure. Les seuls mouvements perceptibles étaient le tangage des bateaux sous l’effet de la marée descendante, tandis que la Lune s’élevait paisiblement. Cependant, dans la nuit, les bruits de la City commentaient à se faire entendre. Des bruits de joie, d’allégresse, de pétarades, d’engins pyrotechniques. Ils alourdissaient encore l’air de leur bourdonnement incessant. Certainement que les cœurs étaient à la fête. Sur les docks, en tout cas, tout semblait mort. Dans l’obscurité ambiante, le poney à la charrette avançait droitement et adroitement, finalement. La tête droite, il observait les étoiles qui scintillaient, s’allumant et s’éteignant mutuellement, comme un seul chœur. Chœur inaudible pour le commun des mortels, semblait-il au terrestre ; autant brillaient elles si superbement que la lumière des lampadaires aveuglaient les citadins dans leur festival vide de sens. Cependant, aussi atypiques que les docks pouvaient l’être, ils ne s’étiraient pas à l’infini. Ces oreilles furent vite assaillies par un affreux son ; le larsen d’un micro magiquement amplifié. Les speakers résonnèrent, reprenant en un canon géant et mécanique les propos d’un poney beaucoup trop influent :
« Mes très chers amis, ce soir est une soirée très spéciale. Mais pas autant que vous bien sûr ! Cependant, à circonstance particulière, offre particulière, surtout pour mes amis, ha_ha, si particuliers. Nos vendeurs seront fièrs de vous vendre nos délicieuses friandises à moitié prix, à condition que vous le payez deux fois. N’est ce pas magnifique, ha_ha ? Alors, Mes très chères amis, Gladmane vous souhaite à tous… Une horrible Night-Mare Night ! »
D’autres feux d’artifice explosèrent, soulevant une clameur tel que la terre elle même semblait crier d’effroi. Dirty Shovel fit la moue, murmurant à destination du drap un « je vais me hâter, ne t’en fais pas » et s’engouffra à travers le portique qui séparait le secteur portuaire du reste de la ville. Il y avait foule ce soir là. Tout les poneys étaient déguisés, dans des costumes bariolés et étranges, inspirant fascination, ahurissement, surprise, et rires. Un dragon et un TimberWolf sonnèrent à la porte d’une vieille demeure. Une dame tout aussi vieille ouvrit, et les enfants tendirent leurs sacs avec avarice. La dame sourit, portant un sabot à son cœur, tant leurs déguisements étaient réussis, et donna quelques bonbons au deux compères, les mettant en garde. Les bonbons n’étaient pas pour eux, mais pour Nightmare Moon, et si cette dernière voyait que son tribut avait été consommé, elle retrouverait les fautifs et emplirait leurs nuits de cauchemar. Les enfants s’en allèrent en gloussant, leurs bouches remplies de caramel, pour l’instant. La dame resta un petit moment sur le perron, avant de noter la charrette, certainement. Car, dès qu’elle entra dans le cercle de lumière que prodiguait un lampadaire biscornu, elle claqua violemment la porte et la ferma à double tour, se précipitant à l’intérieur.
Plus loin, un défilé se profilait. Malheureusement, ce-dernier empruntait le boulevard menant au Nord de la ville, et Dirty Shovel ne pouvait y réchapper. Il faisait maintenant lumière comme en plein jour. Les grandes enseignes arboraient des panneaux luminescents, gargantuesques et énergivores, sur lesquelles se succédaient à une vitesse folle des publicités abrutissantes et vicieuses, certainement pour propager la frustration et l’envie. Et tout ce beau monde circulait dessous, sans jamais y prendre pleinement attention. Certes, les gens relevaient la tête pour les regarder, mais immédiatement après, une nouvelle annonce de Gladmane venait stimuler un autre de leurs sens. Acheter. Acheter. Acheter. Une petite pouliche pleurait à gros bouillon, frappant les jambes de sa mère, réclamant à grand cri des bonbons, tandis qu’elle écrasait autant qu’elle put un costume sur mesure et cousu main, simulant piteusement maintenant le mufle d’une manticore. Sa mère l’écartait sans cesse, afin de demander avec inquiétude si son maquillage ne coulait pas. Elle portait un masque. Un peu partout, des situations similaires se déroulaient, tandis que la voix de Gladmane se faisait de plus en plus traînante, que les publicités faisaient maintenant office de trombinoscope. Un jeune pégase demanda à son père qui était Nightmare Moon. Ce dernier fut bien en mal de le lui dire. Il demanda alors si son fils adoré n’avait pas besoin d’un autre jouet. L’enfant sauta en l’air, effectua une petite pirouette, et délaissa sa meilleur amie griffonne pour suivre son père entre les étals éphémères chargés à profusion d’articles tout aussi permanents.
Dirty Shovel en était malade. Il était encore plus pâle, si ce fut possible, que tout à l’heure. Il murmurait sans cesse au drap blanc, qui s’affolait malgré la pelle, qu’il ne fallait pas s’inquiéter. Que des gens savait encore pourquoi cette fête existait. Il se donna beaucoup de mal, car lui-même n’y croyait guère. A part la vieille dame, les nouvelles générations semblaient se perdre avec la signification des traditions. Il pressa le pas, l’échine courbée et pesante. Son corps tout entier l’était d’ailleurs. Mais il voulait quitter cet endroit au plus vite. Heureusement, par un curieux fait, la mer houleuse de personnes semblait s’écarter sur son passage. Peut-être était-ce à cause de la charrette, ou encore de son mystérieux tireur, son visage impossible à discerner sous son capuchon et sa redingote ténébreuse. Néanmoins, ce fut le cas, et la traversée de la ville se finit sans encombre. Dirty Shovel sembla revivre à nouveau, un court instant, quand les building et les complexes de plusieurs dizaines d’étages et leur vitrine macroscopique furent loin derrière lui.
Le reste du trajet, jusqu’à la lisière du bois de White Lake Wood, fut particulièrement calme. Le terrestre parvint rapidement à destination. De magnifiques pierres marbrées et sublimement bien alignées se dressèrent entre la route longeant la voie ferré et la bordure des arbres. L’air s’allégea soudainement pour le poney claudicant, malgré que sa patte lui faisait vivre le martyr. Tout était stoïque, immuable. Et cela apaisa le cœur brûlant de venin parfaitement dissimulé du fossoyeur. Ici, ceux qui dorment ont connu des valeurs qui aujourd’hui se perdaient, et ce n’était pas une princesse de plus ou de moins qui allait changer la donne. Il y aurait du mieux, du moins espérait-il, mais ce mieux serait minoritaire, et minimisé d’ailleurs. Les journalistes s’en assurerait. Dirty Shovel continua d’avancer entre les tombes. Il en avait connu, des festivals. Mais jamais il n’avait vu, jusqu’à très récemment, les dérives qui y étaient liées. Certainement qu’à l’heure actuelle, la Princesse de la Lune faisait de son mieux pour apprécier la fête qui lui était destinée. Il arrêta la charrette devant une croix qui n’avait pas encore été gravée. Mais certainement que Luna s’en apercevrait bientôt, et qu’elle fera tout son possible pour y remédier, assisté par quelques poneys destinant toujours leurs friandises à Nightmare Moon. Le terrestre s’empara de sa pelle, et entreprit sa tâche, rassurant le drap. Bien sûr que son trou sera assez large. Bien sûr qu’il mettra un Y à Cherry. Bien sûr que les asticots la prendront, mais ce n’était pas grave. C’était toujours mieux que les charognards. Bien sûr qu’il viendra la voir de temps en temps. Et bien sûr qu’ils viendront dans deux jours. La Saint Défunt restait leur fête à eux. Non, il n’y aura pas de musique. Non, il n’y aura pas de feux d’artifice. Non, il n’y aura pas de bonbons. Bien sûr qu’il y aura des fleurs.
A chaque réponse apportée, le drap tremblait légèrement et le vent soufflait depuis la grève, tandis que Dirty Shovel donnait un coup de pelle assuré à la terre meuble. Cela faisait depuis cinq-cents ans qu’il maniait sa pelle, chaque nuit, et cinq-cent fois qu’il traversait ce festival. Et il n’y avait que ce cimetière qui ne changeait pas. Où les traditions ne changeait pas. Mais Shovel n’était ni en colère, ni triste. c’était ainsi, tout simplement.
« Ils viendront. Ils viennent toujours. En route maintenant. Croix de bois, croix de fer, Shovel ne dit jamais de parole en l’air. Les traditions changent en même temps que les civilisations. »
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