Les basses menaçaient de faire écrouler le lieu sur lui-même tant les pulsations étaient fortes. A chaque à-coup, on en ressentait la force dans sa poitrine, et jusqu'au dernier de ses os.
Les yeux n'étaient pas épargnés : des nuées de couleurs violentes, du vert pomme, du violet ou du jaune canari illuminaient les ténèbres, et des lumières stroboscopiques crépitaient régulièrement sur la piste de danse.
Sur cette dernière, jeunes étalons et juments se déhanchaient du mieux qu'ils le pouvaient, se gorgeant de son et de lumière, essayant de se séduire les uns les autres. C'était sans doute plus un état d'esprit qu'autre chose, se disait l'élève infirmière Redheart en sirotant son cocktail offert par la boite de nuit. Elle-même avait du mal à se faire à ce genre de concept. Pas la fête en soi, elle n'était pas la dernière à lever le coude dans un bar ou en soirée, mais les clubs, elle avait du mal avec l'idée.
C'était même pas les étalons un peu lourds, elle avait déjà eu à les gérer, et y étaient même pas si méchants que ça. Non, c'était juste que sortir danser avec des inconnus, bof quoi. Elle n'avait accepté de venir ce soir que parce ses collègues de promo avaient insisté. Redheart, qui avait une tendance un peu trop nette à toujours dire oui, avait donc calqué ses pas sur ceux de son groupe.
Au pire, ce n'était qu'une soirée. La prochaine fois, ils iraient dans ce bar sympa de la 33e rue, ou traîner sur les quais. Redheart pouvait bien faire contre mauvaise fortune bon cœur.
Elle se repositionna sur la banquette de la salle lounge, bien à l'abri du chaos visuel et auditif de la piste de danse. Elle laissa sa main libre s'égarer dans sa crinière rose. Elle coinça quelques mèches entre ses doigts et lissa avec attention. Elle avait toujours les cheveux qui frisaient de façon étrange en soirée, elle ne savait pas pourquoi.
Son amie Coco Pommel, assise à côté d'elle, laissa échapper un petit rire de gorge.
_Tu devrais essayer ce nouveau produit, tu sais celui dont je t'ai parlé hier. Ça te fixe la crinière pour 24h non-stop.
La jument beige donna un petit coup sur sa frange bleue, qui resta presque en place.
_Tu vois ? C'est solide et ça résiste même à la douche.
Redheart eut un haussement d'épaules et continua à peigner sa crinière rose à même les doigts.
_Non merci Coco. Je veux bosser dans la santé, tu te souviens ? Je vais éviter de me balancer des produits chimiques sur la tête juste pour me faciliter la vie.
_A toi de voir si tu veux rester une campagnarde mal fagotée toute ta vie, ma vieille.
Le ton de Coco était gentiment moqueur, pas réellement méchant. Elle disait ça pour la faire réagir, Redheart le savait bien.
Le plus drôle était que techniquement, si campagnarde il devait y avoir, c'était plutôt Coco qui correspondait à cette définition. Elle était née en dehors de Manehattan et s'y était parfaitement acclimatée, devenant une assoiffée de sa vie nocturne, et une petite fée dans le monde de la haute couture. Redheart s'était demandé si la façon dont Coco se coulait dans le moule de la parfaite manehattanienne n'était pas une manière d'effacer des origines qu'elle considérait comme peu dignes d'intérêt.
L'élève infirmière ne se posait personnellement pas tant de questions. Elle même était une manehattanienne pur-jus mais n'en tirait aucune sorte de fierté.
C'était le hasard – ou la volonté de Celestia si l'on était croyant – qui nous faisait naître ici ou là bas.
Ça n'avait pas plus de sens que d'être fier d'être un terrestre ou une licorne. On était ce qu'on était, point. Et on faisait son chemin dans la vie avec, voilà tout.
Redheart aimait sa ville natale mais n'était pas contre déménager une fois son diplôme d'infirmière en poche. Que ce soit pour une autre grande ville comme Las Pegasus, le bout du monde comme Vanhoover ou ailleurs, elle irait où on aurait besoin d'elle, point. N'était-ce pas là le but même du métier qu'elle voulait faire ?
Un mouvement agita soudainement la boîte de nuit. Des têtes se tournaient, des museaux se penchaient pour glisser des informations dans les pavillons, et des bouches s'ouvraient toutes rondes.
Redheart regarda autour d'elle, intriguée, les poneys se pousser, former une sorte de haie d'honneur de laquelle crépitaient les flashs des téléphones portables et les exclamations enthousiastes.
_Jackie ! Par ici ! entendit-elle.
_A droite, regarde à droite !
_Je peux faire une photo avec toi ? quémanda une troisième voix, vite noyée dans un brouhaha informe.
La foule empêchait l'élève infirmière de voir qui était la cible de toute cette attention. Tout juste si elle entrapercevait une robe verte. Mais peut-être faisait-elle erreur, les lumières du club n'aidaient pas à se faire une idée tout à fait juste.
Même Coco semblait avoir pâli, pour peu que ce soit possible de distinguer la nuance de ton sur sa fourrure beige. Elle avait plaqué ses mains sur la bouche et sautillait sur son siège comme une pouliche surexcitée le matin de la Veillée Chaleureuse.
Redheart finit par craquer et lui demander la raison de son agitation. Son amie ne répondit pas tout de suite, gloussant au travers du bâillon de ses doigts, jusqu'à ce que la masse compacte de la foule ne passe devant elles et s'éloigne. Alors seulement elle parut reprendre son calme.
_C'est Jackie, finit-elle par déclarer après avoir avalé sa salive. Elle est là ce soir ! Dans la même boite que nous ! Tu te rends compte un peu ?
_Jackie, répéta la jument blanche en haussant un sourcil, l'air de dire « je suis censée connaître ? ».
Coco eut un regard sincèrement navré.
_Je te prends un abonnement à Haynity Fair pour ton anniversaire, c'est pas possible de rester dans l’ignorance comme ça. Tu peux pas te dire de Manehattan si tu connais pas Jackie Orange.
_Orange comme monsieur et madame Mosely Orange ?
Un nom aussi célèbre, même une fille comme Redheart qui ne s’intéressait pas du tout aux magazines sur le gotha en avait entendu parler. Elle ne comptait pas les fois où elle les avait vus en couverture des magazines people qu'elle installait en salle d'attente pour les patients. Les Orange appartenaient à la race des gros bonnets, la crème de la crème, le genre de rentiers qui se donnaient bonne conscience en organisant galas de bienfaisance et levées de fonds pour les plus démunis.
Ces gens là étaient superficiels, mais la terrestre ne pouvait pas cracher sur les moyens qu'ils pouvaient injecter dans la lutte contre la pauvreté ou dans les services de santé.
_C'est ça, opina du chef Coco, son produit pour crinière gardant parfaitement la frange en place. Ils sont morts dans un accident de voiture y a deux mois à peu près, et comme ils n'avaient pas d'enfants, c'est leur nièce, qu'ils élevaient, qui a hérité de leurs biens. T'imagines ? Elle a notre âge, moins même, et c'est une des plus grosses fortunes de la ville !
_Je sais pas si j'aurais aimé que mon oncle et ma tante meurent pour que je touche quelque chose,murmura pensivement la jument à la crinière rose.
_Alors bien sûr, poursuivit Coco sans s'arrêter, t'imagines bien que tous les beaux partis de Manehattan lui courent après. C'est le cœur à prendre.
Redheart fit la moue. Elle s'imaginait mal être courtisée uniquement par sa fortune. Au sens propre, parce que son compte en banque ne tutoyait pas le mont Equuleus, et que le premier qui voulait la fréquenter pour l'argent ferait bien de reconsidérer son style de vie avant de se lancer, et au sens figuré, parce qu'elle s'était toujours dit que l'amour devait dépasser ce genre de considération matérielle. L'argent était un moyen, pas une fin en soi. Redheart aurait eu le goût du fric, elle aurait fait des études de droit ou dans la finance plutôt que dans la santé. Ou quitte à rester dans ce domaine là, ses sabots l’auraient conduite dans les grands labos pharmaceutiques plutôt que dans une école d'infirmières.
Donc ouais, avoir tous les étalons de la ville à ses sabots juste parce qu'on était friquée, c'était pas vraiment un de ses buts de vie. Elle était très contente pour cette Jackie Orange si elle arrivait à le gérer, mais sa compassion s'arrêterait là.
Redheart essaya d'emmener la conversation sur un autre terrain que la petite vie des starlettes manehattaniennes, et y parvint finalement quand elle lança Coco sur Tarantulino, un jeune réalisateur en vogue, qui négociait une dizaine de costumes avec la maison de couture dans laquelle travaillait la jument. Ce pouvait être une vraie chance pour Coco de percer une fois pour toutes et de se démarquer enfin du lot.
Elles discutèrent ensuite de chose et d'autres, jusqu'à ce que la jument beige quitte la banquette quelques instants, pour se rendre aux toilettes, chargeant son amie de surveiller son sac à main en son absence.
Redheart trompa donc son ennui en finissant son verre, jusqu'à ce qu'une jument en tailleur noir et blanc et lunettes fumées ne fasse irruption dans son champ de vision.
_Ton amie n'est pas là ? demanda t-elle d'une voix marquée d'un fort accent.
_Au petit coin, expliqua gentiment l'élève infirmière. Mais si vous attendez quelques minutes, je suis sûre que...eh !
La jument en tailleur venait de lui saisir le bras et la forçait à se lever pour la suivre en direction du fond du bar, dans le coin VIP.
_Pas le temps d'attendre, dit platement l'inconnue.
Avant de comprendre quoique ce soit, elles avaient déjà passé le cordon de velours qu'un vigile refermait derrière elles. Une plus petite section du bar, plus richement décorée s'offrait au regard de Redheart.
Toujours sa main immobilisant le poignet de l'infirmière, l'inconnue la menait jusqu'à un box hérissé d'une demi dizaine de photographes. Redheart se retrouva installée à moitié de force à côté d'une jument orange en robe du soir. Elles échangèrent toutes deux un regard étonné. L'inconnue aux lunettes fumées haussa les épaules, comme pour s'excuser.
_Celle que je voulais n'était pas là, mais elle, elle colle bien au profil non ?
Les autres photographes hochèrent la tête de concert, grommelant leur approbation. D'un geste las, la jument orange fit un signe de la main. Aussitôt les appareils se mirent à crépiter, leurs flashs lumineux emplissant le champ de vision de l'élève infirmière. Pour aussi désagréable qu'elle fut, l'expérience ne dura que quelques secondes, la jument orange leur ordonnant rapidement de cesser leur activité.
Sa voix était...particulière. Très appliquée, mais presque trop, plus guindée que naturelle. Quand les étoiles furent parties des yeux de Redheart, celle-ci put mieux observer celle qui l'efflanquait. La jument devait avoir son âge, quoiqu'un peu plus jeune, une fourrure couleur citrouille constellée de taches de rousseur au niveau du visage, une crinière blonde montée en un épais chignon, et des yeux d'un vert émeraude. Elle dégageait une classe, une prestance encore renforcée par sa tenue, une robe du soir couleur feuille, enchevêtrée de fils d'argent. Ça ne sentait pas du tout la contrefaçon bon marché, c'était de la première main. Le genre de tenue qui pouvait payer à elle seule plusieurs de ses années d'étude à l'école de santé.
_Désolée pour tout ça, s'excusa la jument bien habillée en posant sa main en signe d'excuse sur l'épaule de Redheart. Ils avaient absolument besoin d'une terrestre avec un pelage clair à côté de moi pour que ça rende bien sur les photos. J'ai jamais compris pourquoi une licorne ou une pégase aurait pas fait l'affaire, mais eh !
Elle haussa les épaules, l'air de dire « c'est la vie. »
_Les journalistes people, hein ? lâcha t-elle avec un sourire entendu.
Redheart, prise au dépourvu, répliqua un « oui » poli, sans même trop savoir ce qu'il en était.
_Qu'est-ce qu'on a maintenant ? lança la jument orange à l'attention de celles aux lunettes fumées, qui avait le museau collé sur un smartphone.
_Tu as promis à Haytallica de passer à la fin de leur concert, pour faire un rappel avec eux.
_Je déteste le metal, marmonna la première entre ses lèvres.
_Mais leurs fans sont nombreux et on a une image de marque à leur vendre, Jackie. Je reste persuadée que notre dernier parfum pourrait leur plaire.
Redheart dressa l'oreille. Jackie ? Se pouvait-il que...
Ses pensées furent interrompues par la jument orange qui la poussa gentiment pour s'extraire du box.
_Excuse-moi chérie, lui souffla t-elle en se dégageant. Faut que je file. Encore pardon pour t'avoir bousculée comme ça pour l'histoire de la photo, hein ? Tiens, tu sais quoi ?
Elle claqua des doigts. Aussitôt un étalon en livrée de serveur sembla se matérialiser à ses côtés.
_Vous lui servez une bouteille de champagne. Avec le seau à glaçons et tout le tralala. Et bien sûr, elle peut rester dans le carré VIP. Vous mettez le tout sur ma note.
_Comme vous le voulez, mademoiselle Orange, confirma le serveur avec un petit salut obséquieux.
Redheart la regarda avec des yeux ronds. Est-ce qu'elle venait vraiment de dépenser 250 bits comme ça, en un claquement de sabot par terre, juste pour elle, pour s'excuser ?
_Je file, annonça Jackie en enfilant un long manteau noir. Passe une bonne soirée. Et garde ta petite mèche frisée, lui lança t-elle en effleurant sa crinière du bout des doigts, ça te va à ravir.
Elle s'éloigna dans un claquement de sabots sur le sol, la jument en tailleur lui collant aux ergots. Redheart, elle était toujours abasourdie, et ce ne fut pas l'arrivée de la bouteille d'alcool, bien au frais dans son seau de glace qui l'aida à remettre les pattes sur terre.
Elle se servit une flûte de champagne d'une main encore un peu tremblante.
Décidément, Coco ferait bien d'aller aux WC plus souvent. Il se passait des choses inattendues et intéressantes quand elle s'y rendait.
***
Redheart pénétra dans le salon d'un pas lourd et ensommeillé. Les stores étaient entrouverts, mais laissaient bien assez pénétrer la lumière du jour pour lui filer un mal de crâne de tous les diables.
Elle avait toujours eu du mal avec l'alcool. Pas tant que de le boire que la gueule de bois qui suivait ensuite.
Le pire, c'est qu'en tant qu'élève infirmière, elle connaissait tous les trucs pour éviter de se réveiller avec une enclume dans le cerveau, mais elle l'oubliait à chaque fois que c'était important, et se levait avec l’éternelle impression qu'une famille de forgerons avait établi domicile dans sa tête.
Elle s'était déjà fait la réflexion que si les selloudiens venaient prêcher leur religion à tous ceux qui avaient forcé sur la bouteille, leur culte gagnerait un sacré nombre de fidèles.
Elle distingua une forme floue allongée sur le sol, qui semblait la saluer. Redheart répondit poliment. Inutile de chercher à identifier avec exactitude, même si elle n'avait pas ses lentilles, les couleurs vives ne pouvaient pas la tromper. Ni la logique qui voulait que sa colocataire soit tout bêtement dans le salon.
_Tu te remets de ta nuit ?
La terrestre blanche répondit par un grognement, à mi chemin entre l'affirmatif et le mugissement d'un animal blessé. Elle tira une chaise jusqu'à elle et s'effondra à moitié sur la toile cirée de la table.
_Je t'ai laissé un peu de thé.
Redheart crut effectivement distinguer la théière noire, posée sur un sous-plat en liège. D'une main encore saisie de fatigue, elle tâtonna jusqu'à trouver son mug habituel, une tasse frappée des armoiries des services de santé equestriens, et se versa une généreuse rasade de liquide. Sans même attendre que sa boisson refroidisse, elle en prit quelques grandes gorgées.
Le thé noir à la ours, fort, sans sucre eut un effet immédiat, hydratant ses neurones et lui redonnant presque l'ensemble de ses fonctions cérébrales.
Elle se laissa aller en arrière sur sa chaise, appréciant le goût amer de sa boisson, se reconnectant lentement avec le reste de l'univers. Au bout de quelques minutes, elle eut même assez de volonté pour se lever, retourner dans sa chambre, enfiler ses lunettes, et revenir s'écrouler devant sa tasse de thé.
_Je t'ai connue plus solide que ça, ma pote !
Par dessus le cocon protecteur qui lui offrait ses avant-bras, Redheart répondit un « on vieillit tous » à sa colocataire.
_T'as six mois de moins que moi, je te ferais dire, répliqua son amie.
_Attends de voir ta gueule à ta prochaine cuite, et on en reparle...
La pégase bascula la tête en arrière, éclatant de rire, sa crinière blonde s'étalant en corolle sur le canapé. Elle possédait un rire si communicatif que bientôt, Redheart se retrouva à pouffer de concert avec Lightning Dust.
A peu près tout ce qu'on pouvait lister séparait les deux jeunes femmes : la race tout d'abord, puisque l'une était terrestre et l'autre pégase. Les couleurs, pâles et discrètes dans le cas de Redheart, mais d'un bleu électrique en ce qui concernait Lightning. Leur style vestimentaire, même dans quelque chose d'aussi bête que leurs vêtements de nuits : la ponette arborait un pantalon de coton et un tshirt tout simple en guise de pyjama, là où la pégase avait une armoire remplie à ras bord de maillots sportifs, et portait en ce moment, un haut bariolé de hoofby. Et leur personnalité enfin, entre l'élève infirmière, toujours calme et posée, et le tempérament bouillonnant de sa colocataire, toujours sur la brèche, débordante d'énergie quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit.
Mais c'était peut-être parce qu'elles étaient si dissemblables qu'elles s'accordaient aussi bien.
C'était le hasard plus qu'autre chose qui avait fait d'elles des colocataires. Redheart cherchait un appartement proche de l'école de santé, sans avoir à s'enfermer dans ces studios étudiants hors de prix et plus petits qu'un mouchoir de poche. Un petit mot placardé sur le panneau d'information de la fac indiquait qu'une pégase avait repéré un appartement à un bon prix, mais qu'il lui manquait quelques bits pour faire l'appoint. La terrestre avait tenté sa chance, et c'était ainsi qu'elle avait fait la connaissance de Lightning Dust.
La pégase se destinait à une carrière sportive, aidée en cela par une bourse en hoofby, décrochée au lycée.
Redheart n'avait jamais connu quelqu'un d'aussi compétitif. Le dernier incident qui était arrivé à Lightning le prouvait bien : il y a un mois, une voiture avait passé le feu à l'orange, au moment où la pégase traversait la rue.
Plus de peur que de mal, la ponette volante s'en tirant avec une très légère fêlure.
Alors que tous les docteurs avaient conseillé à la pégase de reposer sa patte, elle n'était restée en convalescence que quelques jours, reprenant presque aussitôt l'entraînement, l’attelle encore autour de la jambe.
Redheart était aussi consternée professionnellement qu'admirative personnellement. La foi de Lightning en ses propres capacités aurait pu déplacer des montagnes.
Même maintenant, alors qu'elle était encore en tenue de nuit, Lightning était en train de faire de l'exercice. Couchée sur le dos, elle entamait des séries d'abdos sans donner l'impression de souffrir le moins du monde. Redheart, qui avait encore mal au ventre rien qu'à penser aux cours d'EPS de son lycée, ne comprenait vraiment pas d'où elle tirait cette résistance. Elle savait que le mental y était pour beaucoup là dedans, mais enfin, c'était une chose de le savoir, et une autre de le voir en pleine action.
L'élève infirmière fixa sa concentration sur quelque chose de plus calme, à savoir son mug. Ce fut à la troisième tasse qu'elle commença presque à retrouver l'ensemble de ses facultés cérébrales. Pour les physiques, il faudrait attendre encore un peu.
Lightning Dust fit un passage éclair dans sa chambre, revenant vêtue d'un survêtement criard. Elle était occupée à lacer ses baskets quand sa colocataire lui lança :
_Tu sors ?
_Juste faire un footing avec quelques copines. Je suis là pour le goûter.
Chose curieuse, pour la grande sportive qu'était Dust, elle ne ratait jamais l'heure du goûter, capable d'engloutir avec délices des monceaux de gâteaux ou de pâte à tartiner à la noisette. Redheart supposait cependant que son amie faisait bien assez d'exercice à côté pour compenser cet apport calorique.
Un signe de la main, un claquement de porte plus tard, Redheart était seule dans l'appartement.
Elle se massa le visage quelques secondes, pour dissiper les dernières traces de l'alcool. Bon. Elle avait assez traîné. Il était temps de bosser un peu.
Elle nettoya la table, avant de revenir quelques secondes plus tard, les bras chargés d'épais cahiers, recouverts d'une écriture en patte de mouche. Si elle pouvait se vanter d'avoir une technique de prise de notes qui ne laissait rien échapper, c'était au prix d'un grand manque de lisibilité, même pour elle. La terrestre devait donc recopier ses propres notes au propre, afin de faciliter ses révisions.
Elle était absorbée par sa tâche depuis une bonne heure et demie quand un bruit sourd attira son attention, le son du vibreur de son téléphone portable. Elle ne se laissait aucune distraction quand elle travaillait, mais estimait qu'une pause toutes les deux heures était sain pour son cerveau. Elle se leva donc de sa chaise, et alla dans sa chambre, massant la paume de sa main pour faire passer la crampe de l'écrivain.
Son téléphone lui indiquait bien un message, de la part de Coco. Curieuse, Redheart appuya sur ce dernier.
C'est sérieusement sérieux ?
Redheart esquissa un sourire. Quand son amie s'emportait, elle avait ce tic de langage, qui avait tendance à la faire abuser des redondances. Apparemment, il passait aussi à l'écrit.
De quoi tu me parles ?
Elle n'eut pas à attendre à réponse longtemps. Presque aussitôt, son téléphone affichait un nouveau message.
Une url, long comme le bras, avec en nom de domaine quelque chose du genre Kankan.eq. Elle n'avait beau pas connaître le site, elle se doutait déjà du contenu de la page qui était en train de charger.
Elle en eut la confirmation en se voyant elle-même sur l'écran, attablée à côté de Jackie. Celestia qu'elle avait l'air nouille à côté de la jument orange. La terrestre blonde posait avec naturel, vraiment comme si un paparazzi l'avait surprise au fond du bar, en train simplement de boire un coup. Sa sœur de race en revanche...Redheart avait l'impression d'avoir sur le visage l'expression d'un lapin pris dans les phares d'une voiture. Quelque chose entre la terreur pure et la fascination.
La légende, en lettres flashy sous la photo, indiquait simplement « Jackie Orange, toujours au top de la classe »
L'élève infirmière laissa échapper un soupir de soulagement. Ouf. Elle avait beau être sur la photo, on ne l'identifiait pas en tant que telle. Bien sûr, les gens qui la connaissaient comme Coco, ou ses parents s'ils tombaient sur la photo la reconnaîtraient, mais ça s'arrêterait là. Tant mieux. Redheart n'aimait pas toute cette agitation autour des stars. La soirée avait été agréable, et elle n'allait pas mentir en disant qu'elle avait craché sur le champagne, mais voilà. Pour elle, Jackie Orange resterait
comme une personnalité un peu fantasque qu'on croisait une fois dans sa vie en soirée, puis qui disparaissait dans l'atmosphère ouatée de la nuit. La seule différence, c'était que cette dernière était un peu connue. La belle affaire.
J'ai été photographiée à côté d'une starlette. Et alors ?
Pas « une starlette » ma vieille. Jackie Orange ! Y en a qui tueraient pour avoir ta chance !
Redheart souffla par les naseaux. Coco avait tendance à devenir monomaniaque sur certains sujets. Il semblait que la vie de Jackie en faisait partie.
Elle laissa retomber son téléphone sur son lit. Pas la peine de s'échiner à engager le débat, la couturière allait battre en brèche tous ses arguments sans les prendre en considération. Autant leur faire gagner du temps à toutes les deux et reprendre le dialogue avec Coco quand elle serait calmée.
Et puis elle avait un cours magistral sur les maladies de l’œil à mettre au propre.
Quand elle revint dans sa chambre, quelques heures et un bon dîner plus tard, elle avait plusieurs dizaines de messages en absence. Un n'était pas de Coco et ne datait que de quelques minutes.
Salut ! C'est Photo, l'assistante de Jackie. Elle voulait savoir si tu étais libre samedi prochain.
Redheart eut une moue suspicieuse. Le sms venait soit disant de cette jument aux lunettes fumées ?Pour lui proposer quelque chose avec Jackie Orange. Jackie qui savait à peine qu'elle existait ? Bien sûr. Et comment elle avait eu son numéro, d'abord ? Non, c'était sûrement une blague de Coco. Elle avait dû emprunter un téléphone à quelqu'un, et lui faire une farce, sûrement pour la punir de ne pas avoir répondu à ses messages de cet après-midi.
Coco, t'aurais pu mieux choisir tes mots, je t'ai de suite grillée.
Photo, pas Coco.
Ecoute, on peut jouer à ça toute la nuit, mais là je vais me coucher.
Alors qu'elle commençait à éteindre son téléphone, celui ci sonna brusquement. Dans un pur réflexe Redheart décrocha.
_Tu reconnais ma voix, maintenant, ja ?
Un accent aussi fort ne pouvait pas se déguiser. Et puis, Redheart connaissait Coco depuis assez longtemps pour savoir à quel point ses imitations étaient peu ressemblantes. Non, celle qu'elle avait au bout du fil, c'était bien la jument pâle qui était venue la voir hier soir dans le bar pour la traîner au carré VIP !
_Bon, reprit l'assistante, Jackie a envie de jouer au golf samedi prochain, Tu peux venir, hein ?
_Comment ça, jouer au golf ? répéta l'élève infirmière, sans bien comprendre.
_Tu sais, le green, les balles, les clubs, tout ça quoi ! Tu connais ?
_Euuuuh...oui ?
_Wunderbar ! On enverra une voiture te chercher à dix heures du matin, samedi. Bonne nuit !
A peine la phrase était-elle finie que la jument pâle avait raccroché, laissant une Redheart complètement interdite.
***
L'élève infirmière était toujours plus ou moins dans cet état, une semaine plus tard, les fesses posées à l'arrière d'une grosse berline blanche, qui filait comme une flèche sur la voie rapide qui menait en dehors de la ville.
La voiture était climatisée, mais Redheart, dévorée par le stress, suait à grosses gouttes dans le polo qu'elle avait emprunté à sa colocataire. Une chance que Lightning possède des tenues pour à peu près tous les sports du monde, et que la pégase soit assez gentille pour les prêter.
Tout n'était pas encore très clair dans la tête de la terrestre, malgré les explications ultérieures de Photo – Photo Finish de son nom complet – qui étaient plutôt vagues. Jackie ne voulait pas jouer au golf toute seule, et elle avait demandé à son assistante de contacter celle qui avait posé avec elle le temps d'une photo. Comment la jument pâle avait fait pour avoir son numéro, et son adresse, ça...
quand elle lui avait posé la question, Photo lui avait répondu par un message laconique. « C'est mon travail de contacter les gens ».
Voilà déjà vingt minutes qu'ils roulaient, et Redheart commençait à trouver le temps long.
Elle n'était pas vraiment habituée aux voyages en voiture, s’accommodant très bien du métro de Manehattan et de ses autres transports en commun.
La plupart des manehattaniens, comme Lightning n'avaient d'ailleurs pas le permis. A défaut d'une voiture, Redheart avait au moins l'autorisation d'en conduire une.
La terrestre avait tué le temps en notant le changement du paysage. Manehattan, comme l'essentiel des villes equestriennes, était bâtie sur le même schéma. Un centre très urbain et globalement pauvre, ceinturé par des banlieues résidentielles bourgeoises. Ça avait fait sourire Redheart de voir la pelouse succéder au béton, et les jolies boites aux lettres aux tags dans les rues.
Voir les bois qui entouraient la ville baignés de soleil, mer d'arbres émeraudes, et les cimes qui se balançaient dans le vent d'été, lui avait presque arraché un cri d'admiration.
La beauté du paysage cela dit, n'avait pas empêché son cerveau de tourner à plein régime, et à buter sur l’éternelle question : pourquoi elle ?
Jackie voulait jouer au golf avec quelqu'un, ça très bien, c'était facile à comprendre. Mais pourquoi elle ? Il n'aurait pas été plus logique de jouer avec une autre starlette, quelqu'un de sa connaissance, ou simplement un habitué du green ? Redheart connaissait Jackie depuis quoi...quatre jours ? Et encore, elles ne s'étaient croisées que quelques minutes.
L'élève infirmière avait mal au crâne à force de chercher à comprendre. Sans même réellement savoir pourquoi elle, elle avait accepté de jouer.
La berline ralentit, approchant d'un luxueux complexe. Un bâtiment blanc, aux larges colonnades, posé sur un relief vallonné. A quelques centaines de mètres, on distinguait la terre battue des courts de tennis, et à moins que la terrestre ne se trompe, une piscine couverte trônait un peu plus loin. La voiture se gara devant l'entrée, et un employé en livrée vint ouvrir la porte du véhicule.
_Bonjour madame, bienvenue au Galashiel. Avez-vous des bagages ?
Redheart secoua négativement la tête, trop impressionnée par le luxe des lieux et le cliché de la tenue de l'étalon – bon sang, il portait un calot, comme dans les films ! - pour répondre réellement.
_Madame Orange vous attend sur le terrain. Si vous voulez bien me suivre...
Redheart lui emboîta le pas, contournant la bâtisse, s'enfonçant dans les reliefs. A quelques mètres, son club de golf posé sur son épaule, une Jackie lui souriait aimablement. Redheart était étonnée de ne pas voir de gens autour d'elle. Au bar, elle avait toujours été accompagnée, que ce soit par les fans, les journalistes, ou simplement son assistante. Là non, elle était toute seule avec deux sacs, desquels un voyait dépasser la tête de plusieurs clubs. Peut-être une volonté de normalité ?
L'employé échangea quelques mots de politesse avec la terrestre orange avant de s'éloigner, la laissant seule avec Redheart. Ce fut quand cette dernière fut assez près qu'elle remarqua que néanmoins, quelque chose d'indéniable l'identifiait comme Jackie Orange, et non une golfeuse ordinaire : ses vêtements. Jackie portait une tenue bleu marine qui pouvait sembler simple au premier regard, mais qui était loin de l'être : un jean impeccablement coupé, un polo griffé à la poitrine, et une paire de lunettes de soleil qui devait valoir une petite fortune.
Alors qu'elle n'attachait d'ordinaire aucune importance à son apparence, Redheart se sentait tarte dans la tenue bariolée qu'elle avait emprunté à sa colocataire.
_Hey ! la salua la terrestre blonde avec un petit signe de main. J'espère que t'es en forme aujourd'hui, parce que j'ai pas l'intention de me laisser faire !
_Je suis pas si forte que ça au golf, confessa Redheart dans un petit rire un peu gêné.
Vrai et faux. Elle avait déjà joué à l'occasion, et pour une débutante, ne s'en était pas mal sortie du tout. Mais le sport d'une manière générale l'ennuyait vite, et elle n'avait pas estimé nécessaire de continuer à taquiner la balle sur le green depuis. Alors face à une Jackie qui devait y jouer toutes les semaines – le golf, c'était bien un sport de riche non ? - Redheart n'avait virtuellement aucune chance.
_On va voir ça, dit Jackie en tapotant du bout du sabot contre un des sacs. Allez, prends ton caddie, je te laisse le premier coup.
Redheart regarda autour d'elles, surprise de ne pas voir de porteur, ou de voiturette. Surprenant son regard, Jackie se fendit d'une explication.
_Quand je joue, j'aime bien le faire toute seule ou alors avec juste une personne tu vois ? J'ai pas besoin de gens pour porter mes clubs ou me conduire au prochain trou. Je suis une fille assez solitaire en fait.
_C'est drôle d'entendre ça de quelqu'un d'aussi populaire, fit remarquer Redheart, allant piocher un fer dans son caddie, avant de placer sa balle sur le tee.
Jackie laissa échapper un rire de gorge alors que Redheart faisait quelques mouvements d'échauffement.
_Va pas croire que je me plains, dit-elle en tirant une cigarette d'un paquet de sa poche, le tendant à l'élève infirmière, qui refusa poliment. Mais des fois ça fait du bien d'avoir un peu de calme autour de soi.
Le calme, Redheart essayait surtout de le faire dans sa tête alors qu'elle ratait lamentablement son premier swing. Et son second. Au troisième essai finalement, la balle partit dans la bonne direction, même si elle rencontra un arbre à mi-chemin, et stoppa encore loin du green.
Jackie s’avança, mit sa balle en position, et en un seul swing parfaitement exécuté, envoyait sa balle loin devant celle de son adversaire.
_Ca permet de viser plus juste, lâcha la fumeuse avec un clin d'oeil avant d’attraper son caddie, et de rejoindre sa balle.
Redheart fit la moue. Elle se doutait que la partie était pliée d'avance, mais elle avait pensé que Jackie pourrait au moins lui laisser les premiers trous. Par esprit sportif, quoi.
_Et qu'est-ce que tu fait dans la vie ? lui demanda son adversaire au moment où Redheart la rattrapait.
_Je suis en école d'infirmières à Manehattan.
_Quelle année ?
_Seconde.
_Y paraît que c'est la plus dure. Qu'ils essayent de faire craquer sous la pression pour ne garder que les meilleures, que ta vie sociale s'évapore.
_Je trouve quand même le temps de jouer au golf, répondit la terrestre blanche d'un ton pince sans rire.
Jackie gloussa. Le trait d'humour semblait lui avoir plu.
Alors que Redheart courbait le dos pour passer sous une branche basse et atteindre sa balle, elle entendit Jackie poursuivre derrière.
_J'ai pas duré très longtemps à la fac, moi. Mon oncle m'avait flanquée dans un truc huppé à la noix, mais j'ai passé plus de temps à me balader dans les bois et à faire le mur que me pointer en cours. J'avais déjà un paquet d'avertissements et ils attendaient qu'une occasion pour m'exclure. Quand y m'ont surprise avec la fille du directeur dans ma chambre, j'y ai eu droit. Elle était consentante ! se crut-elle obligée de rajouter pour combler le blanc qui suivit sa phrase.
C'était plus « la fille » qu'autre chose qui perturbait Redheart. Coco lui avait bien précisé que tous les étalons de la ville lui couraient après, mais n'avait mentionné aucun petit copain. Se pouvait-il que Jackie Orange soit de l'autre bord ? Est-ce que cette partie de golf cachait quelque chose ?
Non, ne soit pas idiote. Même si elle préfère les filles, et alors ? T'as vu son style de vie ? Elle doit sortir avec des stars, ou des actrices de cinéma. Qu'est-ce qu'elle aurait à faire d'une petite étudiante en médecine comme toi ?
_C'est à toi de jouer, hein.
La voix de Jackie l'arracha à ses pensées. Oui, elle avait raison. Elle devait en revenir au golf.
_C'est marrant pour une fille qui vit à Manehattan de sécher pour se balader dans les bois, lança la terrestre blanche d'un ton qu'elle voulut aussi anodin que possible.
_J'ai pas toujours été une urbaine, répondit Jackie alors que Redheart dégageait sa balle de la frondaison. Petite, j'ai grandi dans une ferme, hein.
_Ah bon ?
Redheart n'avait pas si mal joué sa balle, mais cette dernière était encore loin de celle de sa sœur de race. De fait, c'était encore à l'élève-infirmière de jouer.
_Ouais. Une gamine de la campagne, nourrie au grain entre les vaches et les cochons.
Le ton de Jackie se voulait volontairement caricatural, mais Redheart semblait y entendre une pointe de chaleur, comme si la jument derrière l'image qu'elle souhaitait diffuser, était plus sincère qu'il n'y paraissait.
_Quand j'étais haute comme trois po...quand j'étais petite, je suis allée vivre chez mon oncle et ma tante à Manehattan, et puis voilà. Y a pas grand chose à raconter en fait.
Redheart, tout en ajustant son swing, n'en était pas si sûre que ça. Jackie semblait plus être dans un personnage que fidèle à elle-même.
Pas que ça importait vraiment à Redheart, mais...elle ne pouvait pas vraiment l'expliquer, mais elle était du genre à penser que l'honnêteté était une bonne chose, globalement.
Oh elle était assez grande pour savoir que l'hypocrisie était un vernis indispensable à la vie en société, et que si demain tout le monde arrêtait de mentir, c'était la guerre civile sur toute la planète.
Mais quand même. Il y avait mentir aux autres et se mentir à soi-même.
La tête encombrée de ces pensées, Redheart ne brilla pas particulièrement pendant la partie de golf. Jackie remporta trou sur trou, sans lui concéder un pouce de terrain. Même quand Redheart, par un swing incroyablement chanceux, réussit à envoyer sa balle en un coup sur le green, Jackie répondit par un trou-en-un digne de figurer dans les magazines : une trajectoire en cloche parfaite, qui heurta la hampe du drapeau avant de tomber comme une pierre. Si Redheart ne l'aurait pas vu, elle ne l'aurait honnêtement pas cru.
_Bon, lança la terrestre orange en passant un avant bras sur son front, je crois que le résultat est plutôt clair, hein ?
_Tu m'as écrabouillée, concéda sa sœur de race, bonne joueuse.
_T''en fais pas trop, la rassura Jackie en tapant amicalement son poing contre son épaule, c'est surtout une question d'entraînement. J'étais plus mauvaise que toi la première fois que j'ai joué. J'ai bien réussi un trou-en-un, mais en envoyant le club, et la balle est restée comme une conne sur le tee.
Redheart gloussa, amusée par l'image de film comique qui se formait dans son esprit. Son attention fut happée par la sonnerie du téléphone portable de Jackie. Elle se surpris à l'observer quelques longues secondes, alors qu'appareil vissé à l'oreille, la millionnaire parlait dans une langue que l'élève-infirmière ne comprenait pas.
Elle était vraiment jolie en fait, avec sa crinière paille, ses grands yeux verts et ses taches de rousseur qui éclaircissaient par touches son pelage citrouille. Redheart pouvait vite comprendre pourquoi les jolis cœurs de la cité voulaient mettre le grappin dessus. Ils allaient avoir du mal cela dit, si les goûts de la jument d'affaires allait au beau sexe.
L'élève infirmière se surpris à se projeter, juste un instant en croqueuse de diamants. Dans une de ces semi-mondaines, qui nageait avec les gros poissons dans l'espoir de harponner une baleine.
Elle n'aurait pas été contre approcher la sympathique fille Orange. Du charme, de la personnalité, un portefeuille illimité...oui, vraiment, Jackie Orange avait pour elle certains arguments.
Mais Redheart se devait de redescendre sur le plancher des vaches. Elle n'était pas une poule de luxe, et ce monde, celui des dorures, des berlines avec chauffeur et des parcours de golf privés, n'était pas le sien. Autant en faire le deuil et ne pas s'accrocher à une chimère.
_Je vais devoir filer, s'excusa Jackie en rangeant son téléphone dans la poche. Mais prends ton temps toi, hein ? Y a des douches et tout ce qu'il faut pour se détendre après le sport dans la partie spa du complexe. Tu passeras boire un coup au bar et quand tu seras prête à partir, tu demanderas aux gens du club de faire prévenir le chauffeur pour qu'il te ramène chez toi, d'accord ?
_C'est très gentil, répondit la terrestre blanche, mais t'as aucune raison de...
_Pas besoin de raison quand on a une envie, lui assura la jument en chemise griffée en lui posant amicalement la main sur l'épaule. Tu mets tout sur ma note, ils ont l'habitude.
_Tu peux pas tout payer pour moi quand même ! objecta une Redheart un peu vexée.
_Je peux bien faire un cadeau ou deux à une copine, rit la terrestre orange en laissant sa main encore un peu sur son épaule avant de s'éloigner. Essaye de garder ton samedi prochain de libre par contre, je te dois la revanche !
Jackie s'éloigna d'un pas énergique, laissant Redheart encore un peu sous le choc de ce qu'elle venait de dire. Les matchs de golfs allaient devenir une habitude ? Jackie la qualifiait de « copine » ?
L'élève-infirmière embrassa du regard le complexe de loisirs, le bruit des balles contre les raquettes de tennis troublant le chant des oiseaux. Oui, elle n'était pas de ce monde là.
Mais était-ce mal de prolonger l'expérience ?
***
Les mois passèrent, les saisons se succédèrent, et avec les premières neiges, une certaine tradition avait réussi à s'installer entre les deux juments. Malgré leurs agendas chargés, que ce soit en raison du travail de l'une ou des études de l'autre, les ponettes parvenaient toujours à dégager une soirée dans la semaine pour leurs activités.
Jackie accorda sa revanche à l'élève-infirmière au golf, comme elle l'avait promis et à la sixième partie, Redheart eut l'immense plaisir d'arracher le match nul. Elles s'étaient également affrontées au tennis, où la terrestre blanche avait eu la main haute à quasiment chaque set. Ce qui n'était pas si facile tant la jupe blanche de Jackie attirait l’œil.
Elles avait également fréquenté les salles de spectacle, applaudissant depuis les loges le concert de la Comtesse Coloratura, et baillant d'ennui devant le très oubliable one-pony-show de Cheese Sandwich.
Ca faisait toujours bizarre à Redheart de voir à quel point son amie – car elle en était devenue une non ? - n'était pas la même dans les pages des magazines et dans la vraie vie. Sur papier glacé, Jackie Orange dégageait une froideur polie, du genre qui se pliait aux exigences de sa célébrité par bonne éducation bourgeoise, mais sans en faire plus. Quelque chose au fond de son regard émeraude ne brillait pas. Mais au contraire, quand elle était en privé, Jackie se révélait pétillante de vie, et bouillante d'affection. Redheart avait finit par comprendre que sa sœur de race avait besoin de ça, qu'elle était moins les deux faces d'une même pièce qu'une ponette qui ne se dévoilait qu'avec ses familiers.
Ce n'était donc pas une réelle surprise que la terrestre blanche reçoive un carton d’invitation gaufré, qui la conviait à la fête d'anniversaire de la millionnaire.
La boite de nuit où se passait l’événement, la Caverne de l'Ours, avait été privatisée pour l'occasion.
Redheart avait était cependant surprise de voir plusieurs centaines de poneys patienter devant les videurs et leurs listes d'invités. Quand elle faisait des fêtes d'anniversaire, ça ne dépassait pas la dizaine de personne, même en étant généreux. Mais il fallait croire que Jackie connaissait beaucoup de monde.
A peine arrivée devant le club, un agent de la sécurité la repérait, et la faisait entrer par l'entrée VIP, sous les regards jaloux de celles et ceux qui patientaient dans le froid.
Redheart était un petit peu honteuse de s'afficher ainsi, compensé par un plaisir coupable de se sentir à part, sensation finalement plutôt habituelle depuis qu'elle fréquentait Jackie.
Les ténèbres de la boite de nuit l'avalèrent dès qu'elle posa le sabot dedans. De grandes colonnes de néons bleu électrique étaient disposées dans tout le bâtiment, faisant penser à un film de science fiction.
Mais ce n'était pas ce qui marquait le plus la jument. A quelques mètres d'elle, se trouvait une gigantesque vitre qui donnait en contrebas sur la piste de danse et le reste du club. De fait, elle était en hauteur, sans doute dans le carré VIP , bien plus calme puisque la sono de la DJ, une licorne blanche qui se démenait aux platines, était amoindrie par la vitre, probablement conçue à cet effet. Redheart trouvait étrange d'installer une zone insonorisée dans une boite de nuit, après tout si on aimait pas le bruit, autant ne pas aller en club du tout. Mais ça n'était la première bizarrerie de riche qu'elle découvrait depuis quelques mois.
Quelques poneys discutaient ça et là, coupe de champagne ou verre à cocktail coloré à la main. Jackie se distinguait des autres par sa robe courte à traîne asymétrique, et par le carmin de son étoffe. Quand ses yeux croisèrent la silhouette de Redheart, ils s'écarquillèrent avant qu'elle ne se dégage physiquement du petit cercle qui l'entourait pour aller jusqu'à son amie.
_Salut toi, lança la millionnaire en faisant la bise à l'élève-infirmière.
Redheart eut l'impression que sa fourrure restait chaude, même après le contact des lèvres de son amie sur ses joues.
_Faut que je te présente, enchaîna Jackie d'un ton joyeux en prenant le bras de Redheart et en la conduisant jusqu'au groupe qu'elle venait de quitter. Je crois que tu connais déjà Fancypants et Fleur de Lys, sa femme ?
Elle désignait un couple de licornes au port altier, que l'élève-infirmière avait effectivement déjà croisé au Galashiel. Des grands bourgeois, mais sans condescendance de ce que ce souvenait Redheart.
_Sassy Saddles doit encore être partie discuter affaires avec un gros client, pensa Jackie à voix haute en cherchant des yeux une jument qui n'était pas là. C'est dommage, j'aurais bien aimé que vous parliez un peu toutes les deux...
Redheart ne voyait pas vraiment en quoi quelqu'un de l'entourage de Jackie pouvait avoir un intérêt à parler avec une petite élève-infirmière, mais Jackie était plutôt douée pour mettre en contact des gens qui n'avaient pas grand chose de commun de prime abord.
Elle se souvenait d'une soirée où la terrestre citrouille avait réussi à faire discuter une princesse selloudienne, avec Berry Punch, la plus grande propriétaire de vignes de tout Equestria.
Redheart se détendit. Elle avait beau ne pas aimer les clubs, celui-ci était calme, et donnait finalement plus l'impression d'une fête mondaine qu'autre chose.
Elle pâlit légèrement en se rendant compte qu'elle commençait à avoir l'habitude de ce genre de sauteries. On s'accoutumait vraiment au luxe, même si comme elle, on le vivait par procuration. Elle ne comptait plus les fois où Jackie lui avait fait des cadeaux, payé des habits hors de prix, comme si l’argent lui brûlait les doigts. Bon sang, elle lui avait même avancé les frais d'inscription de l’année prochaine ! Sans même savoir si Redheart passerait en troisième année !
Jackie savait être une boulimique de la dépense, le genre à commander un seau de caviar au restaurant et de partir sans y avoir même touché. Redheart ne comprenait tout simplement pas cette façon de faire. En toute franchise, elle ne pouvait pas vraiment critiquer le mode de vie de la millionnaire, elle-même en profitait déjà bien assez. Mais ça ne pouvait l'empêcher de trouver que quelque chose clochait dans tout ça.
La fête continua à se dérouler sans accrocs, et avec quelques verres dans le museau, Redheart se détendit davantage. Peu lui importait les quelques invités qui lui jetaient un regard de travers ou s'adonnaient aux messes basses dans son dos. Sans doute, oui, elle devait renvoyer l'image d'une parasite, accrochée à Jackie comme une moule à un rocher. Mais les ragots de la bourgeoise n'étaient pas différents des rumeurs de l'école d'infirmière. Il suffisait de ne pas y faire très attention. Et puis tous n'étaient pas comme ça. La fameuse Sassy Saddles par exemple, se révéla d'un grand intérêt, et Redheart comprit pourquoi Jackie tenait absolument à ce qu'elles se rencontrent. La licorne – une de plus. A croire que les seules terrestres dans l'entourage de la millionnaire étaient Jackie et Redheart elles-mêmes – était styliste, et la jument blanche se hâta de noter son email pour le transmettre à Coco. Si les relations qu'elle nouait dans le gotha pouvait aider des gens qu'elle connaissait, c'était génial pour tout le monde.
D'autres invités se révélèrent plus oubliables, comme l'insipide Diamond Tiara, stéréotype de l'adolescente pourrie-gâtée.
Redheart étouffait un bâillement au creux de sa main en se demandant si elle n'allait pas tarder à partir, quand l'incident survint. Jackie qui était partie quelques instants auparavant aux toilettes revint, la démarche chancelante et peu assurée. Pourtant, elle n'avait bu que de l'eau au cours de sa fête d'anniversaire.
_Elle a encore replongé ? murmura quelqu'un dans la foule à destination d'un autre invité.
Redheart ne comprenait pas. Replongée dans quoi ?
_Heyyyy ! lança joyeusement Jackie en attrapant un serveur à la volée. Tu passes une bonne soirée ?
Avant que le serveur n'eut le temps de répondre, Photo Finish sortie d'on ne sait-où avait délicatement pris Jackie par la taille pour l'attirer à l'écart. Redheart voyait mal à cause du manque de lumière, mais la discussion semblait vive entre les deux juments. Finalement, elle décida de s'approcher.
_T'as pas à me dire ce que je dois faire ou non ! gronda Jackie, furieuse.
_Je suis en charge de ton image, dumbkopf ! Imagine que quelqu'un dans la boite de nuit te photographie, hein ? Tu imagines le boulot pour rattraper le coup ?
_C'est mon anniversaire, je fais ce que je veux !
Photo Finish se massa les tempes, visiblement exténuée.
Puis, elle se tourna, remarquant la présence de Redheart. Elle sembla soupeser le pour et le contre, puis...
_Tu vas me sauver la vie, et accessoirement celle de Jackie, même si pour l'instant, elle plane trop pour voir quoique ce soit.
Planer ? Replonger ? Se pouvait-il que Jackie se...
_Tu veux dire que là...
Redheart baissa la voix, comme si elle craignait la présence de micros dans la pièce.
_...Jackie est droguée ?
_Elle est même bien défoncée, ouais, confirma tristement Photo. C'est de ma faute, j'aurais du la surveiller quand elle est partie aux toilettes. Enfin, ça sera pas la première fois...mais là j'ai besoin de toi. On prend aucun risque à deux semaines de la sortie de sa nouvelle collection. Je veux que tu la raccompagnes chez elle, discrètement. Vous prenez l'escalier de service jusqu'au parking, je vais dire au chauffeur de vous y attendre avec la berline aux vitres teintées. Quand tu seras chez elle, tu l'allonges quelque part et tu vas dans sa pharmacie, dans la salle de bain, tu trouveras un flacon vert. Tu lui en fais prendre une cuillère à soupe. Ça va bien la secouer, mais ça lui fera évacuer la drogue.
Redheart ne pouvait pas s'empêcher de trouver que Photo Finish annonçait ce plan d'action d'une manière un peu trop posée, presque comme s'il était habituel.
_Mais...pourquoi moi ?
La réponse immédiate de Photo fut une tape à l'arrière du crâne de la jument.
_Peut-être parce que tu es infirmière, tubel ! Et aussi parce que Jackie t'aime bien. Elle acceptera de te suivre sans trop poser de question.
_Mais...comment on va faire pour le reste des invités ? C'est quand même sa fête d'anniversaire !
_Je m'occupe de ça, lui assura Photo Finish d'un ton qui ne souffrait pas la contradiction. Toi, tu surveilles Jackie et tu évites qu'elle fasse des conneries.
C'est ainsi que dans trop comprendre comment, Redheart se retrouva le bras passé autour des épaules d'une Jackie Orange qui tanguait sur ses sabots, et se balançait comme un métronome.
Elles manquèrent de déraper dans l'escalier, mais Jackie était plus apathique qu'autre chose, se laissant faire comme si elle n'était qu'une poupée de chiffon.
La berline les attendait bien dans le parking, moteur ronflant, véhicule prêt à partir. Redheart eut toutes les peines du monde à attacher la ceinture de son amie, qui s'agita soudainement, allant jusqu'à déchirer un morceau de sa traîne.
La voiture partit rapidement au cœur de la ville, roulant jusqu'aux appartements de luxe. Jackie adoptait un comportement lunatique, pouvant tout aussi bien être extrêmement calme que saisie de brusques mouvements la seconde d'après. Mais ce qui inquiétait le plus Redheart, c'était que la millionnaire ne parlait pas. Elle ne disait rien. Pas un mot.
L'infirmière en Redheart commençait à s'affoler. Elle n'aurait pas de vrais cours sur le traitement des drogués en crise avant l'année prochaine, et là, il lui semblait que Jackie commençait à faire une très mauvaise réaction à ce qu'elle avait pris.
La terrestre blanche laissa échapper un soupir de soulagement quand la berline se gara devant une tour de verre et d'acier. Redheart ne fut même pas surprise d'apprendre que l'appartement de Jackie se trouvait au sommet.
Aidée du chauffeur et du portier, elle put accéder à l’ascenseur privé de la terrestre citrouille – bon sang, un ascenseur privé. Qui pouvait avoir besoin de ça ? - et atteindre son penthouse.
L'appartement bien que plongé dans le noir, lui semblait très sobre par rapport aux goûts qu'elle connaissait de Jackie. Des tons blancs et crème, de la moquette, mais pas de dorures ou d’ostentation.
Elle força la millionnaire à s'allonger sur son divan, et fonça à la recherche de la salle de bain, ne trouvant la bonne pièce qu'au bout de quelques minutes. Flacon en main, elle fit un détour par la cuisine pour trouver une cuillère et un seau.
Allongée sur le dos, la jupe retroussée jusqu'aux genoux, Jackie gloussait d'un air stupide en regardant le plafond. Redheart, qui n'avait jamais touché à un joint, vit là un bon encouragement à conserver cette virginité des opiacés.
Jackie se débattit quand Redheart força le passage de ses lèvres avec la cuillère. La millionnaire avait à peine avalé qu'elle plaqua une main sur son ventre et qu'une grimace déformait ses traits. Elle se leva d'un bond, presque pliée en deux et fit deux pas vers la salle de bain avant de se jeter sur le seau.
Le contenu de son estomac se vida en de violents a coups, et tout ce que put faire Redheart pour l'aider, fut de lui tenir la crinière.
L'opération ne dura pas longtemps. Les vomissements de Jackie se calmèrent, elle releva la tête, et se passa le dessus de la main sur les lèvres. Le teint pâle, une plaque de sueur sur le front, elle s'adossa à son canapé dans un silence de mort.
Redheart attendit quelques instants, prête à intervenir si le vomitif faisait encore effet. Mais ce ne fut pas le cas. Elle put donc aller vider le seau dans les toilettes et tirer la chasse. Elle revint auprès sa son amie avec un verre d'eau du robinet.
Jackie avait allumé la lumière, mais pas changé de position. Redheart eut la surprise de voir les peintures qui ornaient les murs. Elles représentaient toutes des scènes champêtres et familiales, comme un couple qui pique-niquait dans la foret avec leur enfant, ou une réunion de famille dans l'arrière cour d'une ferme. C'était bizarre ce goût aussi marqué pour la nature.
Redheart s'assit silencieusement à côté de la maîtresse des lieux.
_Tu veux qu'on parle de ce qui vient de se passer ? demanda t-elle.
_Seulement si tu veux. Je suis pas ton médecin, Jackie, je suis ton amie. C'est à toi de voir si tu pense qu'il faut en parler.
La terrestre orange prit une inspiration, cherchant visiblement ses mots.
_J'en prends pas souvent tu sais. De la drogue, je veux dire. C'est juste que des fois...j'arrive pas à tenir sans. Je sais que c'est mal, que le premier paparazzi qui me choppe en train de me défoncer, c'est la fin de mon image mais...des fois c'est vraiment dur, tu vois ?
Elle se passa une main sur le visage avant de boire un peu d'eau.
_ Ce monde me dégoûte. C'est juste...tout tourne autour de l'apparence, de l'image que tu renvoie au lieu de qui tu es vraiment. Y a quelques personnes qui sont bien hein, comme Fancypants ou Sassy...mais presque tous, ils ne sont là que pour profiter de moi. De moi ou de quelqu'un d'autre. Tu sais comme les poissons qui suivent une grosse baleine ? J'ai l'impression d'exister que pour faire vivre les autres. Et pas pour moi ou ceux que j'aime.
Elle lâcha un soupir amer.
_ Y a des fois où je me dis que si j'avais plus un rond, tout ça s'arrêterait, tu vois ? Mon fric me dégoûte. Certaines nuits, je rêve qu'au lieu d'aller vivre ici avec mon oncle et ma tante, je suis restée là bas à la ferme. La vie y est beaucoup plus dure, bien sûr, on y bouffe pas du caviar à la louche, mais y a une franchise, une sincérité que je trouve pas ici. J'y ai une famille. Et quand je me réveille au milieu de mon lit, toute seule, je pleure. Je pleure comme une gamine, Redheart.
Est-ce que c'était pour ça que Jackie dépensait toujours sans compter ? Et qu'elle s'était entichée de l'élève infirmière, parce qu'elle avait à ce point besoin d'amis, qu'il lui fallait quelqu'un d'extérieur, d'étranger à son monde de strass et de paillettes ? Jackie laissa filer un blanc avant de pouffer.
_Pathétique, hein ? La pauvre petite fille riche qui se plaint de tout, qui se drogue pour oublier. Tu ferais mieux de rentrer chez toi et de couper les ponts avant que mon monde te bouffe aussi. T'es trop bien pour lui, il te mérite pas.
_Je ne te trouve pas pathétique.
La phrase surprit autant son émettrice que sa destinatrice. Ravalant une boule dans sa gorge, et rassemblant tout son courage, Redheart avait posé sa main sur celle de la terrestre citrouille.
_Et si tu es d'accord, je n'ai aucune envie de partir.
Un blanc passa, qui sembla durer une éternité. Jackie ne bougea cependant pas d'un poil, ce que l'élève-infirmière prit comme un encouragement.
_Pourquoi ?
_Y a besoin d'une raison quand on a une envie, Jackie ?
La terrestre orange eut une ombre de sourire et après un nouveau silence, entremêla ses doigts avec ceux de son amie. Ses yeux verts pétillaient comme jamais. De sa main libre, elle vint titiller la mèche de crinière frisée de Redheart.
_Applejack. Pour toi, ce sera Applejack.
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