Je vis ma vie, jour après jour. Une bonne partie de ces jours sont vides d’intérêt, se ramenant toujours à la même routine : je me lève, marche pour aller travailler, travaille, retourne à la maison, puis zone aux alentours jusqu’à ce que j’aille au lit. Parfois, je sors avec mes quelques amis, tandis que le reste du temps, je ne fais que jouer aux jeux vidéos ou regarder My Little Pony : Frienship is Magic. De temps en temps, quelque chose de nouveau et d’intéressant arrive : je rencontre un vieil ami, je trouve un dollar par terre, ou je me fais poursuivre par un chien des rues.
Vivre dans une ville fantôme n’est pas vraiment amusant ou intéressant. Cette ville était autrefois pleine de vie et de couleurs, mais maintenant… maintenant la plupart des maisons croulent sous leur poids, les entreprises demeurent vides ou abandonnées, et beaucoup de terrains sont maintenant dépourvus des grandes usines qui représentaient autrefois les moteurs de l'économie. Je n'ai jamais connu personnellement cette fameuse époque, mais j’en ai vu des images. Ma mère et mon père vivaient heureux, et ils ne pouvaient que souhaiter la même chose pour moi lorsque je serais plus grand.
Malheureusement, je ne peux pas dire que j’ai accompli leur vœu.
Je suis tombé dans cette même routine ennuyeuse : se lever, travailler, dormir, recommencer. Mes rares instants de félicité ne pèsent guère plus face à la lutte quotidienne que je mène. My Little Pony m'est venu en aide, mais au final ce n'est qu'une autre de ces illusions sur lesquelles je repose mes espoirs. A chaque fois que je regarde la série, ou l’un de ces poneys sur un fan site, c’est un peu comme si je retrouvais les couleurs vives, les joyeuses frimousses des poneys, et la douce sérénité de leur monde. Ce dernier m'apparaît si proche que parfois, emporté par ses merveilles, je tends désespérément la main pour effleurer ces couleurs chaleureuses et brillantes, ces figures de poneys souriants.
Tout ça pour être stoppé par mon écran d’ordinateur.
Je suis brusquement ramené à la réalité. Le moment vient où je vais simplement éteindre mon ordinateur et aller marcher dehors. Je fais cela très souvent, surtout depuis la mort de mes parents. Je vais faire un tour. Quand je me sens triste, je marche. Quand je me sens las, je marche. Quand j’ai envie de marcher… je marche. Marcher est devenu en quelques sortes ma seconde vie ; je passe au moins la moitié de ma journée dehors, le long des trottoirs défoncés et des banlieues délabrées.
J’ai vu des personnes aller et venir. J’ai vu des bâtiments démolis, incendiés, ou recouverts de tellement de graffitis qu'on peinerait à retrouver la couleur initiale de leurs murs. C'est d'ailleurs très rare que je croise quelqu'un durant mes balades : la plupart des gens n’aiment pas regarder leur belle cité d’antan, leurs maisons ou leurs vieilles entreprises. Je ne leur en veux pas. En fait, je les envie. Ils ont vu ce lieu de leurs propres yeux, avec les hauts et fiers buildings qui se dressaient alors, les pelouses fraîchement coupées, les routes pavées, et les trottoirs encore intacts.
Les seules choses que j’ai vu et qui s’en rapprochent sont les peintures de ma mère, chacune représentant les lieux colorés de ce monde concret. Elle commença à peindre alors que le monde s’écroulait sous ses pieds, formant cette triste scène avant que son regard ne l’embellisse. Son chef d’œuvre était issu d’un champ vierge qui fut plus tard remplacé par un parking. Au dessus de celui-ci, elle dessina un arc-en-ciel magnifique. Ma peinture favorite. Je pense que cela explique en partie la raison pour laquelle j'aime Rainbow Dash plus que les autres poneys. Ses couleurs, l’incroyable sonic rainboom[1], tout cela me rappelle cette image.
Il fut un temps où je rêvais de posséder ma propre Rainbow Dash, ou plus vraisemblablement une peluche d’elle, pour me blottir contre elle dans mon lit. J’utilise un vieux Simba en remplacement « temporaire », jusqu’à ce que je sois capable d’économiser assez d’argent pour m’en acheter une. Ça aide, d’une certaine façon. Comme si la serrer contre moi soignerait mes blessures, ma peine, et mon chagrin. Mes pieds, après d’innombrables heures de marches dans mes vieilles chaussures, tremblaient sous les draps, et tout ce temps, je serrais cet animal en peluche aussi fort qu’une mère protégeant son enfant. C’est la seule chose pour laquelle je pouvais trouver et ressentir une véritable joie, même si il ne s’agissait pas physiquement de la Rainbow Dash que je désire.
Je devrai m'en contenter.
----------
Aujourd’hui, comme d’habitude, j’ai marché jusqu'à mon lieu de travail. C’était la même connerie, encore un nouveau jour à regarder les mêmes personnes entrer dans la même boutique, prendre leurs produits, payer, puis sortir en traînant leurs sacs. Mon service s'est achevé après plusieurs heures ainsi. J'ai pointé et me suis mis en marche vers chez moi. Cette fois-ci, pour changer, j'ai décidé de suivre une autre route un peu différente du chemin que j'emprunte habituellement. Cette partie de la ville était la pire de toutes ; seules quelques maisons tenaient encore debout, et aucune d’entre elles n’était occupée. J'assistais vraiment à un triste spectacle. Le seul que je ne verrais jamais.
Du moins, c’était ce que je pensais…
J'ai été stoppé net par quelque chose d’inhabituel ; une boîte en carton égarée sur le trottoir. Bon, depuis que je vis dans ce genre d'endroit, je croise des ordures tout le temps. Des boîtes, des gobelets McDonalds, et des sacs en plastique jonchent les rues et les places désertes, mais je voyais rarement une boîte en carton qui ne soit pas esquintée d’une manière ou d’une autre. J'ai remarqué cette boîte en particulier parce qu'elle se trouvait au travers de mon chemin. Lorsque j’étais plus jeune, j’essayais de faire ce que je pouvais pour la communauté. Je ramassais les ordures dès que j’en trouvais, ou je tentais de venir en aide à mes voisins. C’était peine perdue. Le temps est passé, et j’ai abandonné tout espoir de nettoyer cette ville. À présent, je ne fais que passer devant les déchets, les laissant se faire emporter par la brise ou se décomposer sur place. Je laisse ce qu’il reste des « gens » en ces lieux faire ce qu’ils veulent, car la plupart ne se préoccupent plus des autres mais d’eux-mêmes. Pourquoi devrais-je me comporter différemment ?
J'ai dépassé la boîte, lui accordant à peine un regard. Absolument rien de celle-ci n’attirait mon attention à ce moment. J'ai continué mon chemin, ma maison n’étant alors plus très loin. Une fois arrivé, je me suis installé et ai joué à quelques jeux, essayant d’effacer la boîte de mes pensées. Par chance, la boîte parvenait d’une façon ou d’une autre à ressurgir dans ma tête. Le temps passait, et j'ai rapidement ressenti l’envie de faire une nouvelle balade. Je suis sorti de chez moi et ai commencé à emprunter mon chemin habituel avant de m’arrêter. Qu’avait cette boîte de si spécial pour que je ne parvienne pas à l’évacuer de mon esprit ? J'ai fais demi-tour, retraçant la route que j’avais utilisée pour rentrer chez moi, la route que je n’emprunte que sous une lune bleue. La curiosité me tiraillait, et je voulais des éclaircissements.
Je l'ai retrouvée en quelques minutes, toujours au même endroit, seule et triste au milieu du béton fracturé et de l’herbe folle. Elle n’avait pas bougé, il n’en ressortait rien de spécial. Il ne s’agit que d’une boîte en carton ordinaire. Je ne voulais pas penser être revenu ici pour rien, alors je me suis approché un peu plus de celle-ci. Comme je la voyais de plus près, j'ai commencé à percevoir quelque chose à l’intérieur. C'était brillant et coloré, multicolore à vrai dire, et assez petit. Peut-être de la taille d’un labrador de quelques mois.
Je me suis arrêté devant la boîte, observant le machin coloré à l’intérieur.
Voilà où j'en suis : à regarder dans un carton ce… quelque chose. Non, je sais très bien ce que c'est, mais mon cerveau m’interdit encore d'en prendre pleinement conscience. Au début, j'aurais voulu affirmer que c’était juste un jouet, laissé à l’abandon comme tout ce qui traînait dans ce quartier. Mais ensuite, je me suis aperçu que cela respirait. En réalité, cela semblait plutôt dormir. Mes mains moites, ma respiration irrégulière, je cligne des yeux, tente de corriger ma vision…
A chaque fois, l’image reste la même. A l’intérieur dormait une… petite… Rainbow Dash.
Je m’agenouille, essayant de l’observer de plus près. Je n'en crois pas mes yeux. Il n’y a aucune explication physique, logique, ou extraterrestre au fait que cela puisse… enfin, qu'elle puisse se retrouver ici, dans mon monde affreux, sombre et lugubre. J’examine davantage la boîte. Sur le côté, une simple inscription au stylo disait « à remettre entre de bonnes mains ».
Après la simple constatation "petite Rainbow Dash dans une boîte", je commence par me demander « Qui voudrait l’abandonner ? ». Dès lors, mon esprit s’embrouille de questions. Comment en était-elle arrivée là ? Que fait-elle ici ? Pourquoi est-elle si jeune ? Son flanc était même dépourvu de sa cutie mark[2], confirmant en effet qu’elle devait être vraiment très jeune. Mais alors que je détendais mes jambes fatiguées, je heurte accidentellement le côté de la boîte avec mon pied, et l’inévitable se produit : elle se réveille.
Elle regarde autour d’elle, frottant son visage avec sa patte avant pour essayer d’émerger de son sommeil. Au début, sa vision se résume aux murailles de carton, mais la petite jument tourne ensuite son regard vers moi. Ces grands yeux noirs, chacun cernés d’un iris rose, conduisent mon cœur, comme dirait le meme, à exploser… deux fois. Ce visage adorable m’oblige à m’agenouiller de nouveau et je ne peux lui refuser un sourire. Je n’avais plus souri comme ça depuis la dernière fois que mes parents et moi nous sommes rendus dans l’unique parc qui subsistait en ville, il y a des années de cela.
Ses yeux me fixent inlassablement, et j'en fais de même. Je ne sais plus quoi dire ou faire, mais comme il faut bien commencer quelque part...
« Salut toi. »
Pas de réponse.
« Hum, qu’est-ce que tu fais ici ? »
Elle regarde aux alentours avant de me fixer de nouveau. Plus je l’observe, plus je réalise à quel point elle est jeune ; bien plus jeune que sous sa forme de pouliche dans l’épisode vingt-trois. Il se pourrait même qu'elle ne soit pas encore capable de parler… enfin, à supposer qu'elle le puisse dans mon monde. Le fait même qu’elle existe, là, devant moi, me perturbe profondément. Je reporte mon attention sur elle, et remarque qu’un léger frisson la parcourt. L’automne s’était installé, et il commençait à faire assez froid, surtout à la mi-septembre.
Je ne sais pas vraiment comment réagir face à telle situation ; dois-je l’emmener à la maison ? Dois-je avertir quelqu’un ? Qui pourrais-je appeler de toute façon ? Je suis un brony discret, aucun de mes amis ne connaît ma passion pour ce dessin animé. Je ne peux pas l’emmener dans un refuge… c’est une pensée assez stupide en fait. Non seulement ce serait un destin épouvantable, mais elle aurait potentiellement pu être emmenée dans un laboratoire où on l’aurait analysée sous toutes ses coutures ou pire encore. Je n’ai pas le choix.
Elle tremble une nouvelle fois au contact de l’air frais sur son pelage ; ses ailes s’ébouriffent tandis qu’elle s’allonge et se recroqueville un peu plus pour se réchauffer. C’est le bouquet, je ne peux pas résister plus longtemps. J’enlève ma veste, m’abaisse et la prend contre moi. Je m’étais attendu à son premier réflexe : la peur. Elle commence à se tortiller dans tous les sens, incertaine de ce que je lui réservai. Elle ne peut pas encore voler, mais cela ne l’empêche pas de battre des ailes comme si elle espérait pouvoir miraculeusement prendre son envol. Je l’enveloppe dans ma veste, gardant sa tête au frais, et la serre dans mes bras. Elle continue de s'agiter, cependant la chaleur de mon corps commence à s’infiltrer à travers ma veste et elle finit par se calmer.
« Tout va bien. Allons te trouver un endroit un peu plus chaleureux, d’accord ? »
Je lui souris une fois de plus. Elle me regarde avec autant de confusion dans ses yeux que d’incompréhension à propos de ce qui lui arrive.
« Ne t’inquiètes pas, je ne vais pas te faire de mal. Il se fait tard, et tu vas avoir très froid si tu restes dehors. »
Je pense qu’elle m’a compris car, à ces mots, ses yeux reprennent leur taille normale, et elle se blottit un peu plus confortablement dans ma veste. Elle gigote encore un peu, essayant de trouver la meilleure position. Je peux sentir ses sabots et ses ailes me donner des petits coups à chaque fois qu’elle remue. Pour couronner le tout, elle pose son menton sur mon bras et laisse s’échapper un grand soupir, fermant les yeux pour s’évanouir dans son sommeil.
Mon cœur explose une troisième fois.
Durant tout le trajet du retour, je garde un œil sur les autres personnes qui pourraient croiser mon chemin. Personne d'autre ne doit la voir. Je ne peux pas prévoir comment ils réagiraient. De toute façon, comme d’habitude, je ne vois pas le moindre passant. Il sonne minuit quand je parviens chez moi ; heureusement pour nous deux, j’avais laissé la lumière allumée sous le porche : j’aurais pu dépasser mon foyer dans le cas contraire. Habiter dans un quartier presque abandonné prédisposait à beaucoup d’obscurité. La commune avait même cessé d’alimenter les lampadaires, ce qui rendait la situation encore plus ardue. J'ai tourné mon regard vers la pouliche qui continuait de dormir dans ma veste. Elle ne tremblait plus du tout et semblait s’être réchauffée.
J’atteins le porche et, attentif à ne pas faire trop de bruit en sortant mes clefs, j'ouvre les trois verrous, les deux usés et le principal, et enfin la serrure de la porte pour entrer. L’intérieur est plongé dans la pénombre, dû au fait qu’il faisait encore jour lorsque je suis sorti. D’une simple pression sur l’interrupteur, la seule ampoule du couloir se ravive, dispersant sa lumière dans le salon. La plupart des meubles appartenaient à mes parents. Tout comme la maison après tout. J'en suis devenu le propriétaire après leur décès, et ai veillé à ce que tout demeure comme avant.
Toujours avec la petite Rainbow Dash dans les bras, je me dirige vers le salon. Passant devant ma photo de famille, je la salue d’un « Bonsoir maman, bonsoir papa. ». Je sais qu’ils ne peuvent plus m'entendre, mais savoir qu’ils m’ont aimé, et que je les aime, m’aide à rester serein et à continuer ma misérable vie. Tandis que j’entre dans le salon, je sens des frémissements dans mes bras. Elle s’était réveillée, probablement lorsque j’avais allumé la lumière, et recommençait à fourmiller. Comme je n’ai aucune idée de quoi faire, je la dépose sur le canapé.
Elle bondit aussitôt hors de la veste et observe les alentours, examinant déjà son environnement. Je continue de la regarder tandis qu’elle explore le canapé, pour continuer son investigation sur la table basse.
« Mais qu’est-ce que tu fais dans mon monde ? »
J’ai parlé à haute voix sans le vouloir, mais cela m'arrive de temps en temps. Comme je ne vois que parfois mon petit groupe d’amis, je me retrouve bien souvent à parler… ben… tout seul. Je n’ai pas d’animal de compagnie car cela m’obligerait à dépenser plus d’argent alors que je lutte déjà bien assez comme ça.
De ma question, je ne reçois une fois de plus qu’un regard vide. Cela m’indique qu’elle n'en sait rien non plus. Et puis, que puis-je attendre d’autre d’une pouliche qui n’est même pas encore capable de parler ?
« Tu es perdue ?
Au moment où je lâche ces mots, ses oreilles s’abaissent et elle regarde vers le sol.
« Oh… »
Je réalise brusquement qu’elle ne sait rien de ce qui lui arrive, où elle se trouve, qui je suis, et tout le reste. Sa situation dépassait le terme « perdue » : ce monde n'est pas le sien.
« Eh bien, jusqu’à ce que la situation se débloque, je pense que tu peux… rester chez moi. »
Je me rends compte, à la voir relever la tête, les oreilles pointées vers le haut, et me regarder d’un air inquiet, que mes mots ne paraissent pas si encourageants. Je poursuis donc en souriant.
« Ne t’inquiètes pas. Je suis sûr que, tôt ou tard, ce qui t’a amenée ici s'arrangera de lui-même. Nous devons juste… attendre. Est-ce que ça te va ? »
Je ne sais pas trop pourquoi je lui ai demandé ça, mais ça a l’air de marcher. Ses oreilles se redressent et elle sourit.
Les heures suivantes sont consacrées à lui faire faire le « grand tour » de ma maison. Rien d’extraordinaire à voir, mais j’évite quand même de l’emmener dans ma chambre de peur que la tonne de vêtements sales ne puisse la dégoûter. Je lui donne ensuite quelque chose à manger. Je coupe quelques petites carottes et découvre avec surprise qu’elle a des dents. Étant donné qu’elle n'est encore qu'une pouliche, je n’étais pas sûr qu’elle puisse déjà manger des aliments solides tels que des carottes. Après tout, elle provient tout droit d’un dessin animé donc je ne peux pas savoir ce qui est « correct » pour elle de toute façon.
Une fois qu’elle eût assez mangé, elle trouve sur le fauteuil de mon père un endroit confortable où s'asseoir. Je ne lui en tiens pas rigueur, ce n’est pas comme si c’était moi. Je n’ai jamais été autorisé à m’asseoir dessus de son vivant, alors pourquoi cela changerait-il aujourd'hui ? C’est son fauteuil. Cependant, je ne vais pas déranger la pouliche pour ne pas l’avoir su, donc je la laisse s’installer là où elle se sent le mieux. Je lui donne aussi une petite couverture dans laquelle se blottir, étant donné la température de la maison. Il ne fait pas aussi froid qu’à l’extérieur, mais la chaudière avait déjà eu des problèmes avant même le décès de mes parents. Il y avait bien une astuce pour la réparer, mais mon père l’avait emportée avec lui.
J’ai dû m’endormir au bout d’un moment. Honnêtement, je pensais rester complètement éveillé après une telle soirée, mais vu les longues heures de travail et le fait d’avoir veillé pour prendre soin de Dash, mon corps en avait décidé autrement. Je ne sais pas vraiment combien de temps j’ai dormi, mais cela n’a que peu d’importance ; tandis que je ferme les yeux, je sens quelque chose contre mon flanc. Je jette un regard, et retrouve la petite pouliche de couleur cyan dormant à mes côtés, toujours parée de sa crinière arc-en-ciel, reposant sa tête sur mon bras.
Je sais que le meme devient pompeux, mais je dois le dire : mon cœur a explosé de nouveau.
La voir étendue là, somnolant et se pelotonnant à mes cotés, me faisait sourire jusqu’aux oreilles. Sa douce respiration se fait à peine entendre. Les poils de sa crinière me chatouillent le bras, mais je me retiens de faire tout mouvement brusque. La chaleur de son corps contre mon ventre réchauffe mon cœur fragile. Bien que quelques mois ne semblent pas représenter une très longue période, c’est pourtant durant tout ce laps de temps que j’avais espéré qu’un tel moment se produise. Mon propre petit poney, une petite peluche Rainbow Dash pour pouvoir dormir avec et la serrer fort. Et là, j’ai une véritable Rainbow Dash, une pouliche, dormant à mes cotés et, par dessus le marché, épanouie comme si elle me connaissait depuis sa naissance.
Dès lors, plus rien d'autre n’a d’importance à mes yeux. Mon désespoir, mes jambes endolories et mon cœur en peine s'effacent tous devant ce sentiment irrévocable qui m'envahit alors : cette joie que je ressens en ce moment même, allongé sur mon canapé. Elle est ici. Elle existe. Dès lors, elle sera mon petit poney. Elle sera… ma petite Dashie.
----------
Seulement quatre mois se sont passés depuis que j’ai ramené la petite Rainbow Dash chez moi. J’ai essayé de faire le plus de « recherches » possibles sur la raison de sa venue, en vain. Je n’ai aucune idée sur le sujet, et pour être franc, je ne m'en préoccupe même plus. Ces quelques mois passés avec elle ont été les meilleurs moments de ma vie. Elle a ouvert mon cœur à l’amour, à la joie, et toutes ces belles choses encore. En ce moment, elle est assise à côté de moi sur le canapé devant la télévision.
Elle a l’air d’aimer les dessins animés du matin sur les chaînes locales, et je commence à les aimer aussi. Elle agit plutôt comme une petite fille. Après tout, pourquoi se comporterait-elle autrement ? Qu’elle ait appris à parler constitue une autre prouesse phénoménale. Je ne suis pas très doué en tant que prof, ou tout du moins en tant que parent, mais je fais de mon mieux pour l'aider dans son apprentissage de la langue et de la lecture. Pour ce qui est de l'initiation à l'écriture, je ne sais ni comment faire, ni par où commencer. D’après le dessin animé, elles écrivent avec leur bouche, mais je gardais cela pour plus tard. Quand elle sera plus grande, si elle reste avec moi aussi longtemps du moins, je ferai ce que je pourrai pour lui apprendre.
----------
D'habitude, les années me semblent longues. Je devrais être impatient que celle-ci s'achève, en espérant partir sur un nouveau départ. Mais à présent, j’ai plutôt l’impression que cette année-là m’a un peu trop filée entre les doigts. J’ai décidé, comme je n’ai aucune idée de sa date de naissance, de faire du soir où je l’ai trouvée son jour d’anniversaire. Le 17 septembre… Cette date coïncide étrangement avec celle du lancement de la saison 2 de My Little Pony : Friendship is Magic l'année dernière… J’ai arrêté de regarder le dessin animé depuis que Dashie est entrée dans ma vie. Je n'avais aucune raison de le suivre, et honnêtement, je n’ai plus tellement de temps pour moi.
De plus, il serait difficile de regarder le dessin animé en cachette, encore plus de lui expliquer la situation au cas où elle tomberait dessus, surtout à son âge. Elle savait qu’elle s’appelait Rainbow Dash, mais j’ai pris pour habitude de l’appeler par le surnom que Pinkie lui avait donné, Dashie, et cela ne lui pose aucun problème. Maintenant, elle sait aussi bien discuter avec moi qu'elle ne sait lire, et elle s'initie même à l’écriture avec, vous l’aurez deviné, sa bouche.
J’ai essayé « d’élaborer » quelques procédés pour qu’elle puisse écrire avec son sabot, mais il semblerait qu’elle soit bien plus disposée à écrire avec sa bouche plutôt qu'à coordonner les mouvements de ses pattes. Une chose commence à me tracasser à son sujet. Tous les jours, elle s’assied à la fenêtre et regarde dehors. Je n’étais pas inquiet que des passants puissent l’apercevoir : j'habite dans une impasse, donc cela reste le dernier de mes soucis. Toutefois, bien qu’elle ne m’ait encore rien dit, je devine son désir d’évasion dans ses yeux. Je ne peux quand même pas la garder à la maison toute sa vie.
Ha… Je continue de parler comme si elle allait rester ici pour toujours. Mais c'est loin d'être le cas. Un jour, elle retournera chez elle, même s’il faut que ce soit aussi simple qu'un bête « pouf » et hop, disparue ! Ou alors, Twilight déboulera, la ramènera en un tour de magie, et tout rentrera dans l'ordre. Dans mon cœur, j’espère que ce jour n’arrivera jamais. Dans ma tête, je sais qu’il arrivera. Ce n’est qu’une question de temps.
J’espère vraiment pouvoir la laisser sortir bientôt. J'ai consacré mes trajets d'aller et retour du travail à examiner quelques-uns des terrains vagues et des anciens parcs, recherchant le meilleur endroit où l’emmener et curieusement, le parc où j’avais joué et grandi parut être la meilleure option. Ce doit donc être celui-ci, je dois l’emmener dans ce parc. Comment ferais-je pour l’amener là-bas ? Elle est encore assez petite, je peux encore la cacher dans une veste ou quelque chose d’autre. Demain est censé être une belle journée de toute façon.
----------
Elle l’a fait. Après deux années sous ma charge, alors que je n’avais personnellement pas la moindre connaissance en vol, je l’ai aidée à apprendre à voler. Elle a bien grandi en à peine deux ans, et cela devient de plus en plus difficile de la dissimuler lorsque nous nous rendons au parc. J’étais tellement désespéré que j’en suis venu à lui acheter un costume de chien pour qu’elle puisse s'y rendre discrètement. Ça ne lui a pas plu du tout. Bref, j’ai donc emprunté des livres à la bibliothèque et ai perfectionné mes méthodes en m'inspirant des techniques utilisées pour apprendre aux oiseaux à voler.
J’aurais tout aussi bien pu regarder sur Internet, mais j’avais peur qu’elle n'en devienne trop curieuse. Internet est rempli d'horreurs et elle n’est pas encore prête pour y faire face. Avec le recul, il était déjà assez mauvais qu’elle puisse regarder la télévision, mais elle adorait beaucoup trop Bob l’Éponge et la NASCAR[3] pour que je puisse l'en priver.
Revenons-en au vol. Ça fait des semaines que je l'emmène dans ce vieux parc, espérant que cela l’aiderait à prendre son envol. Les branches d'un grand arbre y surplombent un bac à sable : l’endroit parfait pour qu’elle puisse s’entraîner. Si jamais elle venait à tomber, et que je ne pouvais pas la rattraper, elle atterrirait au moins sur quelque chose de relativement mou. Elle est souvent tombée. Je savais qu’elle tomberait de nombreuses fois. Je ne compte plus le nombre d’éraflures, de blessures, et de bleus avant qu’elle n’atteigne son but, et finalement, après des semaines de travail, elle s’est envolée. Sur une courte distance seulement, environ une quinzaine de mètres, mais elle a quand même réussi. Elle est un peu amochée, mais elle rayonne de fierté. Peut-être pourra-t-elle dorénavant voler dans les hauteurs : ainsi, les quelques personnes à terre ne l’apercevraient pas. Il faudra aussi que j’observe si elle peut contrôler les nuages comme elle le fait dans le dessin animé ; cela simplifierait les choses pour qu’elle puisse sortir tranquille. Ainsi, elle pourra se cacher derrière un nuage quand on se rendra au parc.
Quelque chose d’autre avait attiré mon attention. Elle m'a demandé si elle pouvait avoir sa propre chambre. Après réflexion, je me suis souvenu que la maison possédait effectivement une chambre d’amis que mes parents avaient remplie de mes vieilles affaires d’école, ainsi qu’une partie de mes vieux jouets. Elle pourrait s’amuser avec, bien que je ne sois pas sûr qu'ils seront aussi distrayants à mesure qu’elle grandirait. Si elle possédait une chambre rien qu’à elle, où elle rangerait ses propres affaires, elle pourrait se sentir un peu plus normale. Elle est plutôt intelligente pour son âge et sait que nous n’appartenons pas à la même espèce, bien qu'elle ignore encore tout de ses origines. Elle n’est pas encore prête ; la seule chose que je puisse faire est de la rendre heureuse.
Tout ce que je souhaite, c'est d'être en mesure de lui acheter ce qu'elle veut.
----------
Il y a quatre ans, si on m’avait dit que je prendrais soin d’un poney arc-en-ciel tout droit sorti d’un dessin animé, je ne l’aurais jamais cru. Peut-être que je suis devenu fou en réalité, mais je m’en fiche. Je suis heureux. Elle est heureuse. Aujourd’hui est un jour de fête, ma petite Dashie a obtenu sa cutie mark.
Honnêtement, je ne savais pas vraiment comment aborder le sujet. Elle ne savait pas elle-même ce dont il s’agissait jusqu’à ce que je lui explique. Maintenant, elle est encore plus enthousiaste qu’auparavant. Nous nous sommes rendus au parc comme d’habitude, mais cette fois elle a décidé de voir jusqu'à quelle hauteur elle pouvait s'élever. Jusqu'alors, sa seule limite était celle que je lui avais fixée, mais je ne peux sincèrement rien faire à partir du moment où elle est dans les airs. Je ne peux pas voler, donc la seule chose que je peux faire, c'est de l’enjoindre à être prudente.
Il lui a ensuite pris l’envie de savoir quelle vitesse elle pouvait atteindre en vol, probablement à force de regarder ces courses de voitures et, bon, surtout parce qu'elle est passionnée de courses en général. Parfois, elle essayait d’accomplir des figures et des cascades, auxquelles elle donnait même des noms. Je me contentais de m’assoir sur un banc que j’avais réparé et de l’encourager. Il n’y a plus personne dans le coin. En fait, dans ce quartier, je pense que le dernier résident a quitté l’endroit l’année dernière. Cependant, des rumeurs courent comme quoi la zone entière serait bientôt achetée par une compagnie pour la rénover en une zone industrielle. Je ne sais pas vraiment quoi en penser… mais cela n'a aucune importance pour le moment, car à cet instant, je suis dominé par la joie que Dashie ait trouvé sa place. Bien qu’il ne s’agisse pas de son monde, elle reste la même Rainbow Dash que dans le dessin animé… Qu’importe la manière dont je l’ai éduquée, elle a la même audace et la même attitude. Et maintenant, elle a sa cutie mark.
Bref, elle avait atteint une altitude remarquable pour essayer de gagner le plus de vitesse dans sa chute. Et certes, toutes les meilleures conditions s'étaient additionnées pour qu’elle puisse le réussir : la manière dont elle s’était positionnée, sa concentration, peut-être aussi le fait que je me trouvais plus bas à la regarder et à l’encourager... mais elle a réussi. Elle a brisé le mur du son, et provoqué un sonic rainboom aérien.
Ceci dit, je n'avais jusqu’à maintenant jamais cru possible d'accomplir un tel exploit dans mon monde. Je savais qu’on pouvait dépasser le mur du son, mais en faisant le coup de l'arc-en-ciel en même temps ? J’en reste pantois. Quoiqu'il en soit, l’origine de l’explosion a entraîné de nombreuses vitres cassées et déclenché les alarmes de voitures jusqu’au comté voisin. Je l'ai immédiatement faite revenir et nous sommes rentrés chez nous avant que quelqu’un n’arrive au parc. J’avais de la chance qu’aucune de mes fenêtres ne fussent brisées.
Nous avons passé le reste de la journée à fêter l’évènement. Avec une certaine coïncidence, ce jour-ci était son quatrième anniversaire. Je ne savais absolument pas quel âge elle pouvait bien avoir lorsque je l’ai trouvée, donc j’avais commencé le compte à partir de zéro. J’aurais dû lui acheter un gâteau, mais toutes les boutiques étaient fermées à cause de l’explosion et avaient besoin de nouvelles vitrines. Alors nous avons fait un gâteau nous-même. Apparemment, les rédacteurs de fan fictions avaient raison : elle est absolument incapable de préparer quoi que ce soit. Et vu que je ne suis pas non plus un grand maître en pâtisserie, le gâteau fut complètement raté. Cependant, nous nous sommes bien amusés, elle a savouré ce moment et est heureuse. Pour cette raison, je le suis aussi.
C'était son meilleur moment de la journée, mais le mien s’est déroulé il y a quelques minutes à peine. Elle s'est maintenant habituée à dormir dans sa propre chambre plutôt que de rester avec moi sur le canapé. Car en effet, j’avais arrêté de dormir dans ma chambre pour lui tenir compagnie dans le salon jusqu’à récemment. Maintenant, je peux rejoindre mon lit de nouveau, mais je laisse ma porte entrouverte pour qu’elle puisse me trouver si besoin. Je venais juste de la mettre au lit et de lui souhaiter bonne nuit lorsqu’elle me dit :
« Bonne nuit, mon papa. Je t’aime. »
Je ne suis plus retourné sur Internet depuis quoi, trois ans maintenant ? Je ne sais pas si le phénomène My Little Pony se perpétue, ou si certains memes restent toujours d’actualité. Mais bon sang de bon soir, je vais le dire puisque c’est vrai ! Mon cœur a explosé deux fois ! Pour la première fois, non seulement elle m’avait appelé « mon papa », ce qui lui arrivait à l’occasion, mais elle avait même ajouté… « Je t’aime. »
Je n'ai plus su quoi dire ou faire durant un bref instant. Je n’avais jamais connu une situation pareille auparavant. Mais je me suis souvenu de ce que ma mère et mon père avaient l’habitude de faire. Alors, je me suis penché et l’ai embrassée sur le front en lui disant de même :
« Bonne nuit, ma petite Dashie. Je t’aime aussi. »
Elle m'a souri, puis fermé les yeux et s’est endormie. Je suis sorti de la chambre, ai éteint la lumière, vérifié que sa veilleuse Bob l’Éponge était allumée, fermé la porte bien sûr, puis me suis assis sur le canapé. Je n’ai plus bougé depuis une heure maintenant, perdu dans mes pensées. Le peu de fois où elle m’avait appelé « mon papa », je n’y avais pas fait très attention. Je peux comprendre qu’elle puisse m’appeler ainsi. Après avoir passé tant de temps avec elle, je prends cela comme une suite logique au fait d’avoir pris soin d’elle. Mais cette nuit, lorsqu’elle a lancé ces mots, j'ai enfin pris conscience de la chose au plus profond de mon cœur. Je suis… son papa.
Elle me considère comme son papa. Et pour être franc, je la considère comme ma fille. Même si nous appartenons à des espèces totalement différentes, je l’aime quand même de tout mon cœur. Et il a fallu qu’elle me dise ces mots pour que je puisse enfin m’en rendre compte. Je pense que j’y suis finalement parvenu. J’ai détruit la carapace qui s’était formée en moi après la mort de mes parents. J’ai laissé une adorable petite pouliche s’introduire dans ma vie. Je lui ai donné un toit, de quoi manger, et maintenant un père à aimer. Elle m’a donné l’espoir, l’amour, la compassion, et aujourd’hui quelque chose que je n’aurais jamais connu autrement : une fille.
Je pense toujours que lorsque le moment sera venu, elle retournera à Equestria. Et chaque jour, il me devient de plus en plus difficile d’imaginer quand ce moment arrivera. J’espère seulement qu’elle ne m’oubliera jamais, parce que moi, je ne suis pas prêt de l'oublier.
----------
Je crois maintenant que Dashie a atteint sa taille adulte. Mesurant près d’un mètre, elle a achevé sa croissance. Bien qu’elle n’ait encore que dix ans selon mes calculs, je pense qu’elle doit être plus proche du profil d’un poney de quatorze ou de quinze ans en années réelles. Nous avons donc célébré cinq anniversaires manqués et notre départ officiel. Oui, départ. Nous avons quitté la maison de mes parents, grâce aux économies des années précédentes et une certaine chance au casino. Nous avons acheté une belle maison située à plus de cent cinquante kilomètres de la ville. Elle se trouvait sur un terrain assez ouvert : pas une seule maison avant huit kilomètres, juste pour elle et moi.
Maintenant, elle peut voler partout où elle veut, quand elle veut. Elle est vraiment heureuse, même s'il est vrai que le vieux parc lui manque beaucoup. Il est détruit maintenant, ainsi que tout ce qui l’entourait. Une importante entreprise avait acheté le terrain, l’avait rasé, pour y construire une grande usine. C’était un coup de pouce spectaculaire pour l’économie, et de nouvelles maisons commencent déjà à être construites ! J’en suis heureux, mais… tout cela n’était pas pour nous. Cette masse de monde aurait pu l’empêcher de sortir, et je n’allais pas la forcer à rester à la maison tous les jours jusqu’à ce qu’il pleuve.
J’ai décroché un nouveau job qui rapporte bien plus que l’ancien. Dashie m'a même un jour confessé qu’elle aimerait en avoir un, mais elle s’est interrompue lorsqu’elle s'est souvenue de ce que je lui avais dit. L’expression sur son visage m’a brisé le cœur. Nous étions en train de savourer un gâteau que nous avions préparé, et je dois dire que nous nous étions améliorés dans ce domaine, lorsqu’elle a posé le sujet sur la table. Je lui ai répondu en plaisantant qu’elle ne peut pas car elle est un poney et j’ai enchaîné sur un rire. Elle est restée silencieuse. Mon dieu, je suis horrible. Je… Je me suis moqué de ma fille juste parce qu’elle est différente.
Je me suis excusé des heures durant, et même si elle m’assure qu’elle comprend, je sais qu’elle est toujours blessée. Heureusement, j’ai trouvé un moyen de corriger mon erreur. Vu l’étendue considérable de la propriété, celle-ci implique un entretien important de la pelouse. Le lendemain, j’irai donc modifier une tondeuse à gazon pour qu’elle puisse l’utiliser : ainsi elle pourra avoir un job. Je suis même prêt à la payer, afin qu’elle puisse acheter ses propres trucs si elle veut. Bien que je devrais les acheter à sa place, elle pourra ainsi au moins prétendre qu’elle a travaillé pour quelque chose. D’après le dessin animé, elle s’occupait de la météo. Mais je n’ai pas vraiment besoin de son aptitude à contrecarrer mère nature, à moins que ce ne soit pour un cas d’extrême urgence, donc il n’y a pas vraiment de job à lui demander sur ce point.
Je n’arrive toujours pas à croire que ça fait maintenant dix ans qu’elle est avec moi. Mon dieu, que le temps passe vite… J’aimerais qu’il ralentisse pour partager encore plus de moments avec elle. Je ne sais pas quand, mais j'ai le pressentiment soudain que notre temps ensemble va finir par manquer. Tout était trop beau pour être vrai.
----------
Aujourd’hui a sûrement été le pire jour de ma vie, pire encore que le jour où mes parents sont décédés. Á la suite d’évènements auxquels je ne m’étais pas préparé, Dashie a découvert la vérité avant que je ne puisse la lui révéler moi-même. Elle sait maintenant qui elle est, un personnage totalement fictif de dessin animé pour enfants. Elle est furieuse, non, malheureuse plus que tout. Elle s’est enfermée dans sa chambre, mais je connais ma fille. Elle n’y est pas restée bien longtemps. Elle a ouvert sa fenêtre et s’est envolée, probablement vers un arbre où ruminer tout son chagrin.
Je suis un monstre.
J’aurais dû tout lui raconter plus tôt, mais je n'étais juste pas certain du bon moment pour le faire. Maintenant, nous souffrons tous les deux à cause de ma négligence. Je pensais qu’obtenir le câble serait une bonne chose, afin qu’elle puisse regarder plus de programmes, mais je n’avais pas réalisé que nous captions aussi la chaîne The Hub. Je n’étais même pas au courant qu’elle existait encore, et imaginez ma surprise lorsque j'ai découvert que My Little Pony était toujours DIFFUSÉ ! Le dessin animé s’était arrêté après huit saisons, mais les rediffusions continuaient.
Je me souviens : je suis rentré du travail avec quelques courses, les ai posées dans la cuisine, et ai rejoint le salon. C’est à ce moment que je l'ai vue…
« UN ARC-EN-CIEL SUPERSONIQUE ! ELLE A REUSSI ! » avait crié Fluttershy, bondissant de joie tandis qu’Applejack, Twilight, et Pinkie Pie restaient assises sur le nuage, toutes d’un air abasourdi.
Mon cœur saigne… Je connaissais cet épisode… Je m’en souvenais. Même sans avoir rien suivi depuis douze ans… Je me souviens toujours de ce maudit épisode. Dans ce dernier, Rainbow Dash réalise le sonic rainboom, de la même façon que l’avait fait ma Dashie quelques années auparavant. Á ce moment-là, je tenais encore mes clefs… et je les ai lâchées. Elles ont résonné sur le parquet ; si elle ne savait pas encore que j’étais rentré, c’était maintenant le cas.
« Depuis combien de temps… » m'a demandé Dashie, ne laissant paraître aucune émotion dans sa voix.
« Je… »
« Depuis combien de temps le sais-tu ? »
« Je… »
Dashie s'est retournée pour me regarder. Elle avait pleuré, et sa crinière était dans un état encore pire que d’habitude.
« DEPUIS COMBIEN DE TEMPS LE SAIS-TU ?! »
Je n'ai pas pu m'en empêcher… une larme a coulé le long de ma joue tandis qu’elle me criait dessus. C’était la première fois qu’elle haussait le ton sur moi depuis toutes ces années.
Et je méritais chacun des mots qu’elle me disait.
Alors, je me suis assis, ai éteint la télévision, et je lui ai tout raconté depuis le début. Je lui ai parlé du dessin animé, de la façon dont je l’avais trouvée, et ai répondu à toutes les autres questions qu’elle avait à me poser.
Il y en avait beaucoup.
La plupart d’entre elles concernaient le dessin animé, auxquelles j'ai simplement répondu par ce que je croyais au fond de moi. Que malgré le fait qu’elle soit la Rainbow Dash du cartoon, elle demeurait elle-même un poney différent de celle-ci. J’ai essayé de lui expliquer, mais son entêtement prenait le dessus tandis qu’elle continuait de me sermonner.
J’ai tout encaissé. Je le méritais entièrement. Je lui avais caché cet horrible secret depuis bien trop longtemps. Elle avait dorénavant assez grandi, elle aurait été capable de s’occuper d’elle-même si elle était à Equestria. Ici, je la traitais comme s’il s’agissait toujours de ma petite fille. C’était bien mal avisé de ma part, mais je n'ai pu m'en empêcher. Je n'ai jamais voulu que ça se passe ainsi, mais je savais que ça arriverait. J’aurais dû faire ce qu’il fallait, mais non. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne découvre, et qu’elle sache qu’elle était différente.
Après notre dispute, elle s'est envolée jusqu'à sa chambre, et s'y est enfermée en claquant la porte. Je suis allé toquer à celle-ci une heure après : le silence m’a informé qu’elle s’était envolée. Je ne peux qu'espérer qu’elle reviendra, ou au moins, dans le cas contraire, qu’elle ne s’approche pas d’autres personnes. En fait, j’espère plutôt qu’elle tombe sur une sorte de portail qui la ramènerait dans son monde, et qu’elle n’ait plus jamais à penser à moi. Tout ce que peux lui dire à ce stade, c’est que je suis désolé.
Je suis vraiment… vraiment… désolé.
----------
Cela fait trois jours que Dashie est partie. La nuit après son départ, j'ai fait quelque chose que je n’avais plus fait depuis très longtemps : je suis parti faire un tour. Je ne savais pas où j'allais, ou combien de temps je marcherais, mais j'y suis allé. J'ai marché. Trois jours après, je me retrouve de nouveau à marcher. Je suis parti de chez moi depuis trois heures environ, et bien qu’il ne soit que cinq heures de l’après-midi, il commence déjà à faire sombre.
Un orage se prépare, et je vais bientôt en faire les frais. Je fais demi-tour pour rejoindre ma maison, mais je ne me précipite pas. Ces derniers jours, ma vitalité s'est faite inexistante, n'ayant rien mangé de plus que du pain grillé. Je me sens tellement seul quand je traverse les bois qui entourent ma maison. Non, notre maison. C’est autant la sienne que la mienne, et rien ne changera cela.
La pluie a commencé, mais je n’accélère pas mon allure. Je me contente de marcher, comme je l’ai toujours fait jusqu’à maintenant. Les souvenirs lointains de toute ma peine et mon chagrin d'avant Dashie commencent à s’infiltrer dans mon esprit. Je n’ai plus ressenti cela depuis des années. Les éclats des gouttes sur les feuilles des arbres m’aident à me raisonner. C’est un son agréable, que personne ne pourra jamais entendre en ville.
La pluie redouble et ma chemise est maintenant trempée. Je suis assuré d’attraper un rhume demain matin, mais je m’en fiche. Ça fait trois jours maintenant que je suis malade ; une maladie qui me déchire intérieurement. Ma fille est quelque part ailleurs, blessée, elle a besoin de confort et de chaleur sous cette pluie. Je voudrais tant pouvoir être à ses cotés, même si elle ne voulait sûrement plus de moi. Elle ne voulait sûrement plus jamais ne serait-ce que me revoir, d’après la réaction qu’elle avait eue.
Je ne lui en veux pas… découvrir son passé de cette façon doit être bien plus horrible encore. Je ne peux même pas imaginer à quoi ça ressemblerait. Je sais que Dashie est forte et qu’elle s'en remettra. Mais je sais aussi combien elle peut être rancunière certaines fois. Je ne suis pas certain que, même si elle avait à revenir, elle ne me pardonne un jour. Et plus important, si je ne pourrais jamais me pardonner moi-même.
La pluie déferle à présent. La cime des arbres amortit à peine le torrent de gouttes qui me martèle. Je cesse d’observer les alentours pour retrouver mes repères et rentrer chez moi. Je suis loin d’être perdu ; la plus grande partie de cette zone est facile à traverser une fois qu'on s'y est habitué. C'est juste que, tout en marchant, je ne cesse d'espérer d’apercevoir Dashie. C’est la raison pour laquelle je suis parti dans les bois à l'origine.
Je continue ma marche à la même allure, à travers cette saucée. Soudain, je repère un arbre imposant et feuillu. Sa taille dépasse celle de tous les autres, et au vu de l’herbe à peine humide à ses pieds, je pourrais dire que ses branches robustes résistent même à cette pluie torrentielle. J’ai besoin de faire une pause, je m'approche donc et m'installe en dessous. L’herbe est pratiquement sèche, seules quelques gouttelettes parviennent à se frayer un chemin jusqu’au sol.
C’est le type d’arbre que Dashie utiliserait sans doute pour s’abriter d'une telle averse. J’espère d'ailleurs que c'est le cas, même si je n’ai vu aucun signe de sa part lorsque je me suis approché.
Je ferme les yeux et m’appuie contre le tronc tandis que je resonge à ma vie… notre vie, ensemble, entre père et fille. Nous étions devenus plus qu’une famille, et avions eu assez de chance pour n’avoir connu que très peu d’accrochages. Aucun d’entre eux n’avait été un tel crève-cœur comme celui d’il y a trois jours.
Je sens une larme couler le long de ma joue alors que j’imagine encore le visage de Dashie. La colère dans ses yeux, mêlée à sa confusion, me déchire intérieurement. J’aimerais tellement pouvoir arranger les choses, ou revenir dans le temps et empêcher que cela ne se produise. Mais je n'y peux rien. Ce qui est fait, est fait.
« Je suis vraiment désolé… »
Je parle à haute voix, ne prêtant aucune attention à quiconque qui pourrait m’entendre. Je suis seul dans ces bois, si on omet ses résidents. Avec cette pluie, ils sont bien cachés, et ceux qui ne le sont pas ont peu en commun avec un être comme moi.
« Je suis juste sincèrement désolé, Dashie. »
Je continue de pleurer, les yeux fermés, adossé contre l’arbre. La pluie continue de déferler autour de moi. Une grosse goutte d’eau heurte ma tête, mais je n’y fais pas attention.
Crac
J’ouvre les yeux à ce bruit inattendu, je porte mon regard à ma gauche, et me laisse surprendre par ce que je vois à mes côtés, me regardant elle aussi de ses yeux larmoyants. Dashie, ma petite Dashie, couverte de graines de bardane[4] et de sève le long de sa crinière et de sa queue, est apparue tout près de moi. Elle est trempée, tant par ses larmes que par la pluie. Je ne l'ai pas entendue approcher. Après tout, pour une Pégase, il est naturel qu’elle ait une démarche presque aérienne.
Elle ne dit mot, et préfère plutôt me rejoindre sans ne plus faire attention au bruit de ses sabots. Je ne bouge pas ; je reste assis sur l’herbe et la regarde de mes yeux embués de larmes. Elle avait l’air vraiment affreuse, et pourtant si belle à la fois. Son pelage avait besoin d’un bon bain, mais cela demeurait le moindre de mes soucis.
Toujours silencieuse, elle s’assied à mes cotés, évitant de croiser mon regard tandis qu’elle perd le sien dans les bois. Je ne peux que la contempler, rêvant de pouvoir la serrer fort dans mes bras et ne plus jamais la laisser partir de nouveau. Mais je me suis ravisé, sachant que ce serait trop soudain. Finalement, elle est la première à parler.
« Je… Je t’ai entendu, » Sa voix s’est alors abaissée tandis qu’elle murmure, « Et je suis désolée moi aussi. »
Un léger sourire apparaît derrière mes larmes ; son attitude renfrognée montrait toujours qu’elle avait du mal à pardonner, « Dashie, tu n’as pas à être désolée de quoi que ce soit. C’est ma faute, c’est tout. »
Il semble qu’elle n’adhère pas à mon point de vue, car elle finit par me regarder d’un air attristé.
« Papa. Est-ce que… tu m’aimes toujours ? »
C’est le moment d’agir. Je m’avance et la serre dans mes bras, l’enlaçant d’une solide étreinte.
« Bien sûr, Dashie. Je t’ai toujours aimée. Je t’aime toujours, qu’importe ce qui se passe. Même cette petite dispute n’aurait jamais pu changer cela. »
Elle me rend mon étreinte, et nous voilà posés là à pleurer ensemble. Les excuses se prolongent, moi pour la vérité et elle pour avoir haussé le ton et s’être révoltée. Longtemps après, la pluie s'apaise. Nous sommes toujours au pied de l'arbre.
« Papa. »
« Hum ? »
« On peut rentrer maintenant ? J’ai vraiment besoin d’une douche. »
Un pouffement m’échappe et elle s'esclaffe de même quand je me lève. Nous retournons donc à la maison ; elle a retrouvé le sourire. Moi aussi. J'y réfléchis depuis un certain temps, mais je crois que je devrais lui offrir son cadeau d’anniversaire un peu plus en avance.
Un ticket pour l’Indy 500[5]. Oui, je l’emmène assister à l’Indy 500. Elle peut simplement s’installer sur un nuage pour regarder tandis que je serais dans les tribunes. Je n’étais même pas obligé de lui acheter un ticket, mais elle aura besoin d’une sorte de souvenir de sa visite. Je suis sûr qu’elle allait s'éclater, et bien que je ne m’attende pas à ce que cela arrange tout, je peux au moins espérer que cela lui remontera un peu le moral.
Avec le temps, je suis sûr qu’elle finira par se relâcher et accepter le fait d’être présente dans le dessin animé. Perspicace comme elle est, elle a bien compris qu'elle est réelle, pas comme ce poney totalement fictif. Tout ce que je peux faire, c'est l’aider à y croire, et espérer qu’elle en ferait de même pour moi.
----------
Il arrive un temps dans la vie de tout parent où l’on doit laisser son enfant prendre son envol. Que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, ce moment doit arriver un jour. Me voilà, assis dans mon salon, seul, passant en revue des photos de mes lointains souvenirs avec Dashie. Pour ses vingt ans, j’avais prévu une sortie exceptionnelle à un spectacle d’aviation. Alors que nous nous préparions à partir, on a entendu frapper à la porte.
Personne n'avait jamais frappé à cette porte depuis que nous vivions ici. Bon sang, nous n’avions même pas pensé à ce que nous ferions si quelqu’un venait à se manifester ! J'ai simplement demandé à Dashie de rejoindre sa chambre pendant que je m’en chargeais. Une fois que j’eus entendu sa porte se fermer, j'ai calmement et convenablement demandé qui frappait à la porte, m’attendant à un étranger qui aurait probablement perdu son chemin. Une voix féminine s'est faite entendre, d’abord élégante, puis si solennelle qu'elle m'obligeait à l’écouter avec la plus grande attention. Elle a demandé si elle pouvait entrer ; une requête que j’aurais normalement refusée sur-le-champ, et pourtant cette voix avait quelque chose qui m'était familier. Je n'ai pu m'empêcher d'aller ouvrir.
Lorsque j'ai vu qui se présentait devant ma porte, je ne savais plus exactement si j’étais en train de rêver ou d’halluciner. Devant moi se dressait la radieuse et majestueuse Princesse Celestia. J'étais littéralement bouche bée, déboussolé d’abord par mon sentiment d’excitation d’ancien brony, celui que j'avais ressentis la première fois en trouvant Dashie, et secondement par la tristesse qui m’envahissait en pressentant la suite des évènements. Elle est restée là à m’observer encore un moment ; nous nous toisions tous deux à hauteur des yeux, son corps atteignant quasiment la taille d’un cheval adulte. Je me suis reculé et l’ai invitée à entrer. Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque les cinq autres poneys ont débarqué à leur tour ! Twilight Sparkle en première, puis le reste de la bande : Applejack, Rarity, Fluttershy et Pinkie Pie qui entrait en sautillant.
« Ooooh, alors c’est à ça que ressemble une maison d’extra-terrestre à l’intér- OH LA LA ! TU AS UNE CUISINE ! Je meurs de faim, pas vous ? Je peux nous préparer des- »
Elle a été stoppée dans son élan par le sabot d’Applejack, « Du calme mon p’tit sucre. Nous v’nons juste ici pour Rainbow, nous n’avons pas trop l’temps d’manger. »
L’estomac d’Applejack gargouillait, « Qu’importe qu’on ait faim ou pas ».
Je n’étais pas encore sûr de savoir comment réagir à tout cela, mais ne voulant pas risquer d’être malpoli, je leur ai proposé quelques restes. « Hum, nous avons encore des restes du repas de la nuit dernière. C’est comme s’ils vous attendaient. »
Pinkie a pris cela pour un « oui » et s'est précipitée dans la cuisine encore plus rapidement. Il semblait même que je n’avais pas besoin de lui indiquer où se trouvait quoi que ce soit ; elle savait immédiatement la place de chaque chose. On peut dédier cela soit à une chance folle ou simplement au fait qu’elle était Pinkie Pie… je choisis la seconde option.
« J’vais garder un œil sur elle. », a indiqué Applejack en rejoignant le poney hyperactif. Me dépassant, elle m'a tendu son chapeau. Je trouvais cela curieux que les poneys ne soient pas plus hésitants en présence d’une créature telle que moi. Après tout, on pouvait en dire autant pour mon cas, mais le fait d’avoir vécu avec Dashie pendant quinze ans m’avait habitué à voir des choses pareilles. A ce moment précis, j’avais cinq autres poneys et une véritable divinité chevaline qui me regardaient avec la même curiosité que je leur prêtais.
Il y a eu un moment de silence tandis que je regardais les deux poneys entrer dans ma cuisine et se mettre à fouiller dans mon frigo.
« Je suis assez surprise, » a finalement lâché Celestia, « je m’attendais à un peu plus de résistance. »
« Pourquoi ? Je sais qui vous êtes. »
Celestia a simplement hoché la tête, « Ah, donc vous devez déjà savoir… »
« Que vous êtes des personnages de fiction issus d’un dessin animé pour enfants ? Oui, je le sais déjà. Par contre, j’ignore la raison de votre visite. »
Je mentais sur la dernière partie, essayant de garder mon esprit tranquille. Je connaissais la raison, mais je voulais ne pas y croire.
« Oh, je pense que vous devriez la connaître pourtant. »
Mon cœur a chuté comme une pierre au fond de mon estomac. Oui, je le savais, et elle restait stricte sur ce point. Durant toutes ces années, j’avais anticipé ce moment. Mais le temps passant, cette pensée s’était dispersée peu à peu, jusqu’à qu’elle se réduise à rien de plus qu’une goutte dans mon esprit. Comme vous le savez, c’est toujours ainsi que les choses se terminent ; lorsque tout semble finalement parfait et qu’on n’a plus de raisons de s’inquiéter davantage.
« Hum, excusez-moi monsieur, » est intervenue Twilight, « mais d’après ce que nous savons, Rainbow Dash devrait se trouver ici n’est-ce pas ? »
Je me suis tourné vers le poney mauve ; je voulais lui dire non, mais je savais que ça n’en valait pas la peine.
« Elle se trouve en haut, dans sa chambre. »
« Dans sa chambre ? » s’est exclamée Rarity, interloquée.
« Oui, Dashie est dans sa chambre. Je ne savais pas encore qui frappait et je ne voulais pas qu'elle se fasse repérer. »
« Dashie ? Dites donc, vous êtes déjà si ami avec elle ? » a-t-elle poursuivit.
Ô comme je désirais cogner ce poney à cet instant ; la manière dont elle m’avait répondu m’avait blessé, « Ami ? Ce n’est même pas le dixième de la chose. Et c'est plutôt à vous, poneys, que je devrais demander ce que vous avez bien pu faire ! »
Celestia a haussé les sourcils, surprise par mon changement de ton, « Voyez-vous, mon élève… »
« Je sais qui elle est, allez droit au but ! » J’étais très brusque avec elle. Aussi furieux que j’étais, je voulais savoir pourquoi elles avaient envoyé Dashie sous sa forme de pouliche dans un autre monde.
Twilight se mordait la lèvre tandis que sa professeure continuait, « Oui, bien sûr. Hum, elle était en train de travailler sur un sortilège pour aider l’équipe en charge de la météo de Ponyville à développer une tempête. En fait, disons qu'ils ont créé une tempête un petit peu trop grosse... Twilight, étant à l’origine de celle-ci, a tenté de la dissiper, mais un des éclairs a rencontré sa magie, générant une incroyable explosion dans laquelle Rainbow Dash, qui était assez malchanceuse pour se trouver à portée, a été engloutie avant d'être envoyée, eh bien, ici. Nous sommes donc venus pour la récupérer. C’est assez simple, j’imagine. »
Avant que je ne puisse répondre, Dashie a appelé depuis sa chambre, « Papa ? Tout va bien ? »
Mon cœur s’est arrêté de battre tandis que je balayais du regard chaque poney. Chacun exprimait un visage de pure surprise et de confusion. Ils avaient reconnu la voix de leur Rainbow Dash, mais elle avait dit « Papa ».
« Hum… 'Scuse-moi mon p’tit sucre, » s'est enquise Applejack, revenant de la cuisine, « j’viens just' d’entendre Rainbow t’app'ler « papa » ? ».
Avant que je ne puisse répondre, Celestia a relancé, « Cela vous dérangerait-il de nous expliquer ? ».
J’étais perdu ; tant de choses à la fois traversaient mon esprit. Il n’y avait qu’une seule chose que je pouvais faire… et que je devais faire, même si je savais que cela n'allait pas me plaire.
« Installez-vous à votre aise dans le salon, je redescends tout de suite avec elle. »
Je ne leur ai pas laissé le temps de répondre ; j'ai quitté le hall et monté les marches, lentement.
« Papa ? »
« Oui Dashie, j’arrive. Nous… » j'ai lancé un regard en bas des escaliers, là où le groupe de poneys m’avait vu monter, « …nous devons parler. »
C’est donc ce que j'ai fait. Je lui ai dit qui était en bas, et qu'elles étaient venues pour la ramener avec elles. Dashie avait regardé le dessin animé très souvent ces derniers temps, et elle trouvait ces folles aventures vraiment amusantes. Elle avait abandonné toute pensée à propos du fait qu’elle devait être la Rainbow Dash de l’émission, et regardait cette dernière comme un cartoon parmi tant d’autres. Mais alors que je lui racontais, et lui expliquais que ces poneys qui pour elle n'étaient que fiction l’attendaient en bas, elle se payait bien ma tête en éclatant de rire. Elle ne me croyait pas, et pensait que je lui faisais une bonne blague. Alors, je l’ai incitée à descendre dans le salon.
« DASHIE ! » s'est écriée Pinkie, sautant sur son amie.
Dashie a réagi au quart de tour en repoussant violemment le poney rose, « Hé ! Garde tes distances ! ». Elle était surprise du nombre soudain de poneys présents dans notre salon. Les autres l'ont regardée d’un air inquiet, se demandant pourquoi elle rejetait son amie la plus proche.
La crinière barbe à papa de Pinkie s’est évanouie tandis qu’elle la regardait avec confusion.
« Tu… ne me reconnais pas ? »
« Non, et personne d’autre. » a continué Dashie. Ceci m'a fait beaucoup de peine. Je savais qu’elles étaient ses amies, mais tant de choses s’étaient passées entretemps qu’elle ne connaissait pas toute la vérité. Et les autres non plus. Je devais donc tout leur expliquer.
« Je… » ai-je commencé, « Dashie, assied-toi s’il-te-plait, que je leur parle. »
C’est ce qu’elle a fait, s’installant sur son fauteuil. Pas un seul instant elle n'a quitté des yeux les poneys qui occupaient, quant à eux, les canapés et les tapis devant le feu de cheminée.
Le temps était venu, mais d’abord, je me suis senti obligé de poser une question, « Depuis combien de temps a-t-elle été envoyée ici ? »
La question les a prises au dépourvu, mais Twilight s'est éclaircie la voix avant de répondre, « Il y a quinze jours à peu près, pourquoi ? »
J’en suis devenu totalement muet. Il y a quinze jours ? Bordel, ça fait quinze ans qu'elle est à mes côtés ! Cela veut dire qu’un jour dans leur monde représente une année dans le nôtre.
« Eh bien, » ai-je poursuivi, « Il s’est passé bien plus de temps que ça ici. »
« Combien de temps ? » a demandé Twilight.
« … Quinze années. »
Tous les poneys, hormis Celestia, en sont restés bouche bée.
« Ça n’explique toujours pas pourquoi elle 'nous r'connait pas. » a remarqué Applejack.
« Et bien, c’est ça le problème. Lorsque je l’ai trouvée, elle était… une pouliche. »
« Répète un peu ? »
« D’après mes calculs, je pense qu’elle n’était pas plus âgée que quatre ou cinq ans. »
A cet instant Celestia a paru surprise.
« Vous voulez dire que vous avez pris soin de Rainbow Dash durant quinze ans, depuis qu’elle est toute petite ? » m'a-t-elle demandé.
J'ai simplement confirmé d'un hochement de tête, et tourné mon regard vers Dashie qui affichait un visage inexpressif.
« Nous… Elle est… » ai-je commencé, mais je ne pus réprimer mes larmes plus longtemps, « Je sais que ce n’est pas vrai… mon dieu, j’aurais souhaité que ça le soit, mais… »
« Je comprends… le ‘papa’ prend tout son sens maintenant, » m'a coupé Celestia, gardant un air sévère. Elle réfléchissait, essayant de rassembler les pièces du puzzle dans son esprit pour savoir ce qui avait pu se passer. Pour ma part, je mettais tout cela sur le compte de la magie, son instabilité avait très bien pu inverser l’âge de Dashie.
Le calme s’est installé un moment, à peine troublé par la respiration des sept poneys et de la mienne. C'est finalement Dashie qui a brisé le silence.
« Alors, qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? »
Je regardais la princesse, essayant de lire dans ses pensées. J'avais déjà trouvé Dashie impénétrable, mais Princesse Celestia affichait quant à elle l’expression la plus impassible qu’il me soit donnée de voir. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle était en train de penser ou de ressentir à cet instant.
« Bon, c’est assez simple. Twilight ? » Celestia s'est tournée vers son élève, laquelle s'est immédiatement redressée à l’entente de son nom, « Te rappelles-tu toujours de cette magie sur les souvenirs ? Depuis l’accident avec Discord ? »
Twilight a simplement hoché la tête, tandis qu’elle se relevait et bondissait du canapé.
Je savais ce qu’il allait se passer, ce que Celestia avait en tête. Elle voulait que Twilight efface sa mémoire pour recommencer depuis le début. Ou alors, j’espérais qu’elle voulait simplement lui redonner les souvenirs de ses amies et de sa vie à Ponyville. Je n’étais sûr de rien, mais je sentais que c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. J’en étais même sûr. C’est ce que je me disais depuis les quinze années que j’attendais ce moment. Mais il y avait quelque chose que j’avais besoin de déclarer avant que cela n’arrive. Ces poneys allaient me séparer de ma Dashie, et j’avais mon mot à dire avant.
« Non, attendez s’il-vous-plaît, » les ai-je prié. Twilight s’est arrêtée et a regardé la déesse solaire, « Laissez-moi juste un moment avec elle s’il-vous-plaît. C’est tout ce que je demande pour… pour la dernière fois où nous pourrons nous voir. »
Je ne retenais plus mes larmes, et j’étais véritablement en train de pleurer. Les poneys voyaient bien que j'étais souffrant, et Dashie ne paraissait pas se porter très bien non plus. Alors, me disant qu’il ne servait à rien de prolonger l’inévitable, je me suis approché du fauteuil sur lequel Dashie s’était installée, accroupi pour me mettre au niveau de ses yeux et ai commencé à lui parler.
« Dashie, ma petite Dashie. Je t’aime de tout mon cœur. Tu as rendu ma vie merveilleuse comparée à celle que je menais avant. Tu… » J'ai dû m’arrêter un moment, pour souffler, « … tu m'as apporté tant de bonheur que je ne pourrais jamais assez te remercier. »
A cet instant, Dashie s'est mise à pleurer à son tour. Cela n'a fait que rendre ma tâche plus difficile encore.
« Ces quinze années que nous avons passées ensemble, à échanger, jouer, voler ; toutes ces années seront toujours pour moi les plus précieuses. Je veux juste que tu saches que je t’aimerais toute ma vie. Peu importe notre espèce ou notre monde. Je me fiche de ce que tu pourras penser, ou même, si tu te souviendras de moi. Mais là maintenant, toi, ma Dashie, je veux que tu… » Je lui ai donné un coup sur la poitrine, pour lui montrer physiquement que j’étais en train de lui parler, « … que tu saches ceci. Si jamais un problème arrive et que tu as besoin de moi, n’hésites pas à trouver un moyen de me joindre, d’accord ? »
J’ai essayé de rire, faisant passer la dernière partie pour une blague. Cela a fonctionné, mais en partie seulement, puisque nous continuions de pleurer. J'entendais aussi d’autres pleurs derrière moi ; je pouvais seulement m’imaginer Pinkie Pie pleurer comme à la fin du second épisode de la saison un, après la réconciliation de Luna et Celestia.
« J… je d… d… dois p… p… partir, mon papa ? »
Cela faisait tout de même quelques années qu’elle ne m’avait plus appelé « mon papa ». La plupart du temps, c’était simplement « papa » ou « p’pa ». Cela m'a profondément touché, car je savais que si elle m'appelait encore ainsi, c'est qu'elle me prêtait toujours au moins autant d'attention que les premières fois où elle me le disait, tant d'années auparavant.
J’ai simplement approuvé de la tête en me relevant. Avant que je ne me sois redressé, elle s'est jetée sur moi et m'a serré très fort. Je pouvais sentir ses larmes couler derrière mon cou. Je lui ai rendu son étreinte.
« C'est ton monde, Dashie. Ta place n'est pas ici. Tu dois retourner là d’où tu viens. »
« Ma place est ici, avec toi ! »
Ça me faisait si mal de le dire, mais je devais la convaincre que c’était la meilleure des choses à faire, « Non, pas ici. Ici, tu es cloisonnée, obligée de voler uniquement autour de la maison. Tu n’as aucun ami, aucun autre poney avec qui parler. J’ai simplement pris soin de toi jusqu’à ce que ce moment arrive, mais je n’aurais jamais imaginé que ce serait aussi douloureux. »
Nous sommes restés silencieux quelques minutes de plus tandis que nous nous étreignons encore plus fort. Elle n’a pas plus insisté, ni voulu résister à ce qu’il se passait, ce qui me fit penser qu’elle avait bien compris elle aussi ce qui devait être fait.
« Mon papa, je t’aime… »
« Je t’aime aussi, ma petite Dashie. »
Nous nous sommes séparés alors qu’elle descendait au sol.
A ce moment, tous les autres poneys s'étaient abandonnés aux larmes, y compris la déesse elle-même. Elle avait déjà semblé surprise au moment d’apprendre ce qui était arrivé, la différence du temps et d’autres choses encore, mais il était évident que la différence des âges était un choc. Elle avait sûrement pensé retrouver une Rainbow Dash de trente-cinq ans, mais elle était tombée sur ma Rainbow Dash d’une vingtaine d’années à la place.
Twilight s’est approchée de Rainbow Dash, sanglotant encore une fois avant que sa corne ne se mette à briller. Je savais ce qui allait se passer, c'était terrible… mais je savais que tout cela était juste. C’était ce qu’il devait se passer, pour elle, pour ses amies, et, d’une certaine manière, pour moi. Maintenant, je pourrais me dire qu’elle est vraiment retournée chez elle, qu’elle vole où elle veut, quand elle veut, sans aucunes limites, profitant à nouveau de la compagnie de ses amies.
« Attends ! »
J'ai relevé mon regard du sol vers Dashie qui s’éloignait de Twilight, « J’aimerais emporter quelque chose avant de partir. »
Aucun poney ni moi-même n'a pu protester qu’elle s’était déjà envolée dans sa chambre. Elle n'a pas traîné, et est revenue avec une boîte à chaussure entre ses sabots. Je ne savais pas si elle serait autorisée à emmener quoi que ce soit avec elle, et je m’attendais presque à ce que la princesse la refuse. Mais elle est restée silencieuse, autorisant même Dashie à écrire rapidement quelque chose sur une feuille de papier et à le déposer ensuite sur la table basse.
Elle s'est retournée vers moi, pleurant toujours, mais avec un sourire sur son visage. J'ai su qu’elle avait compris que cela devait se terminer ainsi, et qu'elle savait que je le savais aussi. A mon avis, la boîte devait contenir tous ses objets les plus précieux qu’elle avait gardé au cas où elle aurait dû partir précipitamment. Bien que d’y penser me faisait mal, j’espérais qu’elle ait emmené une photo de nous. Mais d’un autre coté, j’espérais aussi que non, car elle aurait été forcée de se souvenir de moi dans un autre monde, et c’était aussi douloureux que tout le reste.
« Je suis vraiment désolée Rainbow Dash. » lui a soufflé Twilight. « Je… J’aurais honnêtement souhaité qu’il y ait un autre moyen. J’aimerais ne pas avoir à le faire. Mais… »
« Peut-il… », a bredouillé Dashie, « peut-il venir avec moi ? »
Le peu d’assurance dans sa voix m’indiquait que cette idée lui avait juste traversée l’esprit, qu'elle ne posait pas vraiment la question. Twilight secoua la tête, incapable de regarder son amie dans les yeux en pleurant devant elle.
« Rainbow Dash… » lui a répondu Princesse Celestia, « Il ne peut pas nous rejoindre dans notre monde pour la même raison que tu ne peux rester dans celui-ci. Cela n’aurait jamais dû avoir lieu, et ce monde n’a pas été créé pour t’accueillir. Pourtant… » La déesse solaire s'est tournée vers moi, m'a souri, avant de balayer le salon du regard, avec toutes les photos de nous ensemble, tous ses bibelots et ses affaires éparpillées dans la salle, « … et pourtant, quelque chose de magnifique s’est produit ici. Quelque chose que je ne peux pas expliquer complètement. »
« Lorsque j’ai su où tu avais atterri, j'ai craint le pire. Je m’attendais à ce que tu sois brisée, corrompue, défigurée par la cruauté de ce monde. Mais ici, je constate que c’est tout le contraire. Cet homme qui t’a élevée m’a prouvé que tu te trouvais entre de bons sabots… Ou plutôt, entre de bonnes mains. »
Dashie a reniflé une dernière fois. Elle commençait à se calmer aux paroles de la majestueuse licorne ailée.
Celestia s'est à nouveau tournée vers moi, toujours souriante, « Je ne peux pas parler à votre place, mais d’après ce que je vois, l’amour que vous avez partagé ensemble montre que vous l'avez élevée comme s’il s’agissait de votre propre enfant. Malgré les différences évidentes, vous l’avez fait sans tenir compte de son espèce, ni de ses origines. Vous l’avez élevée comme votre propre fille, ce qui rend cette épreuve encore plus difficile. »
Je buvais ses paroles, de même que les autres poneys de la salle.
« Alors, je dois vous prier, cher monsieur, de ne pas tenir mon élève pour responsable de tout ceci. Il n’était ni son intention, ni celle de n’importe quel autre poney, de causer autant de douleur à l’un d’entre vous. Si vous deviez rejeter la faute sur quelqu’un, alors je vous demanderais que ce soit sur moi. Je suis celle qui les ai aidées à venir ici, pour ramener Rainbow Dash à la maison… loin de ce monde. »
Je ne pouvais même plus regarder l’une d’entre elles. Mon intense respiration a éclaté en sanglots. Mes pensées étaient concentrées sur elle, me remémorant toutes les choses que Dashie et moi avions vécues ensemble. J'ai pris une profonde inspiration, et lui ai répondu,
« … Mais comment pourrais-je me plaindre de quiconque ? Pour avoir envoyé Rainbow Dash ici ? »
J'ai reniflé, avalé ma salive, continué. J'ai bien failli craquer tandis que je cherchais les mots pour m’exprimer.
« Ces années ont été les quinze plus belles de ma vie. Donc, si j’avais mon mot à dire, ce serait bien le contraire ; je voudrais vous remercier, Twilight, et le reste de vous tous. Merci, pour tout ce que vous avez fait, bien que ce ne fût pas intentionnel. Merci, pour tout ce que j’ai pu connaître grâce à ça. Et enfin, merci, pour toutes ces années, ma vie et l’amour que j’ai pu ressentir… avec Dashie. » J’essayais de sourire devant Twilight entre deux sanglots, mais elle semblait elle-même au bord des larmes. Elle n'a pu que détourner le regard avant de se remettre à pleurer.
Celestia s'est levée du tapis sur lequel elle s’était posée, et s’est approchée de moi.
« Vous n’avez pas besoin de nous remercier, cher monsieur. C’est plutôt moi qui devrais, pour avoir pris soin d’un de mes petits poneys. Elle n’aurait jamais pu survivre sans une personne telle que vous. »
Celestia a fermé les yeux, puis penché sa corne vers moi. Je n'ai pas bougé, incertain de ce qu’il se passait, et sa corne a touché ma tête. J'ai ressenti une énergie soudaine et chaleureuse envahir mon corps. Elle a ensuite écarté sa corne et s'est reculée, toujours souriante.
« Merci. »
Puis, les autres poneys ont élevé la voix.
« Merci, monsieur. » ajoutait Twilight, parvenant enfin à parler derrière ses pleurs.
« Hey ! Merci ! » renchérissait Applejack.
« Merci, mon cher, pour s’être occupé de notre Rainbow Dash. » complétait Rarity.
« Hum, m… merci… » murmurait doucement Fluttershy.
« MERCI ! » s'écriait Pinkie, laquelle s'est jetée sur moi pour me faire un gros câlin.
Je n'ai pu retenir un petit rire face à ce comportement inattendu. Mieux encore, les rumeurs sur Internet étaient vraies ; sa crinière sentait vraiment la barbe à papa.
Sans un mot, j’ai hoché la tête et regardé Dashie dont le visage s'était lui aussi illuminé.
La corne de Twilight s'est remise à scintiller, les poneys se sont tous retournés vers Dashie.
« Es-tu prête maintenant, Rainbow ? » a de nouveau demandé Twilight en se tournant vers Dashie tout en rassemblant son énergie magique.
Elle a juste hoché la tête et fermé les yeux, prête à endurer l’inévitable.
C'était comme si le temps s'était ralenti : la corne de Twilight s’approchait du front de Dashie… Dans mon esprit ont commencé à défiler une vague de souvenirs entremêlés… nous deux… ensemble… Je me souviens encore des éclaboussures de la baignoire de ses premiers bains, avant qu’elle ne se douche elle-même… Je me rappelle toujours du goût de nos essais infructueux en pâtisserie et en toute autre forme de cuisine… Je peux encore sentir le grand air de nos visites au parc, le seul endroit où elle pouvait déployer ses ailes… tellement de souvenirs… Il m'a carrément fallu me déconnecter de mon cerveau pour que je puisse rester concentré sur Dashie.
Une larme solitaire perlait le long de sa joue gauche, je pouvais distinguer nettement ses yeux trembler sous ses paupières. Son esprit était en train de lui montrer les mêmes choses que moi, amoncelant tous nos souvenirs les plus profonds, pour cette dernière fois qu'il nous était donné de nous voir.
Enfin, la corne de Twilight a touché le front de Dashie. Il y a eu cette lumière aveuglante, et lorsque j'ai pu rouvrir les yeux, elles étaient toutes parties. Tous les poneys avaient disparus. Seul, larmoyant, j'ai finalement soupiré de soulagement. Un soupir qui sonnait faux, mais un soulagement réel. Ca y est, Dashie avait repris la place de Rainbow Dash à Ponyville. Je suis resté immobile dans le salon plusieurs minutes encore, le regard vide braqué sur la place qu’occupait Dashie juste à l’instant. Puis, en observant l’ensemble de la salle, j'ai repris connaissance de mon environnement ; tout avait changé. Les photos de moi et Dashie n’étaient plus accrochées sur les murs.
L’ensemble de ses objets personnels qui se trouvaient éparpillés dans le salon avaient disparus aussi. Désorienté, je me suis précipité dans sa chambre pour vérifier. Mais lorsque j’ai ouvert la porte, je ne vis pas un seul de ses posters de voitures de course et d’avions acrobatiques, ni son lit ou d’autres meubles… mais un vulgaire bureau. Un bureau ignoble, avec un ordinateur dessus, et une affreuse plante en pot.
J'ai mis du temps à digérer ce que j’étais en train vivre, avant de réaliser ce qui avait dû se passer. Cela faisait sens, mais cela m'était tout de même resté en travers de la gorge. Pour être sûre que rien de dangereux ne puisse arriver aux mondes, Celestia avait dû supprimer toute trace d’existence de Dashie ici. Ici… avec moi. Quinze années venaient de s’évaporer ainsi que son existence, littéralement balayée de la surface de la planète. Cette désagréable impression que toutes ces années s’étaient passées pour rien, qu'elles étaient perdues, m'a tenaillé à un tel point que je ne me suis plus cru capable de me souvenir d’elle.
Et pourtant… les souvenirs demeuraient toujours présents. Je pouvais encore me rappeler de tout ce qui s’était passé comme si c’était hier. C'est là que j'ai eu le déclic : Celestia avait fait quelque chose avec sa magie en me touchant avec sa corne. Avait-elle… Avait-elle protégé mes souvenirs pour que je puisse me rappeler d’elle ? En avait-elle fait de même avec Dashie ? J'ai redescendu les escaliers et je suis retourné dans le salon. Mon esprit carburait à cent à l'heure. Un livre était posé sur la table basse. Je l'ai reconnu ; il s’agissait de mon album photo. Je me suis assis sur le canapé, l'ai ouvert à la première page. Là se trouvaient ma mère, mon père et moi, qui venait juste de naître.
J'ai continué de tourner les pages, contemplant mon passé. Il y avait un vide après la mort de mes parents, mais en mémoire à ce qu’aurait voulu ma mère, je l’avais continué. J’avais ainsi créé de fausses photos de moi, heureux et profitant de la vie, qui restaient dans son livre de souvenirs. Je suis finalement arrivé sur une feuille de papier. Je l'ai prise et ai immédiatement reconnu la main qui l’avait écrite. Ou plutôt, la bouche. Je devinais qu’il s’agissait de ce que ma petite Dashie avait écrit avant qu’elle ne parte.
Papa,
Pendant quinze ans, tu as pris soin de moi. Durant ces quinze ans, tu m’as aimée, tu as joué avec moi, et tu t’es assuré que je puisse profiter de ma vie dans un monde qui n’était pas fait pour m'accueillir. Je ne suis pas un poney qui écrit beaucoup, mais même si je te l’avais dit en personne, j'ai sentis que tu aurais besoin d’une version écrite de ma part pour que tu saches que tout cela était réel.
Mon papa, je t’aime. Tu m’as aidée à devenir ce que je suis aujourd’hui. Je ne sais pas ce qui va se passer, si je pourrais me souvenir de quelque chose ou non, mais je veux que tu saches que tu as effectué un sacré bon travail en m’éduquant, même si j’étais un peu têtue par moments et dure avec toi dans d’autres.
Avec la permission de Celestia, j’espère te permettre de garder nos photos ; nos souvenirs restent avec toi pour que tu ne puisses jamais oublier. Encore une fois, je t’aime, et merci.
Ta petite fille de toujours,
Ta petite Dashie pour toujours,
Rainbow Dash.
J'ai rangé la note dans sa page, la parcourant de ma main pour sentir les larmes séchées jonchant la feuille. Je l'ai relue, encore et encore, jusqu’à l'avoir mémorisée. Puis, j'ai tourné la page, et ai été accueilli par le sourire de la toute petite Dashie.
Et me voilà, assis dans mon salon, feuilletant l’album photo de nos moments passés ensemble. Son premier bain, ses premiers mots, son premier dessin, même ses premières plumes, tout est assemblé dans ce livre de souvenirs. Tout le reste était parti en fumée, mais ce que j'avais mis dans ce livre y demeure encore. Je n’oserai pas le modifier non plus, mais je vais continuer d’ajouter des choses dedans. Pour montrer que ces années ne l’ont pas seulement aidée à se construire, mais qu’elles m’ont aidé aussi.
Je ne suis plus le même homme depuis ces quinze dernières années. Un homme changé, auquel il fut donné une seconde chance par un pur miracle survenu d'évènements fantastiques émanant d'un endroit que je ne peux même pas envisager. Si je n’étais jamais revenu sur mes pas et que je n’avais pas vérifié cette boite… si j’avais fait quelque chose d’autre que ce j’avais fait réellement… tout aurait pu changer entre nous. Je crois que je suis chanceux que tout se soit si bien passé. Je peux dire volontiers que j’ai accompli le vœu de mes parents ; celui d’être heureux. Bien que je sois attristé, je suis toujours heureux du temps que j’ai pu passer avec elle.
Je me retrouve maintenant tout seul dans cette maison vide, à contempler l’arc-en-ciel de ma mère avec un sourire figé sur mon visage ; chaque fois que je vois cette peinture, je pense à Dashie. Je devrais être en train de pleurer, je devrais me sentir malheureux et ne rien vouloir d’autre que de revoir ma fille. Et pourtant, je me sens soulagé de savoir que tout s’est bien passé. Elle ne s’est pas enfuie, ni ne m’a quitté sur de mauvais termes. Elle est rentrée, chez elle, dans son monde d’origine, en sécurité.
Je rabaisse mon regard vers l’album photo, me rendant à la page située après notre image la plus récente. Les pages sont vierges. J’ai encore une bonne partie de ma vie devant moi, et je projette de la vivre au mieux.
Pour moi-même.
Pour ma petite Dashie.
Fin.
Notes :
[1] Le Sonic Rainboom est une technique légendaire consistant pour un pégase à franchir le mur du son et de produire une magnifique explosion arc-en-ciel, laissant une traînée multicolore derrière lui. (NdT)
[2] Chaque poney, en découvrant son talent qui le caractérise, est naturellement gratifié d'une cutie mark, petit symbole à l'image de son talent. Celui de Rainbow Dash, par exemple, est un nuage duquel s'échappe un éclair multicolore. (NdT)
[3] La NASCAR (National Association for Stock Car Auto Racing) est le principal organisme qui régit les courses automobiles de stock-car aux Etats-Unis. C’est la discipline de course la plus populaire aux USA. (NdT)
[4] Les graines de bardanes sont les petites « boules » qui restent accrochées aux poils et aux vêtements. (NdT)
[5] L'Indy 500 (soit les 500 miles d'Indianapolis) est une course automobile américaine annuelle très populaire se déroulant pendant le mois de Mai. (NdT)
Vous avez aimé ?
Coup de cœur
S'abonner à l'auteur
N’hésitez pas à donner une vraie critique au texte, tant sur le fond que sur la forme ! Cela ne peut qu’aider l’auteur à améliorer et à travailler son style.
Les créations et histoires appartiennent à leurs auteurs respectifs, toute reproduction et/ou diffusion sans l'accord explicite de MLPFictions ou de l'auteur est interdite. Ce site n'est ni affilié à Hasbro ni à ses marques déposées. Les images sont la propriété exclusive d'Hasbro "©2017 Hasbro. Tous droits réservés." ©2017 MLPFictions, version 1.2.7. Création et code par Shining Paradox, maintien par Sevenn.
Pour donner votre avis, connectez-vous ou inscrivez-vous.
Un chef d'oeuvre que je recommande de lire :)