1000 ans d'antagonisme

Twilight avança vers l’entrée de la grotte de cristal. Instantanément, deux pégases lui barrèrent machinalement la route. Le soleil éclatant faisait ressortir l’insigne de Cadance gravé sur leur armure.

— Gardes, laissez-moi passer. Il faut que je parle avec lui.

Auparavant, elle serait partie sans poser de questions ou se serait énervée contre les soldats pour lui avoir interdit le passage. Mais plus maintenant, des siècles de vie lui avaient appris la valeur de la patience et du calme.

— En êtes-vous sûre princesse ? demanda un des étalons avec une voix inquiète.

— Bien entendu.

Face à cet ordre direct, les gardes ne purent que s’écarter.

— Vous le trouverez au fond, comme d’habitude, la prévint le second pégase.

— Merci du renseignement.

Étrangement calme, l’alicorne s’avança profondément dans la grotte, laissant l’aveuglante lumière polaire derrière elle pour rejoindre l’ombre et le silence de la caverne.

Après de longues minutes de marche, elle arriva à destination.

L’impasse était éclairée par quelques colonies de lucioles. Partout, des pics de rubis, de saphir, d’émeraude et de topaze jaillissaient de chaque centimètre de pierre visible, ne laissant aucun espace pour manœuvrer, comme pour interdire tout faux mouvement.

Néanmoins, un chemin de cristal translucide se dégageait du reste, menant vers un socle de marbre qui contrastait avec le reste du décor. Twilight s’avança jusqu'au piédestal, le regard fixé sur une gemme noire d’où s’échappait sporadiquement des semblants de brouillard sombre.

« Bonsoir Sombra. Il faut qu’on parle. »

Comme à chaque visite, seule sa voix résonnait dans la caverne avant de lui revenir, attendant vainement une réponse.

« Tu sais, depuis qu’on s’est rencontrés et que l’on s’affronte, je pense à toi. Et à ce qui va finir par nous arriver. Mais récemment, la relation entre toi et moi m’a beaucoup dérangée.

« Nous allons nous entretuer, pas vrai ? »

Aucune réponse de sa part.

« C’est peut-être toi qui me tueras ou moi qui te tuerai. Tôt ou tard. Alors je veux essayer d’en discuter avant d’en arriver là. Juste une fois. »

Le cristal sombre avait-il esquissé un mouvement ou était-ce elle qui délirait ?

« Je ne sais même pas si tu peux m’entendre dans ta prison de cristal… mais je suis sûre que tu m’écoutes, alors laisse-moi t’annoncer que si l’on continue comme ça, ce sera ma mort. Ou la tienne.

« J’ignore pourquoi notre antagonisme est si fort, mais je ne veux pas de ton sang sur ma corne ou mes sabots. Tu es une personne intelligente et je suis persuadée que tu sais pertinemment tout ça. »

Un mur de silence. Twilight marqua une pause, espérant que le roi déchu lui répondrait. Les minutes passèrent et l’alicorne baissa les yeux sur ses sabots, songeant aux nombreux affrontements entre elle et lui. Finalement, la jument se racla la gorge et reprit la parole.

« Tu sais, une fois tu as dit que notre relation perverse résumait ce qu’il se passerait si une force inarrêtable rencontrait un objet inamovible. Le mal dans toute sa violence qui vient se fracasser contre le mur de la morale, hein ?

« Malheureusement, tu te trompes sur deux points.

« Je suis la force inarrêtable en question et tu es l’objet inamovible. Pour moi, et pour Equestria, tu n’es qu’une relique du passé qui s’agite de temps en temps sans grandes conséquences.

« Les choses ne sont plus comme avant, la technologie a rattrapé la magie et les deux ont fusionnés pour ne faire qu’un. C’est vraiment effrayant ce qu’on peut voir comme nouvelles inventions de nos jours.

« Les temps ont changé. Ce n’est plus comme lorsque j’étais jeune et naïve, j’ai presque un millier d’années Sombra et pourtant… tu t’échines encore à renaître pour détruire, mais depuis tous ces siècles, jamais tu n’as eu de réelles chances de l’emporter contre moi.

« Plus les années passent, plus ma force grandit, tandis que toi, tu stagnes encore et toujours dans ta prison de glace, attendant avec envie un moment de chance qui te permettra de te délivrer. Et tout ça pour quoi ?

« Raser un ou deux villages, attendre mon arrivée, mon discours habituel et ensuite éclair de magie. Retour à la case départ. On dirait presque un jeune poulain cherchant querelle à sa grande sœur par ennui.

« Mais malgré toutes ces années, après tous ces combats, je sens toujours ta rage et ta colère intacte. Ton ressentiment et ta bestialité sont toujours aussi purs qu’au premier jour où l’on s’est rencontrés. En cela, je t’admire.

« Ta haine envers moi ne peut être exprimée avec de simples mots, elle est bien au-dessus de tout ça. Ton animosité te forme, te définit en tant qu’être, te constitue d’une manière si intrinsèque que rien qu’à te parler, je me sens mal à l’aise face à ces vagues de rage.

« Sincèrement, ça me fait peur. Je ne sais pas comment il est possible d’autant se haïr sans se connaître. »

— Pourquoi… Pourquoi ne me tues pas ?

Sa voix grave était profonde et semblait provenir d’une fosse sans fond, les fantômes de ses mots vibrant dans l’atmosphère silencieuse de la grotte.

« Parce que ce n’est pas en accord avec mes principes, mes valeurs. Et parce que je n’en ai pas envie. Peux-tu le comprendre ? Je ne veux pas te faire de mal. Je ne veux pas qu’on s’entretue. Mais il ne nous reste pas beaucoup d’options, tu le sais comme moi. J’ai beau prôner la magie de l’amitié dans bien des circonstances, ton cas reste une énigme pour moi.

« Peut-être que tout dépend de ce soir. Peut-être est-ce notre dernière chance de limiter les dégâts. Si tu ne la saisis pas, nous nous engageons sur une voie sans issue… Si ce n’est notre mort, à tous les deux.

« Nous ne sommes pas forcés d’en arriver là. J’ignore ce que tu as pu vivre ou subir pour devenir ainsi, mais qui sait ? Je pourrais peut-être t’aider.

« Si tu y mettais du tien, je pourrais t’aider. Tu ne serais plus seul face à tous. Tout cela pourrait finir autrement. Mon vécu en tant que princesse m’a appris à interdire la générosité et à ne m’autoriser guère que le pragmatisme ; néanmoins, je souhaite sincèrement que tu bascules du bon côté de la balance. Qu’en dis-tu ? »

Silencieuse, Twilight attendit une réponse, le visage impassible. Mais le roi déchu ne répondit pas, préférait-il ne pas y songer ou l’ignorait-il ?

Voyant qu’elle ne pourrait plus rien tirer de lui, l’alicorne s’éloigna doucement du piédestal de marbre, hantée par l’impression qu’elle n’avait aucune emprise sur le Monarque millénaire.

Elle quitta alors la grotte, espérant de tout son cœur qu’il ferait le bon choix.